Nous avons longuement hésité à publier cette enquête sauvage, qui ne tient ni complètement du reportage journalistique ni exactement du travail de sciences sociales. Il ne s’agit en effet pas d’une enquête représentative ou exhaustive. Mais comment l’être quand la représentation fait partie des questions qui meuvent une partie du mouvement ? Confrontés à ce paradoxe de la représentativité des différents manifestants interrogés, nous avons opté pour la retranscription intégrale des dialogues que nous avons engagés avec eux.

Nous avons également voulu nous immerger dans le mouvement en le suivant tout au long de la journée, en différents emplacements choisis comme pour en faire un carottage, alors que les charges de police et des mouvements de foule ajoutaient un sentiment d’urgence aux déclarations que l’on nous faisait.

L’objectif pour nous était d’essayer de saisir certaines coordonnées des questions et des inquiétudes soulevées par les Gilets jaunes en partant de la question politique contemporaine — l’échelle pertinente et par là l’Europe. Leurs réponses semblaient indiquer que leur lutte était surtout articulée par les tensions politiques et territoriales qui ont émergé en France. Bruxelles est très rarement l’ennemi et, encore plus rarement l’ennemi principal, alors qu’Emmanuel Macron, son gouvernement ou les intérêts qu’ils représenteraient sont le plus souvent cités comme des adversaires directs. De manière remarquable, la personne interrogée la plus prompte à développer un discours sur l’Union européenne est celle qui possède le plus évidemment, en tant que syndicaliste, une socialisation politique traditionnelle.

Parce qu’ils ont pour cadre de référence principal l’échelle nationale et qu’ils proposent une vision à la fois personnalisée et désenchantée du pouvoir en France, on pourrait être tenté de placer les discours recueillis en continuité avec des déclarations caractéristiques de précédents mouvements anti fiscaux. Les contribuables opposés à l’impôt sur le revenu sous la IIIe République, Pierre Poujade dans les années 1950 et les “petits” indépendants protestant contre le système fiscal de la Ve République avaient en effet également l’habitude de souligner leur apolitisme et de dénoncer la “dictature” des plus riches. Le très faible écho que rencontra, en 1984, la liste “indépendante” portée par Gérard Nicoud et Pierre Poujade pourrait cependant suggérer que de telles revendications sont moins faciles à faire entendre et susceptibles d’adhésion dans le contexte des élections européennes.

Il émerge de notre rencontre avec les gilets jaunes un portrait nuancé et complexe bien que la virulence du ton se retrouve d’une réponse à l’autre. De l’expression brusque d’une rage trop longtemps contenue à la description d’un modèle social alternatif, les personnes que nous avons rencontrées donnent à entendre un large champ d’attitudes et de sentiments La question des multinationales, de la répartition des richesses, de la crise du système exprimée par la difficulté à lever l’impôt d’une manière équitable ou adéquate nous a paru faire beaucoup plus faire l’unanimité que celle d’une sortie éventuellement souhaitable de l’Euro ou de l’Union. Bien plus, lorsque l’Europe était mise en cause, la moitié des réponses allaient dans le sens d’une réforme du projet européen, bien que dans celui d’une dénonciation sèche des traités liant la France à l’Union.

Environs de l’Assemblée nationale. Notre interlocuteur est à côté d’une moto à très grosse cylindrée, au milieu du boulevard Saint-Germain, complètement bloqué dans les parages de l’Assemblée Nationale. Nous sommes désormais en fin d’après-midi, une journaliste d’une chaîne d’information en continu vient de l’interroger quand on lui propose de répondre à quelques questions. Le moteur est allumé, d’autres motards sont prêts à dégager la voie.

Vous êtes contre l’Europe ?

Oui, je suis complètement contre l’Europe, Bruxelles, on ne s’écoute pas.

Il faut sortir de l’euro ?

Moi, je dirais oui. Après c’est mon avis personnel. Moi, je dirais oui, il faut arrêter les conneries. Je veux bien qu’on a un pays où c’est qu’on a des retraites, on a des choses justement pour cataloguer les gens et enrichir à notre pays, mais arrêter de prendre la misère du monde, il faut s’arrêter, il faut fermer les frontières.

