Dacca. Le 30 décembre 2018, les électeurs bangladais ont eu l’occasion de se rendre aux urnes pour choisir les députés qui doivent les représenter durant les cinq prochaines années. Comme on pouvait s’y attendre, le résultat de l’élection a débouché sur la reconduction à la tête du gouvernement, pour la troisième fois consécutive, de Sheikh Hasina, de la Ligue Awami, la fille du « père de la Nation », Sheikh Mujibur Rahman assassiné en 1975.

Le duel sans merci annoncé avec Khaleda Zia, la veuve de Ziaur Rahman, le premier militaire président du Bangladesh (1977-1981), qui a longtemps rythmé la vie politique du pays, n’a pas eu lieu. Le parti de droite dirigé par Khaleda Zia, le Bangladesh National Party (BNP), était pourtant bien présent dans la campagne électorale,contrairement aux élections législatives de 2014 qu’il avait décidé de boycotter, offrant ainsi un boulevard à la Ligue Awami de Sheikh Hasina qui a remporté 234 des 300 sièges en jeu. Mais Khaleda Zia, Première ministre à trois reprises, incarcérée depuis février 2018 pour malversations financières, a vu en octobre sa peine de prison rallongée de plusieurs années.

Si l’opposition a néanmoins réussi à former une large alliance, le Jatio Oikya Front (Front d’union nationale), sa capacité à contrecarrer la prédominance de la Ligue Awami reste limitée tant celle-ci s’est évertuée à faire taire les contestations à travers l’arrestation d’opposants, à influer sur le pouvoir judiciaire ou encore à encadrer les médias et les réseaux sociaux à travers l’adoption, en septembre 2018, du projet de loi sur la sécurité numérique.

Après être revenu au pouvoir en 2009, le gouvernement dominé par la Ligue Awami avait déjà fait adopter un amendement à la constitution supprimant la nécessité de nommer un gouvernement intérimaire pour superviser le processus électoral afin d’en assurer la neutralité, une règle que le BNP précédemment au pouvoir avait aussi refusé d’observer.

Sheikh Hasina peut aussi se prévaloir d’un bilan socio-économique enviable en Asie du Sud, avec notamment un taux de croissance proche de 8 % en 2017-18. Malgré une conduite des affaires de plus en plus autoritaire, la chef de la Ligue Awami, un parti qui veut incarner un centre gauche laïc, bénéficie du soutien du voisin indien et de nombre de pays occidentaux pour son apparente capacité à lutter contre le radicalisme dans le quatrième pays musulman au monde et à gérer l’accueil des réfugiés Rohingyas.

En effet, la question religieuse reste au centre du débat. Le parti d’inspiration musulmane Jamaat-i-Islami, dont des hauts dirigeants ont même été condamnés à mort pour crimes de guerre et exécutés, à cause de leur collaboration avec l’occupant pakistanais en 1971, est officiellement exclu de la vie politique. Toutefois, il a présenté des candidats sous l’étiquette du BNP ou au titre d’indépendants. En plus, l’emprise du religieux sur la société conduit aussi la Ligue Awami, nonobstant son orientation laïque, à s’accommoder du soutien du Hefazat-i-Islam, un groupe de pression islamiste particulièrement conservateur et virulent. Il faut rappeler que cinq bloggers militant pour la laïcité avaient été tués en 2015 lors d’agressions revendiquées par Ansarullah Bangla Team et Ansar Al-Islam, des organisations connues pour avoir des liens avec Al-Qaida.

Face aux risques de fraude et de violence,  l’Union Européenne a appelé, dans les jours approchant les élections, tous les acteurs à s’engager à un processus électoral crédible, inclusif et transparent et à inviter les agents de la force publique à respecter  l’État de droit, ce qui ressemble à un vœu pieux tant le traitement réservé aux forces politiques en compétition pendant la campagne électorale a été loin d’être équitable1 .

Cette élection au Bangladesh vient clore une année 2018 où la pratique de la démocratie représentative a été plusieurs fois exercée en Asie du Sud avec des résultats parfois inattendus :

  • En septembre 2018, l’élection présidentielle aux Maldives a vu le président autocrate Abdulla Yameen, soutenu par les groupes islamistes, s’avouer vaincu face au candidat de l’opposition, Ibrahim Mohamed Solih, membre du Parti démocrate.
  • Au Bhoutan se sont déroulées en octobre les troisièmes élections au Parlement depuis la fin de la monarchie absolue. Elles ont vu la victoire d’un parti social-démocrate, le Druk Nyamrup Tshogpa, défaisant les deux principaux partis successivement vainqueurs, en 2008 et 2013. Lotay Tshering est devenu le nouveau Premier ministre.
  • Autre nouveau Premier ministre, Imran Khan, au Pakistan, où son parti, le Pakistan Tehrik-i-Insaf (Mouvement du Pakistan pour la Justice) est arrivé en tête à l’issue de l’élection législative de juillet 2018. Une élection marquée par l’interdiction faite à l’ancien Premier ministre, Nawaz Sharif, d’y participer et par les accusations de partialité portées à l’encontre des autorités judiciaire et militaire qui ont conduit à son emprisonnement2 .
  • Au Sri Lanka, le coup de force du président Sirisena fin octobre visant à évincer le Premier ministre Wickeremesinghe, malgré le fait qu’il dispose d’une majorité parlementaire, a finalement échoué3 .

Au printemps 2019 ce sera au tour des électeurs de « la plus grande démocratie au monde », autrement dit l’Inde, de trancher entre la reconduction d’une coalition dominée par le Bharatiya Janata Party du Premier ministre, Narendra Modi, et la possibilité d’offrir au parti du Congrès de Rahul Gandhi, à la tête d’une autre alliance, de reprendre la direction de l’Inde.

Perspectives :

  • Janvier 2019 : Formation d’un nouveau parlement au Bangladesh et investiture du Premier ministre / Première ministre.
  • Avril-mai 2019 : Élections législatives en Inde.

Sources :

  1. Campaign attacks intensify fears for Bangladesh election, Asia Times, 27 décembre 2018.
  2. BOQUERAT Gilles, Au Pakistan, la démocratie restera-t-elle volatile ?, Le Monde, 23 juillet 2018.
  3. BOQUERAT Gilles, La crise institutionnelle au Sri Lanka s’intensifie, La Lettre du Lundi, 9 décembre 2018.

Gilles Boquérat

Sources
  1. Campaign attacks intensify fears for Bangladesh election, Asia Times, 27 décembre 2018.
  2. BOQUERAT Gilles, Au Pakistan, la démocratie restera-t-elle volatile ?, Le Monde, 23 juillet 2018.
  3. BOQUERAT Gilles, La crise institutionnelle au Sri Lanka s’intensifie, La Lettre du Lundi, 9 décembre 2018.