Berlin. Fondée en 2013 en pleine crise de l‘euro, l’Alternative pour l’Allemagne (AfD, ELDD) a toujours fait de sa ligne (anti-)européenne un élément constitutif de son identité. Si son orientation initiale, plutôt libérale-conservatrice et pro-business, laissait peu de place, sous la présidence de Bernd Lucke (2013-2015), à des discours ouvertement xénophobes, la crise migratoire de 2015 et le changement de direction qui s’en est suivi ont consacré un nouveau positionnement résolument anti-immigration et anti-islam, nourri en interne d’apports idéologiques identitaires et völkisch (nationaliste allemand). Désormais clairement ancrée à l’extrême-droite, l’AfD a obtenu dans le même temps une série de succès électoraux inédits et convaincu près d’un quart de l‘électorat dans la plupart des Länder de l’Est. Elle est créditée de 15 % des intentions de vote aux élections européennes de mai prochain.

Révélé ces derniers jours, le projet de programme européen du parti néo-nationaliste ne remet pas en question les fondamentaux déjà présents il y a cinq ans1 : réintroduction des devises nationales, refus de toute union de transfert, sociale ou fiscale, retour à la souveraineté monétaire des États-nations, interruption des politiques accommodantes de la BCE et déconstruction de l’Eurosystème dans sa forme actuelle (notamment TARGET 2). S’y surimpose toutefois la figure d’une « Europe des Nations » qui condamne les transferts de souveraineté dans leur principe autant qu’il les conteste dans leur efficacité. Les rédacteurs exposent dès les premières lignes leur opposition à l’idée des « États-Unis d’Europe », et reprochent aux traités successifs d‘avoir « vidé de sa substance le principe de la souveraineté du peuple ». Le concept de subsidiarité (bien mieux connu du public dans le cadre du régime politique allemand que dans nombre d’autres États) est employé une vingtaine de fois pour décrire un projet d’Europe minimale dont l‘AfD soutient la plupart des aspects existants.

Le projet de l’AfD se constitue donc avant tout autour d’une série de refus : refus du Parlement européen dans sa forme actuelle, à remplacer par une Assemblée d’une « centaine de délégués envoyés par les États-nations », refus de la justice communautaire, refus du financement des partis politiques à l’échelle européenne, refus de la solidarité économique et monétaire, de la politique extérieure et de défense commune et a fortiori de toute armée européenne, et aussi opposition à la numérisation des paiements. L’AfD brocarde la bureaucratie européenne, l’influence des lobbys et le manque de transparence. Sa contre-proposition est un mélange de libre-échangisme, hérité de ses débuts libéraux et qui apparaît surtout comme indispensable à la démonstration de force d’une Allemagne très largement exportatrice, et de positions à la fois pro-OTAN, militaristes et favorables à un dialogue avec la Russie et ses alliés.

C‘est un tonitruant « Protéger les nations ! » qui ouvre la seconde moitié du programme, suivi de très près par une évocation grossière de la démographie africaine comme menace pour la civilisation occidentale. Se développe alors le cœur du discours nationaliste post-2015 de l’AfD, entre critique de l’aide humanitaire internationale, des procédures d‘asile européennes, de l‘action de Frontex, de la libre circulation des travailleurs européens et de leurs droits sociaux, et vœux de « remigration » (sic), d‘une politique familiale nataliste et d‘un rétablissement des contrôles aux frontières intérieures. Les conséquences programmatiques sont tirées : l’AfD s’oppose à Schengen et au principe de primauté du droit communautaire. L’islam en tant que tel fait à lui seul l’objet d’une page et demie de commentaires sous le titre « Islam – Danger pour l’Europe ». Quelques pages plus loin, à la rubrique « Protection de la population contre les maladies infectieuses et les épidémies », les migrants sont le seul sujet de préoccupation : l’AfD suggère des inspections médicales obligatoires documentées sur un passeport biométrique.

Les autres topoi de l’extrême-droite européenne font également leur entrée dans ce texte qui, sauf sur le plan économique, contraste très fortement avec celui proposé en 20142. L’AfD se positionne comme un parti anti-avortement et climatosceptique, brocarde les gender studies et encourage l‘extraction de charbon et la production de véhicules thermiques comme outils de souveraineté. Enfin, sans trembler, les rédacteurs consacrent leur dernier paragraphe au « bien-être animal ».

Mais c’est certainement la proposition d’un Dexit comme « dernière option » qui concentrera l’attention dans les jours à venir3. La formulation est évasive : « si nos projets de réforme fondamentaux ne pouvaient être mis en œuvre en une législature (avant 2024, NDLR) dans le cadre actuel de l’Union, nous considérerons une sortie de l‘Allemagne ou une dissolution ordonnée de l’Union Européenne et la fondation d‘une nouvelle communauté d’intérêts économiques comme nécessaire ». Une façon de préparer l’arrivée d’un nouveau programme, plus radical encore, dans les années à venir ? Car au regard de l’ampleur et de la teneur des « projets de réforme » de l’AfD, la probabilité de leur réalisation d’ici cinq ans ne trompe personne, et la proposition apparaît en réalité comme un ultimatum.

La « dernière option », détruire l’Union, ressemble à s’y méprendre à la première, qui consistait à la vider définitivement de sa substance. Une fois la part faite des intentions et des distinctions rhétoriques, l’AfD, qui salue dans son texte la position du groupe de Visegrád, va plus loin sur ce point que la plupart des autres partis d’extrême-droite européenne. Ce faisant, elle dévoile plus que jamais une vision idéologique radicale, naguère encore confinée dans les profondeurs du parti.

Perspectives :

  • 11-14 janvier 2019 : congrès de l’AfD pour la préparation des élections européennes à Riesa (Saxe).
  • 26 mai 2019 : élections européennes en Allemagne.

Sources :

  1. Das Programm der AfD zur Europawahl 2014 – Kurzfassung , Alternative für Deutschland, 13 mai 2014.
  2. Leitantrag der Bundesprogrammkommission , Alternative für Deutschland, 27 novembre 2018.
  3. AfD droht mit Deutschlands EU-Austritt 2024, Frankfurter Allgemeine Zeitung, 3 janvier 2019.

François Hublet

Sources
  1. Leitantrag der Bundesprogrammkommission , Alternative für Deutschland, 27 novembre 2018.
  2. Das Programm der AfD zur Europawahl 2014 – Kurzfassung , Alternative für Deutschland, 13 mai 2014.
  3. AfD droht mit Deutschlands EU-Austritt 2024, Frankfurter Allgemeine Zeitung, 3 janvier 2019.