Madison, Wisconsin. A l’heure actuelle, un peu plus de 6 tonnes de fromage (6.300.000.000 kg) (2) sont stockées dans les chambres froides américaines, signe d’une production profondément déséquilibrée.
Une telle abondance s’explique par le fait que les Américains produisent plus de lait qu’ils n’en consomment : depuis plus de 10 ans, des millions de litres de lait sont soit gaspillés, soit mis de côté chaque année, notamment pour la transformation en fromage.
Comment expliquer cette surproduction ? D’abord, par les caractéristiques propres à la production laitière. En effet, le prix du lait est volatiles et plutôt élevé ces dernières années, (la centaine de livres de lait rapportait 15$ en 2000 contre 23$ en 2015) : la rentabilité de la production est donc incertaine. Étant donné la possibilité de stocker leurs surplus en les faisant fructifier, les producteurs laitiers ont intérêt à surproduire en pariant sur une augmentation prochaine du prix du lait (au mieux, ils vendent plus à plus haut prix, au pire ils produisent du fromage). Mais cela n’explique pas cependant pourquoi ce type de stratégie est plus fréquent aujourd’hui.
La crise de surproduction actuelle vient aussi d’évolutions plus profondes. La production laitière n’est pas rentable dans les plus petites exploitations : elles n’ont enregistré des bénéfices qu’à deux reprises depuis l’an 2000, en 2007 et 2014. Étant donné que la productivité n’augmente plus et que la production laitière a atteint sa frontière technologique (une vache produisait 20.000 livres de lait par an en 2000 selon l’USDA et 21.000 aujourd’hui), la seule solution pour augmenter la rentabilité est donc la recherche d’économies d’échelle. La production dans une plus grande exploitation est moins flexible mais plus rentable. Suivant cette logique, la taille moyenne des exploitations a ainsi été multipliée par 2,5 entre 2000 et 2017 .
Autrement dit, on a assisté à une concentration de plus en plus forte des activités de vente au sein de grandes coopératives laitières, dont la plus importante est la Dairy Farmers of America (DFA). Elle contrôle 30 % des ventes de lait aux États-Unis et dit représenter 13.000 exploitations (1). Censées à l’origine permettre à ses sociétaires de peser face aux grandes chaînes nationales, ces coopératives seraient devenus trop puissantes, selon les exploitants laitiers. Elles tentent par exemple de forcer leurs sociétaires à remplire des quotas de production inadaptés. La FDA a fait face à plusieurs actions collectives pour abus de position dominante menées par ses sociétaires ces dernières années. Elles ont certes mené à plusieurs règlements de centaines de millions de dollars en faveur des plaignants mais pas à une réelle mise en cause de la FDA.
La crise de surproduction américaine ressemble donc à une fuite en avant à la recherche de rentabilité : la volatilité des prix et le coût du stockage relativement faible pousse à la surproduction, tandis que l’augmentation de la taille des exploitations et des pressions des coopératives ne font que renforcer cette tendance.
En ce sens, le surplus fromager américain est le symptôme de problèmes plus profonds : faible croissance de la productivité, concentration industrielle croissante, incertitude des prix. Ces problèmes ne sont pas propres au secteur laitier américain mais concernent la plupart des secteurs agricoles des pays développés et ont leur part dans mal être agricole qui les touchent.
Perspectives :
- Le surplus fromager américain est le résultat des dérives qui touchent les secteurs agricoles dans les sociétés industrialisées : faible croissance de la productivité, volatilité des prix et concentration grandissante.
- Il n’y a pas de remèdes évidents à cette fièvre mais l’intervention publique, qui n’est pas à l’ordre du jour, pourrait être une solution, soit pour réduire la volatilité des prix, soit pour réguler les coopératives.
Sources :
- DOUGLAS Leah, How Rural America Got Milked, Washington Monthly, janvier 2018.
- RAPHELSON Samantha, Nobody Is Moving Our Cheese : American Surplus Reaches Record High, NPR, 9 janvier 2019.
Cyprien Batut