Bucarest. La Commission Juncker avait choisi comme ligne depuis 2014 de refuser l’élargissement de l’Union pendant son mandat. En effet, son objectif était un renforcement de l’acquis communautaire face aux fractures ouvertes par la crise de la dette des États membres. En cette fin de mandat, les différents cadres du Parti Populaire européen (PPE) ont choisi de lancer l’offensive pour permettre l’accueil de la Roumanie et de la Bulgarie dans la zone Schengen, plus de dix ans après leur entrée dans l’Union.

Ainsi le 21 novembre dernier, en conférence de presse au Palais Victoria à Bucarest, la résidence du Premier Ministre roumain, Antonio Tajani, président du Parlement européen et membre du PPE, a annoncé que le processus d’adhésion de la Roumanie devait être accéléré pour que cela soit effectif aussi vite que possible1 . Puis, le 25 novembre, Manfred Weber, président du groupe PPE au Parlement européen et candidat du parti à la présidence de la Commission européenne, a indiqué, dans le cadre du Congrès de son parti, souhaiter accélérer le processus d’intégration de la Bulgarie dans Schengen, afin que celle-ci y adhère en 20192 . Le 5 décembre, c’est enfin le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker qui a annoncé un des derniers objectifs de son mandat : faire adhérer la Roumanie d’ici octobre 2019, vœu qu’il avait déjà formulé pour la Bulgarie en janvier3 .

Cette annonce s’effectue à quelques jours du début de la présidence roumaine du Conseil de l’Union, qui aura lieu au premier semestre 2019 avec un temps fort le 9 mai prochain à l’occasion du sommet de Sibiu. Jusqu’ici, l’accession de ces deux pays était conditionnée à la fin du Mécanisme de Coopération et de Vérification (MCV), instauré en 2006 afin de soutenir la progression de l’État de droit dans les deux pays, et la lutte contre la criminalité, notamment la corruption. Cependant, alors que la Bulgarie a effectué des progrès dans le cadre de ce programme, les appréciations portant sur le Roumanie ont eu tendance à se dégrader depuis l’arrivée au pouvoir de la coalition rassemblant les sociaux-démocrates roumains (PSE) et les libéraux-démocrates (ADLE), qui a entrepris une politique visant à dépénaliser certaines infractions dans le domaine de la corruption, et à modifier le lien hiérarchique entre chancellerie et magistrature afin de davantage contrôler la Direction Nationale Anticorruption.

Ce mécanisme étant contrôlé par la Commission européenne, l’aval du président Juncker est de nature à dissiper les difficultés sur ce front. Mais toute accession à Schengen nécessite une approbation des États membres, ce qui, pour la Roumanie et la Bulgarie, se heurtait traditionnellement au veto de la France, du Royaume-Uni, de l’Allemagne et des Pays-Bas. Le Royaume-Uni, ne pourra plus bloquer ce processus, tandis que les Pays-Bas tendent à accueillir avec plus de bienveillance l’extension de la zone Schengen.

Suite à l’intervention de Manfred Weber, l’ambassadeur de la République Fédérale d’Allemagne à Bucarest a été interrogé par la chaîne de télévision roumaine Realitatea4 et a indiqué qu’il refuse de confirmer une adhésion imminente des deux pays aux accords de Schengen, mais que l’Allemagne était prête à envisager une adhésion par étapes. Reste l’obstacle du gouvernement français dont on attend la prise de position. Isolé au sein du Conseil européen, Emmanuel Macron peine à convaincre ses partenaires de l’opportunité et de la pertinence d’instaurer davantage de redistribution entre États membres. De plus, le PPE voit d’un mauvais oeil sa volonté de supprimer le processus du Spitzenkandidat, quand le président français préfère la méthode intergouvernementale.

Il ne fait que peu de doutes que la question de Schengen a vocation dorénavant à s’inscrire dans les rapports de force européens, dans un contexte électoral incertain.

Perspectives :

  • Dans les mois à venir, l’accession de la Roumanie aux accords de Schengen sera soumise à un vote du Conseil de l’Union. La décision ne pourra se prendre qu’à l’unanimité.
  • Le contexte semble assez favorable : la présidence roumaine du Conseil coïncide avec la marginalisation du gouvernement français dans les institutions, qui pourrait vouloir s’appuyer sur traditionnel allié roumain pour regagner de l’influence.
  • Les élections européennes sont en revanche un risque dans la mesure où une montée du souverainisme serait de nature à fragiliser l’acquis de Schengen.

Sources :

  1. COCHINO Adrian, Germania nu confirmă aderarea iminentă a Bulgariei la Schengen. Ce șanse are România, Realitatea, 5 décembre 2018.
  2. Președintele Parlamentului European, Antonio Tajani : Cred că a venit momentul să acceleram aderarea României la spațiul Schengen, Hotnews.ro, 21 novembre 2018.
  3. OLTEANU Mircea, Liderul celui mai influent grup din PE îndeamnă la primirea Bulgariei în Schengen şi zona euro, Mediafax, 28 novembre 2018.
  4. Juncker says Romania might join Schengen by the end of EC term in October 2019, Romania-Insider.com, 6 décembre 2018.

Théophile Rospars