Quelle est le leader qui vous intéresse ?

J’ai été en Russie je vous dirais Poutine, la Russie s’en fout complètement de la politique, on est bien d’accord. Vu de l’extérieur, c’est un très bon président, mais eux s’en foutent complètement. Il faut nous apporter de nouvelles choses, on a marre des taxes, c’est vraiment le pétrole qui a fait déborder la chose. Par contre Poutine est prêt, les missiles tout est dehors. Là il faut nous apporter une nouvelle chose, il faut que ça change.

Vous étiez à Paris avant ou vous êtes venu à Paris seulement pour manifester ?

Non, je suis du 95.

Parc des Tuileries. Un groupe de trois femmes, probablement une famille. Elles portent toutes des gilets jaunes. Quand nous leur proposons de répondre à nos questions, elles nous demandent d’interroger plutôt la cadette.

Pourquoi vous manifestez ?

Il y a trop des taxes, on gagne pas suffisamment notre vie, ça nous coûte tout plus cher le quotidien, et comme tout le monde dit on vit pas on survit, tout simplement.

Vous êtes contre l’Europe ?

Je pense que l’Europe ça peut être à la fois une bonne chose et une mauvaise chose, l’idée est bonne et elle permet de réguler un peu la situation. Sur un plan plus large que juste la France et l’Italie qui sont des pays assez riches, donc on peut regarder dans les pays de l’est qui bénéficient quand même des avantages, après malheureusement c’est les personnes qui prennent les décisions qui ne sont pas forcément les mieux placés parce qu’ils représentent, une personne représente 100 000 personnes sauf que on peut pas d’un seule voix donner la voix à 100 000 personnes au même temps.

C’est plus contre Macron ou contre l’Europe ?

Moi je suis apolitique, la politique n’existe pas, Macron est dans la people-politique, on est plus dans la politique.

Vous étiez à Paris avant ou vous êtes venu à Paris seulement pour manifester ?

Oui, nous venons du coin.

Rue de Rivoli. Un groupe de personne nous sollicite. Ils ont vu que nous faisons des entretiens. Ce sont une femme et deux jeunes, sans doute ses enfants. Elle est très en colère et souhaite partager avec nous le récit de son après-midi de manifestation.

Pourquoi vous manifestez ?

Contre toutes ces taxes, qui on peut plus s’en sortir. Aussi pour l’avenir des nos jeunes, aujourd’hui il y a pas des personnes âgées, il y a plein des jeunes, jeunes qui ont envie de pouvoir avoir un avenir.

Vous êtes contre l’Europe ?

Moi j’ai rien contre l’Europe, mais j’attends les élections européens du mois de mai pour sanctionner Macron. Je ne suis pas contre l’Europe, mais contre l’Europe de Monsieur Macron et contre sa politique, sa politique de dictature, parce qu’on n’a pas même le droit de manifester, dès qu’on manifeste on s’est fait gazer, on a reçu des canaux sur les Champs-Élysées et à la Madeleine. On a reçu aussi des flash-ball, pour rien, alors qu’on a manifesté pacifiquement, on n’avait même pas le droit de manifester, alors que nous a autorisé de circuler et pas de bloquer, on a absolument jamais bloqué, on a pas plus le droit non plus de circuler.

Place Vendôme. Un groupe d’amis, entre la trentaine et la quarantaine, probablement du sud-ouest paraît faire le point sur la journée. Une partie a abandonné son gilet jaune. Nous sommes en fin de journée.

Pourquoi vous manifestez ?

