Kinshasa. La situation en République Démocratique du Congo semble évoluer de plus en plus vers le chaos. En effet, Felix Tshisekedi prépare son serment, malgré les lourdes accusations de fraude portées par des pans de plus en plus importants de la société civile. Les révélations de la Conférence Épiscopale ont contredit les résultats de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), donnant Martin Fayulu vainqueur (1). Pendant ce temps, Martin Fayulu a fait appel devant la Cour constitutionnelle, la considérant comme la seule structure fiable. Dans le même temps, la communauté régionale et continentale s’agite, au milieu des appels à la médiation, à la transparence et à la nécessité d’un gouvernement fort pour le pays (2).

La Conférence épiscopale (CENCO) et l’Église catholique ont mis presque 40 000 observateurs à la disposition du pays pour publier une série de déclarations et de rapports, qui ont fait monter le niveau de tension. La Ceni a officiellement reconnu la victoire de Felix Tshisekedi avec 38-39 % des voix et avec Fayulu bloqué à 34-35 %. Selon la Conférence, Martin Fayulu l’aurait emporté de très loin sur Felix Tshisekedi et Emanuel Shadary (qui n’auraient pas même dépassé le seuil de 20 % des voix). La question principale reste l’échantillon considéré : la Ceni représente plus de 80 % des votes exprimées, la Conférence épiscopale près de 44 % (5). De même, il reste à savoir si les données communiquées par la Ceni sont les données effectives et réelles du décompte des voix. Indépendamment de cela, on ne peut que considérer l’important écart entre les résultats officiels de la Ceni et ceux divulgués par la Conférence épiscopale voire même par certains représentants de la CENI (1). La Commission a accusé l’Église catholique de subversion, tandis que cette dernière s’est défendue en prétendant avoir simplement avancé ses propres données. Il est clair, cependant, que la Conférence épiscopale a pris position en faveur de Fayulu. Sur le plan national, le seul acteur de la médiation semble être la Cour constitutionnelle devant laquelle Fayulu a fait appel pour ouvrir la procédure de recomptage des voix (4).

Entre temps, la communauté internationale n’est pas restée indifférente : immédiatement après l’annonce de la commission électorale, la France a protesté, en invitant à un recomptage. La position française n’est cependant pas objective, compte tenu du grand espoir suscité à Paris par Fayulu. Mais la communauté régionale peut tout de même jouer le rôle de médiateur que tout le monde espère. Paul Kagame, qui vient de terminer sa présidence annuelle auprès de l’Union africaine (UA), a attiré l’attention en convoquant un sommet d’urgence sur la question congolaise (3). La manoeuvre du président rwandais n’est pas un protocole purement diplomatique : elle a aussi pour objectif de comprendre l’avenir des intérêts rwandais dans les provinces orientales de la République Démocratique du Congo, notamment dans les circonscriptions de Bunia et Beni, où il faut encore voter. La Conférence des pays des Grands Lacs, créée à la suite du génocide de 1994 au Rwanda, avait déjà organisé, depuis décembre, une série d’événements et de sommets avec de hauts représentants de leurs propres diplomaties. La République du Congo et l’Angola ont également suivi de près les événements de Kinshasa. De même, la Communauté de développement d’Afrique australe (CDAA), dont la République Démocratique du Congo fait partie depuis 1998, a appelé à plusieurs reprises à la médiation et, surtout, à la transparence. Récemment, elle a suggéré un recomptage, en essayant d’élaborer un plan de coopération entre les observateurs de la CENI (presque 25 000) et ceux de la Conférence épiscopale (2).

L’importance géopolitique de la République Démocratique du Congo a souvent suscité des inquiétudes dans la région. Les communautés régionales ont toujours joué un rôle important dans les crises continentales : l’activisme de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en Guinée Bissau, en Côte d’Ivoire et en Gambie, ou celui de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) pour la médiation Erythrée-Ethiopie ou dans les Comores. Dans ce contexte, la CDAA peut servir de médiateur de manière plus efficace entre les acteurs les différents partis et de la société civile que l’Union Africaine.

La crise de Kinshasa devient ainsi un moyen de mesurer les expertises des différents acteurs internationaux sur le continent africain. Le débat sur la présidence congolaise et la stabilisation du pouvoir en République Démocratique du Congo est un signal très important pour comprendre les perspectives de l’Union africaine dans un futur proche (3). En effet, entre les divergences géopolitiques et diplomatiques, une perspective d’analyse sur la politique étrangère et régionale est aussi nécessaire.

Perspectives :

  • La décision de la Cour constitutionnelle de dimanche 20 janvier, confirmant la victoire de Felix Tshisekedi, est fondamentale pour amener à une situation plus calme dans le pays.
  • Au cours du débat sur la potentielle victoire de Tshisekedi, les résultats des élections législatives ont été annoncés. La chose la plus déstabilisante est la défaite, surtout dans certains districts importants sur le plan démographique, des candidats de l’UDPS de Tshisekedi. Il semble, en effet, que les législatives soient une victoire écrasante pour le parti de Fayulu, le Front Commun pour le Congo (FCC). Dans une République présidentielle, il est difficile de dire quel pourrait être l’apport d’une victoire parlementaire d’un camp adverse à celui du président. Joseph Kabila, par exemple, n’avait pas la majorité au Parlement durant son mandat, s’appuyant davantage sur les réseaux locaux (beaucoup ont soutenu que les élections provinciales sont plus importantes). Cela reste un point à débattre.

Sources :

  1. Data leak exposes plot to steal presidential vote, Africa Confidential, 15 janvier 2019.
  2. Africanews, DRC poll hub : SADC to hold emergency meeting on Thursday, 15 janvier 2019.
  3. IDANGO Eddy, Kagame convoque ses pairs de l’Union Africaine pour des consultations sur la RDC, Voaafrique, 15 janvier 2019.
  4. DR Congo : Election commission delays results as Cathilic Church hits back, RFI, 5 janvier 2019.
  5. STEARNS Jason, Who really won the congolese elections ?, Congo Research Group Report, 16 janvier 2019.

Alessandro Rosa