Budapest. La fuite de Nikola Gruevski, parti de Macédoine le 8 novembre 2018 dernier, avait été soulignée comme le révélateur d’une défaillance grave du système judiciaire et policier en Macédoine. Elle avait été aussi considérée comme un affront de Budapest à une Union bien en peine pour défendre ses valeurs fondamentales1 .

Au moment de sa fuite, l’ancien leader du VMRO-DPMNE aurait envoyé des missives à la chef de la diplomatie européenne Federica Mogherini, au Commissaire européen à l’élargissement Johannes Hahn, à la Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe Dunja Mijatović et au président du Parti populaire européen à laquelle sa formation appartient, Joseph Daul, pour dénoncer un complot contre lui et des preuves faites de toutes pièces2 . Seul Johannes Hahn a fini par se fendre d’un tweet fin novembre, « prenant note » de l’asile politique accordé par la Hongrie à l’ancien dirigeant conservateur. « Si cela est confirmé, j’attends une explication dûment fondée de la part de Viktor Orbán », avait-il ajouté, suscitant un déluge de commentaires négatifs l’accusant d’arrogance et de partialité3 .

Depuis que Nikola Gruevski a obtenu l’asile en Hongrie, seul le Parlement européen a clairement exprimé son indignation : le groupe des Socialistes et Démocrates a exigé son extradition à Skopje dans un amendement à un rapport relatif à l’État de droit en Macédoine4 . Ce dernier, initialement approuvé par les députés hongrois du Fidesz, parti d’Orbán, fut adopté en plénière sans leurs voix. Du reste, aucun haut dirigeant de l’Union, de l’OTAN ou du Parti populaire européen n’a ouvertement critiqué le comportement de la Macédoine, de la Hongrie ou de Nikola Gruevski lui-même lors des évènements de novembre.

En effet, Bruxelles craint de renforcer davantage le discours de Viktor Orbán en condamnant une nouvelle fois ses agissements : en effet, le leader du Fidesz s’empare de chaque remontrance de l’Union pour dénoncer une attaque des forces néolibérales pro-Soros et pro-immigration. D’un autre côté, chaque jour de silence affaiblit davantage la crédibilité de l’Union quant à sa politique d’élargissement – Bruxelles elle-même avait soutenu la nomination d’un procureur spécial dont l’enquête a débouché à la condamnation de l’ancien homme fort de Skopje5 .

Nikola Gruevski jouit toujours de son asile : il a été récemment aperçu dans un restaurant huppé d’un quartier chic de Buda, qu’il a quitté dans une voiture avec chauffeur sans daigner répondre aux questions d’un journaliste6 . Selon un sondage publié par le site d’information hongrois 24.hu fin novembre, 84 pour cent des Hongrois interrogées s’attendaient à une réaction négative des institutions européennes7 .

Perspectives :

  • Budapest joue la montre pour créer un fait accompli. Son aide à l’« évasion » de Nikola Gruevski fut présentée comme une main tendue à un allié en détresse, persécuté par des forces de gauche.
  • À Bruxelles, la procédure déclenchée au titre de l’article 7 du Traité sur l’Union européenne, qui pourrait déboucher sur des sanctions à l’égard de la Hongrie, est encore en développement. Cependant, étant donné l’impératif de réunir une majorité des quatre cinquièmes, puis l’unanimité des États représentés au Conseil, les chances de sanctions prononcées à l’égard de Budapest sont quasi nulles.
  • En Macédoine, le départ de Gruevski pourrait paradoxalement affaiblir l’opposition au gouvernement de centre-gauche de Zoran Zaev, qui cherche actuellement à faire ratifier par le Parlement une révision constitutionnelle sur le changement du nom du pays, préalable à la poursuite de négociations pour intégrer l’Union et l’OTAN.

Sources :

  1. Viktor Orbán, Macedonia, and the European Parliament, Hungarian Spectrum, 2018.
  2. KERNER Zsolt, BÁRDI Bálint, Budán ebédelt Nikola Gruevszki, megpróbáltunk kérdezni tőle, 24.hu, 2018.
  3. KREKO Peter, Why is Orban embracing a criminal from Western Balkans ?, euobserver, 2018.
  4. NONNE Charles, Nikola Gruevski, réfugié politique hors du commun, La Lettre du Lundi ed. 35, 2 décembre 2018.
  5. PAJAZITI Naser, Former PM Gruevski had written a letter to EU officials before fleeing to Hungary, Independent Balkan News Agency, 2018.
  6. EU’s Hahn To Hungary : If You Are Granting Gruevski Asylum, Explain Why, RadioFreeEurope / RadioLiberty, 2018.
  7. S&D, The Gruevski affair undermines credibility of EU enlargement policy : Orbán must extradite him to Skopje, EurActive Press Release, 2018.

Charles Nonne