La manifestation est contre le gouvernement, mais pas vraiment dans le fond contre le président, c’est juste que il y a beaucoup de facilités pour les plus riches et c’est un peu compliqué pour nous de survivre avec des petits salaires même si on travaille beaucoup, je suis charpentier, ça fait quarante heures par semaine, on gagne des salaires que sont 1 500 euros pour faire quarante heures. Si vous travaillez sur Paris il faut compter deux heures des transports pour venir et deux pour en partir qui ne sont pas forcément payées. Alors c’est du carburant qui est nécessaire à survivre, à aller travailler quand même, beaucoup de personnes vivent dans les milieux ruraux en France, dans la campagne, et si tu as pas de voitures tu peux pas travailler. Qui propose des primes pour les voitures de trois-quatre milles euros. Mais est-ce qu’on a trois-quatre mille euros à rajouter pour acheter une voiture neuve ? L’argent est déjà compté pour finir les mois. On a pas d’argent pour faire un échange de voiture. En plus on est une génération qui n’a pas envie de s’endetter comme nos parents, parce qu’on n’a plus la sécurité d’emploi. Le gouvernement veut qu’on s’endette, parce qu’on est du coup obligé de travailler, de produire.

Qui représente politiquement le mouvement ?

C’est un mouvement apolitique. Il faut qu’il reste apolitique, sans politique. Il ya de gens qu’ont essayé, Marine Le Pen a essayé, Dupont-Aignan a essayé de parler au nom des gilets jaunes, mais ils n’ont pas le droit de parler au nom des Gilets jaunes. C’est un mouvement des citoyens français, pas des groupes politiques du tout.

Quelles sont à votre avis les chances futures ?

Il faut que ça continue, après les jeunes ils peuvent pas forcément manifester tous les jours, parce que nous avons tous besoin de travailler. Souvent ce sera le week-end, mais la semaine c’est compliqué de manifester, parce que nous avons tous un travail et nous avons tous des difficultés à survivre déjà jour le jour. Il faut compter sur les retraités et les personnes qui peuvent se permettre de ne pas travailler en semaine. Après nous on essaye de le faire au niveau local, de bloquer les autoroutes, mais il ne faut pas non plus trop embêter les gens qui veulent travailler. Maintenant si on bloque les autoroutes on ne nuit plus au public, parce que les autoroutes ont été privatisées. Avant c’était national. Si on manifeste on ne travaille pas, on a tous des familles.

Vous êtes contre l’Europe ?

Je pense pas que l’Europe est le fond de la question, l’Europe a apporté beaucoup de bien en France, mais il y a eu une hausse des prix en général sur les produits de consommation et elle n’a donné aucune réponse.

Place de la Madeleine. Le soir tombe, nous nous approchons de la Madeleine. Nous rencontrons un groupe d’amis, trois gilets jaunes. Leur ton est très calme, leur propos n’est pas modéré, mais nous devons interrompre l’entretien en raison de l’air, devenu irrespirable à cause d’une salve de lacrymogènes lancés en notre direction.

Pourquoi vous manifestez ?

Parce que on peut plus vivre, les quinzes du mois on est tous ça à découvert, depuis il y un ras-le-bol général, la hausse des taxes, les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent, on peut plus, tout le monde on peut plus.

Il ne s’occupe pas de nous, il augmente toutes les taxes, il est comme le Roi soleil, c’est une dictature, on est des simples citoyens, on est censuré, on s’est fait gazé.

C’est une manifestation seulement contre Macron ou aussi contre l’Europe ?

Contre le gouvernement et Macron. Pas contre l’Europe, l’Europe n’est pas la source des problèmes, il ne faut pas sortir de l’Europe, la source des problèmes c’est Macron et tous ses copains.

Arc de Triomphe. Le contexte est très tendu, plusieurs feux sont allumés, des lacrymogènes. De moins en moins de personnes souhaitent nous répondre. Nous envisageons de changer d’emplacement quand une personne, la soixantaine, nous propose soudainement de répondre à nos questions, ayant entendu qu’on s’intéressait à l’européisme des gilets jaunes.

Je suis un proeuropéen convaincu. Je dis simplement que les Français en 2005 ils auraient dû voter pour la Constitution parce qu’on leur a foutu Lisbonne dans la gueule et que Libsonne c’est le contraire de la Constitution de 2005 qui donnait plus de pouvoir au Parlement européen et qui virait le vote à l’unanimité qui fait le bordel parce que depuis qu’on a le vote à l’unanimité en Europe, les mesures sociales ont disparu. L’Europe est devenu ultralibérale parce que comme les Français ont dit non, on leur a mis Lisbonne. Le Traité de Lisbonne c’est le libéralisme à tout prix. Donc on le paye ça. Bravo les nazes, bien trouvé !

