Bruxelles. Le 8 décembre 2017, la Diète de Pologne a adopté un nouveau texte définissant un mécanisme de rémunération de capacité inédit pour le pays. Tout détenteur de capacité de production d’électricité, qu’elle que soit la technologie – du moment qu’il garantisse sa disponibilité et la production d’un volume minimal d’électricité durant les périodes de pointe- pourrait participer à une enchère à la hollandaise avec pour unique contrepartie  le gestionnaire du réseau de transmission, PSE Le volume du marché sera défini par PSE de manière à couvrir la demande en capacité de pointe à1 et les enchères auront lieu cinq ans avant l’année de certification concernée (exception faite pour 2021 et 2022 qui se déroulent fin 2018). Ce mécanisme a été jugé conforme aux Lignes directrices concernant les aides d’Etat à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014-2020 par la Commission en février 20182 pour une durée de 10 ans, validation nécessaire puisque qu’a priori la rémunération des capacités – à l’échelle d’un Etat – est considérée comme divergente des principes de la concurrence libre et non faussée du marché unique selon l’article 107 du traité sur le fonctionnement de l’UE3 .

Ces mécanismes ont vocation à apporter un complément de rémunération stable aux centrales de « pointe ». Celles ci ne fonctionnent en effet qu’en période de forte consommation du fait de leur coût marginal élevé. En dehors de ces périodes, le prix de l’électricité sur le marché est trop faible pour justifier leur fonctionnement. Parfois même, le plafonnement par un État du prix maximum de marché limite la formation d’une rente de rareté suffisante pour pousser les opérateurs à investir dans de nouvelles capacités de pointe. Ce faisant, investir dans de telles centrales est un vrai pari sans mécanisme de capacité. C’est typiquement le cas pour certaines centrales à gaz, à charbon ou au fioul.

La première enchère en Pologne a eu lieu début novembre 2018 et a abouti à certifier une capacité totale de 22 428 mégawatts (MW) pour un prix de 55 770 euros/MW pour l’année 20214 . Pour information, le prix de référence en 2018 des capacités en France était de 9342,7 euros/MW, soit 6 fois moins. Ce mécanisme soulève d’importantes interrogations quant à sa finalité réelle. Il pourrait en effet être utilisé pour déguiser un subventionnement des centrales à énergie fossile, existantes et à venir par l’Etat polonais. En effet, les principaux générateurs polonais connaissent depuis quelques années une diminution de la profitabilité de leurs activités de production « conventionnelles » (thermiques) et voient leur endettement grossir5 . Le fait que les deux contreparties des enchères (producteurs d’électricité  et gestionnaire de réseau) soient des compagnies d’Etat dont les dirigeants sont nommés par le gouvernement, pose également de nombreuses questions sur la transparence de la formation du prix.

En outre, alors que les centrales à charbon représentent 70 pour cent de la capacité installée de Pologne, le critère de non-discrimination technologique (entre des moyens plus ou moins émetteurs de CO2) ne semble pas réellement être en ligne avec l’objectif de l’UE de réduction de 40 pour cent de ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990.

Ajoutons que les centrales en modernisation peuvent bénéficier pendant 5 ans d’un revenu par MW certifié et celles en projet ou construction pendant 15 ans. Par exemple, une unité entrant en opération en 2021 pourrait gagner 55 800€ pendant 15 ans pour chaque MW qu’elle aurait réussi à certifier durant l’enchère. Elle sécuriserait une source de revenu a priori stable, parce qu’elle n’aurait pas à remettre aux enchères chaque année ses capacités au contraire des centrales déjà en opération. Une diminution de risque non-négligeable pour des opérateurs ayant des difficultés à trouver des financements pour la modernisation ou la construction de nouvelles centrales. Pour 2021 déjà, les opérateurs semblent avoir dégagé d’importants revenus6 .

Mais ce mécanisme présente deux problèmes majeurs. Le premier est que son coût parmi les plus importants d’Europe (1,25 milliards d’euros en 2021). Il est probable que le financement d’une telle mesure, engageant des dépenses sur une longue durée, soit discuté remis en question d’ici là par les consommateurs finaux, notamment l’industrie lourde, sur lesquels ce coût sera reporté. Le second est que la Commission, dans son ébauche de règlement sur la régulation du marché de l’électricité évoquée plus haut, propose de limiter l’accès à la rémunération des capacités aux unités générant moins de 550g de CO2 par kWh considérant que de tels mécanismes, sans discrimination selon le niveau d’émission de la centrale, retardent la transition énergétique. Chaque kWh produit en Pologne émet en moyenne entre 700 et 880g de CO27 , ce qui empêcherait un certain nombre de centrales de recevoir un complément de revenu. Par exemple, l’unité supercritique et ultra-moderne en construction à Ostrołęka, dont le rendement annoncé est de 46 %, devrait émettre environ 835 g par kWh (considérant que la centrale ne consommerait que de l’anthracite émettant 384 g CO2eq par kWh thermique8 ). Or, sans rémunération de capacité, il semblerait que cette centrale constitue déjà une perte nette pour ses actionnaires9 .

Il apparaît ainsi que cette clause sur la limitation à 550 g de CO2 par kWh est un enjeu crucial pour la Pologne, qui semble avoir parié sur les mécanismes de capacité pour maintenir et renouveler sa flotte de centrales à charbon, au moins jusqu’à 203010 .

Perspectives :

  • La Commission espère pouvoir trouver un accord sur le règlement et la directive portant sur le marché européen de l’électricité d’ici le 18 décembre prochain.
  • Révision d’ici 2020 des lignes directrices sur les aides d’État, qui va redéfinir de manière plus large les modalités dans lesquelles les États membres pourront verser des aides pour soutenir le secteur énergétique et ceux en dépendant.
  • Définition d’un plan par la Commission pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.

Sources :

  1. ADEME, Bilan GES combustibles fossiles.
  2. Carbon Tracker Initiative, Ostrołęka C : Burning More Money Than Coal, 29 août 2018.
  3. Commission Européenne, Aides d’État : la Commission autorise six mécanismes de capacité dans le secteur de l’électricité pour garantir la sécurité d’approvisionnement en Allemagne, en Belgique, en France, en Grèce, en Italie et en Pologne, février 2018.
  4. Commission Européenne, Lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014-2020.
  5. Diète de Pologne, Projet de loi gouvernemental sur le marché de l’électricité.
  6. Electricity map, suivi en temps réel des facteurs d’émissions du secteur électrique en Europe.
  7. ICIS, ICIS Power Perspective : Poland eyes retiring 17GW existing coal-fired capacity, 4GW onshore wind by 2035.
  8. Montel, Poland’s capacity auction clears at EUR 55.77/kW, 21 novembre 2018.
  9. Moody’s Investor Service, PGE Polska Grupa Energetyczna S.A., Credit Opinion , 6 novembre 2017.
  10. S&P Global Platts, Poland concludes second capacity auction at Eur45.53-51.22/kW/year, 5 décembre 2018.
Joshua Slawski