Mogadiscio. Nicholas Haysom n’était en poste que depuis octobre 2018. Il a provoqué la colère du gouvernement par une lettre où il interrogeait la base légale de l’arrestation de Mukhtar Roobow, candidat à l’élection présidentielle du South West State – un des cinq états de la Somalie fédérale – le 13 décembre, ainsi que des violences policières ayant coûté la vie à quinze personnes dont un membre de l’assemblée régionale et un enfant. Le Ministre des Affaires Étrangères somalien a expliqué à la BBC que « Mr. Haysom a violé les règles diplomatiques en agissant comme s’il était le chef d’État de la Somalie. Il fait honte aux Nations Unies en violant la souveraineté et l’indépendance de la Somalie » (1).
Le Secrétaire Général des Nations Unies, Antonio Guterres, a défendu Nicholas Haysom (qui fut conseiller juridique proche de Nelson Mandela et qui a représenté l’ONU au Soudan et au Burundi) et protesté contre l’expulsion, mais face au refus somalien de revenir sur leur décision, il a annoncé son intention de nommer un nouveau représentant (4).
La décision du gouvernement du Président Farmajo peut s’expliquer de différentes manières. D’abord, elle s’inscrit dans la lutte entre Mogadiscio et les États Fédéraux, qui réclament plus de pouvoirs. Roobow, un des fondateurs du mouvement d’opposition armée Al Shabaab, qui s’est distancié du mouvement en 2013 et s’est rendu au gouvernement en 2017, jouissait d’une popularité considérable dans la South West State. Il aurait peut-être remporté le scrutin du 19 décembre s’il n’avait été arrêté une semaine auparavant par des soldats éthiopiens qui assurent la sécurité à Baidoa, capitale de l’Etat, sur ordre du gouvernement central. Le candidat pro-Mogadiscio a remporté l’élection (2).
L’année politique 2018 a été marquée en Somalie par la fronde des gouvernements des États Fédéraux. Or la construction fédérale de la Somalie fut une idée des Nations Unies qui veilla à son exécution, provoquant l’irritation des forces centralisatrices dans la capitale. Celles-ci ne pouvaient guère s’y opposer car elles manquent d’autonomie, le gouvernement fédéral étant largement financé par les Nations Unies et d’autres donateurs bi- et multilatéraux. Par exemple, les Nations Unies ont organisé l’entrainement et paient les salaires de la police fédérale qui a tiré sur les manifestants à Baidoa et les élections régionales sont aussi financées par l’ONU.
Deuxièmement, cette décision reflète le désir du gouvernement de marquer son autonomie par rapport à la communauté internationale. L’élection surprise de Farmajo à la présidence en 2017 fut attribuée en partie à sa réputation nationaliste. La communauté internationale, largement cloitrée dans une base ultra-protégée autour de l’aéroport de Mogadiscio, n’est pas très populaire parmi l’opinion publique somalienne, et cette impopularité déteint sur le gouvernement fédéral, vu comme la marionnette d’intérêts étrangers non seulement par Al Shabaab, mais par une bonne partie de la population. La côte de popularité de Farmajo a chuté depuis son élection, et l’assemblée nationale a même tenté de le destituer en décembre dernier pour son manque de consultation avec le parlement et les États fédéraux sur des décisions importantes (8).
Curieusement, la dérive autoritaire et la violence diplomatique d’un gouvernement profondément dépendant du soutien extérieur rencontrent très peu de résistance internationale. Le gouvernement britannique a déploré voir un de ses piliers de la lutte contre le terrorisme – la réabsorption sociale de membres d’Al Shabaab repentis – remise en question avec l’emprisonnement de Roobow et son ministre de défense a annulé un voyage prévu à Mogadiscio (7). À part cela, très peu de réactions. Même la déclaration de Nicholas Haysom devant le Conseil de Sécurité au lendemain de son expulsion (il ne fait pas mention de cette arrestation) est typiquement “constructive” à l’égard du gouvernement somalien (5) ; on en viendrait à oublier qu’il s’agit encore du cas paradigmatique de l’État failli et que le pays restait, selon les données recueillies par Transparency International, le plus corrompu du monde en 2017 (9).
Ce manque de réaction est certainement dû à la complicité internationale dans l’échec de la construction d’un État somalien, utilisé habilement par le gouvernement de Farmajo. En effet,, quelques jours après l’expulsion de Nicholas Haysom, le gouvernement avait demandé et obtenu l’autorisation du parlement pour nommer un étranger à la tête de la banque centrale somalienne (3) ; ce sera le citoyen britannique Nigel Roberts qui travaillait précédemment pour la Banque Mondiale, institution qui gère le “Multidonor Trust Fund” finançant les réformes du gouvernement Somalien et qui vient de décider d’autoriser à nouveau les prêts à la Somalie après 30 ans d’arrêt (6).
Perspectives :
- Antonio Guterres nommera bientôt un nouveau représentant pour la Somalie ; mais quelle marge de manœuvre aura-t-il (ou elle) pour que sa voix soit entendue en Somalie ?
- La Banque Mondiale autorise le pays le plus corrompu du monde, et l’un des États les plus faibles, à de nouveau emprunter de l’argent ; habituellement, les donateurs, qui jusqu’à présent (avec l’exception de la Turquie et des pays du Golfe) ont évité de financer directement l’État somalien, suivent les préceptes de la Banque Mondiale. Alors que ni le processus de réforme constitutionnelle ni une nouvelle loi électorale ne sont en bonne voie, comment éviter l’accélération de la dérive autoritaire du gouvernement Somalien ?
Sources :
- Somalia Expels UN Envoy Nicholas Haysom, BBC, 2 janvier 2019.
- FABRICIUS Peter, Somalia Shoots Itself in the Foot, Institute for Security Studies (Pretoria), 11 janvier 2009.
- Somalia Parliament passes law allowing foreigner to head central bank, Garowe Online, 14 janvier 2019.
- HAN Farhaq, Statement attributable to the Spokesman for the Secretary-General on Somalia, UN news, 4 janvier 2019.
- HAYSOM Nicholas, Statement to the UN Security Council, UNSOM, 3 janvier 2019.
- World Bank approves first grants to Somalia in 30 years, Reuters, 28 septembre 2018.
- SENGUPTA Kim, Somalia embroiled in diplomatic row after expelling UN envoy over accusations of interference, 10 janvier 2019.
- Somali President Farmajo likely to survive impeachment, The East African, 15 décembre 2018.
- Page web de Transparency International sur la Somalie.
Robert Kluijver