Ensuite pourquoi ? Tout simplement, c’est pas simplement Paris Paris. Ils ont d’autres problèmes : des métros qui fonctionnent mal, des trains qui sont surchargés. Mais si vous sortez de Paris, vous apercevez qu’on a des dizaines de millions de Français qu’on a éloignés du travail, à qui on a dit  : “Vous avez des voitures ? On peut fermer la maternité et donc vous pouvez faire trente kilomètres ou quarante kilomètres pour aller à la maternité.” Si vous avez un enfant malade dans un petit village ? ( vous appelez à SOS Médecins à Paris il arrive tout de suite) Ben là-bas, non, vous prenez votre voiture et vous allez à l’hôpital à trente-cinq kilomètres. Si vous devez …

C’est la chute du service public ?

Alors les services publics … Oui c’est une des causes. Parce qu’on nous parle de la taxe carbone, mais la taxe carbone c’est une des causes, c’est la goutte d’eau qui a fait exploser.

Vous êtes parisien ?

Moi je suis à la fois parisien et campagnard. Je suis à la fois dans le Loir-et-Cher et sur Paris.

Vous avez une voiture et vous ressentez ça ?

La semaine dernière j’étais à Vendôme. Avec les six cents personnes qui bloquaient les routes et blocage filtrant. Si vous regardez les causes, les causes elles sont multiples. C’est pour ça c’est difficile. Vous allez interviewer des gilets jaunes mais les gilets jaunes ils vont tous vous dire des choses assez différentes. Par contre vous avez des choses communes. Vous avez un gouvernement – on a pu voter pour, on a pu voter contre – qui met en place une taxe avant d’avoir attendu les effets soi-disant bénéfiques de toutes les décisions, des baisses de charges qui ont été faites : charges sociales qui viennent d’être baissées. Donc si vous regardez les mesures positives ils n’ont pas attendu d’en voir les effets pour taxer encore les populations. Les gens qui gagnent 3 000, 5 000 ou 10 000 euros, ils n’ont rien à faire de ces hausses. Mais quelqu’un qui gagne 1200 euros, prenez un retraité ou quelqu’un en région qui a du mal à travailler : il a besoin de son véhicule. Il peut pas faire autrement. Donc ça fait 7 centimes par litres, donc ça fait combien par plein ? Ça fait 15 ou 20 euros. Ça lui fait 60-70 euros par mois avec des salaires qui sont déjà bien restreints. La cherté des logements fait que les gens se sont éloignés des centre-villes et des centre périurbains, donc tout ça sans véhicule vous ne pouvez rien faire, donc pour travailler vous êtes obligés de prendre votre véhicule. Mais c’est ces gens là qu’on matraque alors que le kérosène n’est pas taxé depuis 1944 puisque c’était sur demande des Américains : on a dit il faut développer l’aviation et on a jamais taxé le kérosène.

Les grands tankers ces bateaux – on nous dit que les voitures tout ça c’est responsable de 45 000 morts par an – les bateaux, si vous allez dans les ports, comme Marseille tout ça, l’air il devient irrespirable et ils sont responsables de plus de 60 000 morts par an. On nous dit “achetez de l’électrique !”. Vous savez … Enfin vous savez peut-être pas. Si on lit la revue Sciences et Vie qui a fait un numéro spécial sur la voiture depuis les années 1950, la voiture électrique qu’on nous présente comme un modèle elle est très polluante sur la production parce que pour avoir les matériaux, on est en train de bousiller des régions entières que ce soit en Chine ou que ce soit au Canada, dont certains sont en train de revenir… On ne sait pas quoi faire de toutes ces matières… On crée des lacs artificiels qui se déversent et on ne sait pas combien d’années on va polluer. En amont on pollue donc pour compenser ça une voiture doit rouler 50 000 kilomètres. Mais il y aussi le problème en aval de “qu’est ce qu’on fait des batteries”. C’est comme avec le nucléaire. Qu’est-ce qu’on fait des déchets. Donc, dans cinq ans ou dans dix ans on va dire aux gens, “prenez du diesel parce que les voitures électriques c’est catastrophique pour l’écologie.”

Macron est responsable parce qu’il a mis ce qu’il ne fallait pas mettre en plus. Il a aidé les riches en supprimant les taxes sur les riches. Et tout ce qu’il a mis comme mesures, même si on dit attendez ça va se voir, sont perçues par les populations oubliées et méprisées comme en plus.

Elle n’est pas dirigée contre l’Europe…

Quelle est la cible principale de cette manifestation ? Macron ? L’Europe ?

On nous dit “isolez vos maisons”. Avant il y avait une subvention qui permettait de faire ça pour pas cher. Cette subvention a été supprimée. On nous dit il faut travailler pour l’écologie. Alors que vous vous apercevez que la taxe a été faite pour renflouer les caisses de l’État, qu’à peine 20 % a été mis sur l’écologie, le reste va sur les caisses de l’État et pas sur l’écologie. Vous me parlez de l’Europe ? Ok. Macron je vais pas lui dire grand chose. Chiche. Dites à l’Europe que les 3 pour cent on s’en tamponne parce que ce n’est pas le plus grave. Parce que le plus grave c’est dans quel état la planète va être pour les générations à venir. Parce que nous dire qu’on va laisser une dette pour les générations à venir… Ils vont même pas en profiter de la dette si on continue. Il vaut mieux investir : créer pour les énergies nouvelles, faire du télétravail, rapprocher le travail du domicile et ne plus faire qu’on travaille dans un centre et faire qu’on est éloigné de ce centre. Le télétravail vous travaillez chez vous, ça se fait énormément dans les entreprises. Moins de transport. Moins de pollution.

Qu’est-ce que vous voyez comme perspective pour les gilets jaunes ?

Cette manifestation elle paraît bon… parce que la semaine dernière on était 300 000 et là on est un peu moins parce qu’on est dispersés. Mais en dix jours les gilets jaunes ont réussi à faire qu’on replace deux débats qui étaient enterrés, que les syndicats (et je suis syndicaliste) n’ont pas su saisir : le pouvoir d’achat et l’écologie. Si vous regardez ce qui se passe on a jamais autant parlé de pouvoir d’achat et d’écologie que maintenant. Et la peur du gouvernement parce que c’est incontrôlable, je vous le dis franchement les gilets jaunes on ne sait pas comment ça peut tourner. Ça peut devenir très violent ou quoi. Mais c’est un empilement de gens.

Qu’est-ce que vous voyez vous de l’intérieur ?

Des tas de gens qui sont là pour des raisons communes, mais diverses. C’est à dire on ne nous écoute pas. Quand on a un Président de la République qui … Il y a trois cent mille personnes qui manifestent sur toute la France. On avait jamais vu ça. La France c’est un pays qui a toujours fait des révolutions et des émeutes. Et qui a toujours avancé comme. 68, pas 68… 38, 48, je sais pas. Regardez l’histoire de la France, c’est ça. Les Français sont à un moment ils explosent. On a un Macron qui voit qu’il y a 300 000 personnes qui s’organisent. On a jamais vu ça. 300 000 personnes qui s’organisent sans partis politiques sur 1500 points sur le territoire, qui bloquent les routes, qui sont soutenus par 72 % des Français. Il faut savoir qu’il y a 72 % des Français qui soutiennent ce mouvement. Et on a un Macron qui dit “ Je reste droit”.


Arc de Triomphe. Une femme, la cinquantaine, nous voit poser des questions et nous demande de pouvoir bien expliquer les raisons de son gilet jaune, en étant filmée alors qu’elle lit un texte.

(en lisant un texte) Je me bats pour la taxe d’habitation, qui a augmenté, la taxe audiovisuelle, qui a augmenté, la taxe foncière, l’impôt sur les revenus, la suppression du tiers payant, la suppression des chèques CE et des chèques cadeau, la modification des exigences du contrôle technique, l’augmentation du gaz et de l’électricité, l’augmentation du carburant, la nouvelle hausse prévue en 2019 – là, c’est juste un échauffement, on est prêts ! – ensuite, l’instauration de la carte grise pour les vélos – bravo !, ensuite, le projet de vignette contre les véhicules polluants…

Vous êtes contre la force de l’Etat ?

Non, je ne suis pas contre la force de l’État, je trouve que tout ça c’est lamentable, c’est pas des choses qui vont aider la France, soyons sérieux !

Pourquoi ?

Parce qu’une taxe sur les vélos, ça va aider la France à faire quoi ? Ça va aider la France à faire quoi ? Juste à nous…faire aller encore un petit peu plus mal. On va déjà assez mal. On ne vit plus, on survit ! Et encore…

Est-ce la question du pouvoir d’achat… ?

Il y a la question du pouvoir d’achat, mais tout ça, c’est réel, tout ce que je suis en train de vous dire, c’est pas des conneries. Et moi je veux bien finir de lire ma liste, si vous voulez bien…

Donc (en reprenant la lecture) : nous avons aussi le projet de vignettes pour les véhicules polluants. La plupart des gens ils ont des véhicules polluants, pourquoi ? Parce qu’ils n’ont pas les moyens d’acheter une voiture à 20 000 euros.

Les maires envisagent une taxe d’un euro sur les colis à domicile. L’augmentation de l’âge de la retraite – lamentable. L’augmentation des péages plus des installations, de nouveau, à l’entrée des grandes agglomérations ! C’est encore pour mieux nous pomper, c’est pas gentil, c’est pas sympa, et ça va pas aider la France, j’suis désolée pour vous. Ensuite, la suppression des postes dans l’éducation nationale, a suppression des postes dans la justice, la suppression des postes chez les infirmières, la suppression des postes chez les pompiers. La suppression des petites lignes de train, parce qu’elles vont être privatisées. La fermeture de services dans les hôpitaux. La suppression de postes dans la santé. On n’est pas d’accord ! La fermeture des hôpitaux de proximité. Le gel des salaires pour les gens qui gagnent le SMIC. Les points d’indice ! c’est quand même pas une idée. La diminution des pensions de retraite. Non remboursement, de plus en plus, des médicaments : on ne peut même plus se soigner ! On paie la Sécu, sur nos propres salaires, et on ne peut plus se soigner, c’est dommage, c’est lamentable. Le RSI, pour les commerçants ; le RSA, pour les gens qu’ont pas à vivre ; la TVA…

Quelles mesures le gouvernement pourrait-il prendre qui vous satisferaient ?

J’sais pas… Une fois morts, ça s’arrête pas : il faut payer l’enterrement de tous, minimum 4000 euros, même quand on est mort, et il faut aussi payer sa place au cimetière. Franchement, il va falloir que ça s’arrête, les Français, ils en peuvent plus, et nous, on en peut plus. Nous on a un salaire, on a un travail, on a des enfants – moi j’en ai trois des enfants comme elle, on peut même pas lui payer un cinéma dans le mois, parce que le 20 du mois, j’peux plus manger, c’est fini. J’peux plus mettre de l’essence pour aller au travail. J’peux pas prendre le train parce que le train est devenu trop cher ! Il est temps qu’on agisse, pour les Français, réellement, s’il vous plaît. Si vous pouvez faire quelque chose pour les Français, j’suis pacifique, j’ai pas envie de vous embêter, j’ai juste envie qu’on s’occupe de nous. Pas que de moi ; j’ai parlé pour l’ensemble.
Je vous remercie de m’avoir écoutée. Je suis désolée pour toutes les revendications mais on en a vraiment beaucoup.

Arc de triomphe. C’est sans doute le moment le plus intense de la journée. Pendant l’entretien, filmé, nous assistons à une charge de CRS et au lancement de plusieurs lacrymogènes. La personne qui nous parle reste calme, presque ataraxique, elle a la soixantaine.

Pourquoi vous manifestez ?

Il y en a marre, le sens profond c’est un ras-le-bol général de toutes les générations. La vie est déjà difficile, plus que difficile on a de plus en plus de riches et plus en plus de pauvres, voyez la fracture et ça est un symbole, mais on se rend compte que l’argent est mal distribué.

C’est la faute à Macron ou à l’Europe ?

C’est la faute à Macron et à travers lui à la mondialisation qu’il soutient et tous les états financiers qu’il soutient. (Une explosion) Moi personnellement je suis convaincu (une charge de CRS et une lacrymogène arrêtent son propos) Moi j’ai soixante ans et je ne suis plus en âge de jouer au casseur. Je suis venu ici pour manifester pacifiquement. La semaine dernière déjà j’étais ici à Paris, ils nous ont poussés et lancé des lacrymogènes et donc cette semaine je reviens plus déterminé que jamais à leur faire savoir que c’est pas une raison pour nous fermer notre bouche. Donc vous voyez la violence, elle est là. Vous voyez moi comme casseur ? Non

Vous pensez qu’il faudrait sortir de l’Europe ?

Moi personnellement je suis convaincu qu’il faut sortir de l’Europe. L’Europe telle quelle nous est présentée ce n’est que du néfaste pour nous. L’Europe telle qu’on a pu la faire avant, admettons, mais telle qu’elle est devenue, ce n’est plus la peine.

Arc de Triomphe. Notre interlocuteur porte un gilet jaune. Il ne souhaite pas être filmé, mais il est heureux de nous parler quand il comprend que nous ne sommes pas de la presse française.

Quel est à votre avis le sens des Gilets jaunes ? Pourquoi vous manifestez ?

On est là pour manifester un mécontentement populaire sur le fait que tout est trop cher en France, qu’on paye des loyers dans la capitale on peut même pas y vivre. Si on a réussi à accéder à l’acquisition d’un appartement ou d’une maison on va avoir des taxes exorbitantes : la taxe d’habitation, l’impôt foncier, la redevance télé. Tout ce qu’on peut acheter dans tous les magasins : la TVA est trop haute, 20 % c’est trop cher. Les salaires sont autour de 1000 euros, les loyers sont autour de 1000 euros. Il y a un moment où il va falloir nous expliquer comment on va pouvoir vivre.

Les gilets jaunes manifestation contre Macron ? Contre l’Europe ?

Oui, effectivement ça vise Macron, mais en aucun cas l’Europe. Ca vise Macron sur le fait que ce soit très exubérant sur sa façon de nous parler, limite agressif condescendant qui fait qu’on en a marre, on se sent pas représenté. Si cette personne avait écouté dès le départ, ce serait pas Macron démission. On ferait une manifestation comme les autres, mais en aucun cas on aurait ce mouvement populaire là. On se sent pas écouté. On ne se sent plus représenté, il y a donc un mouvement populaire.

C’est une question de représentation ?

Tout à fait.

Qui pourrait vous représenter ?

On se représente les uns les autres, tout le monde, il faut être capable de représenter tout le monde. Ici il n’y a pas de porte drapeau, de porte étendard.

Y aurait-il une forme politique qui pourrait vous représenter ?

Non, pas du tout. Aucune. Et c’est d’ailleurs tout le débat qu’on peut avoir. La forme politique de la Ve République fait qu’on est dans un système très ostracisé.

Êtes-vous contre la Ve ?

On n’est pas tout à fait contre. Si le mot démocratie était respecté, si le pouvoir au peuple, si l’égalité, la fraternité étaient respectés il n’y aurait jamais de truc comme ça. On serait entendus, on partagerait. C’est chez nous ici, les gens cassent, mais on va tout payer dans les impôts plus tard. On en est tous conscients. Il y a un arsenal policier, on a l’impression d’être dans une dictature.

Vous êtes d’Île-de-France ?

Oui tout à fait, je suis venu aujourd’hui à Paris pour manifester mon mécontentement.

Arc de Triomphe. Notre interlocuteur est isolé, il s’appuie à un arbre au croisement entre Avenue de Kléber et avenue d’Iéna. Il porte un gilet jaune. C’est un homme d’une trentaine d’années, d’origine roumaine, il parle très calmement avec un accent prononcé.

Quel est à votre avis le sens des Gilets jaunes ? Pourquoi vous manifestez ?

Il y a trop de taxes. C’est pas possible. Ce sera encore pire le premier janvier, ils vont augmenter les taxes du carburant. Les gens ne peuvent plus tenir.

Vous manifestez contre Macron ou contre l’Europe ?

Non, ce n’est pas l’Europe, c’est Macron. Il veut qu’on fasse la transition écologique en montant les taxes. Les gens qui ont acheté une voiture diesel n’ont pas les moyens de changer leurs voitures, ce que le gouvernement demande. Une voiture électrique coûte cher, les gens ne peuvent pas tenir.

Arc de Triomphe. Un groupe de personnes, en sportswear, autour de la vingtaine. Notre interlocuteur porte un gilet jaune. Nous faisons cet entretien dans un moment de tension marquée. Le centre du rond point de l’Arc de Triomphe vient d’être dégagé par des CRS, quelques dizaines de gilets jaunes observent la scène, d’autres personnes courent sur le fond. Notre interlocuteur ne souhaite pas être filmé.

Pourquoi vous manifestez ?

Macron c’est un gros f***. On en a raz-le-c*** de tout.

Qu’est-ce que tout ?

C’est un tout. C’est l’Etat. C’est les radars, c’est la soi disant sécurité routière. Ca n’a rien à voir avec la sécurité routière. C’est juste pour faire de l’argent ! Encore l’argent ce serait remis pour refaire les routes… il y a des trous partout. Non. Il est réinjecté dans quoi ? On sait pas. (Quelqu’un dans le groupe fait un commentaire désobligeant sur Brigitte Macron, rires). Et après le problème il est là. C’est un raz-le-bol de tout. C’est le prix de l’essence… et à chaque fois ceux qui payent la note c’est les gens, le peuple, les m*** voilà on va dire ça, parce que c’est comme ça que Macron nous voit. Pour lui on est des m***.

Et vous êtes aussi contre l’Europe ?

Moi, personnellement oui. Moi je considère personnellement qu’on devrait être chacun chez soi.

C’est quoi chez vous ?

C’est la France. Mais c’est vrai que ça fait des années que la France ne représente pas vraiment ce qu’on est. Mais bon. Pour moi il aurait fallu fermer les frontières.

C’est quoi les frontières de la France ?

Bah, ça va de soi. Raz de l’Italie, raz de l’Espagne, la Suisse… En Suisse ils ont été plus malins. La Suisse ne fait pas partie de l’Europe et au final en Suisse ça se passe très bien.

D’où venez-vous ?

D’Île-de-France.

Arc de Triomphe. Deux hommes entre vingt et trente ans, ils viennent de Marseille. Seulement l’un des deux porte un gilet jaune.

Pourquoi vous manifestez ?

C’est tout simple. On en a raz-le-c*** de tout en général. On paye trop de taxes, trop d’impôts, on s’en sort plus tout simplement. Après le problème qu’on a c’est qu’en France ceux qui sont vraiment favorisés c’est les grosses multinationales. C’est plus les petites PME, c’est plus les petites entreprises qui veulent essayer de s’en sortir. Tout le monde souffre. Les agriculteurs sont dans la rue, les commerçants sont dans la rues, tout le monde est dans la rue parce qu’aujourd’hui Macron est que pour les multinationales. Je vais prendre un exemple simple, le groupe Amazon par exemple. Aujourd’hui la ville de Paris a finan… (il s’arrête car il y a une explosion) a financé Amazon pour qu’ils viennent s’installer à Paris. Le groupe Amazon pèse aujourd’hui 150 milliards de dollars, ils ne sont même pas imposables en France. Aujourd’hui la France c’est que ça. Aujourd’hui il n’y a aucune grosse entreprise qui paye les impôts en France, les Français moyens payent les impôts en France, ils payent tout ce qu’il y a à payer en France.

Que faites-vous dans la vie ?

Moi je suis chef d’entreprise. Une petite SRL, une petite société.

D’où pensez-vous qu’il faudrait partir de la France ou de l’Europe ?

On va déjà commencer par la France. Le problème qu’il y a c’est que d’ici trois, quatre ans ils veulent tout centraliser à Bruxelles. Ce qu’on est en train de faire aujourd’hui c’est maintenant qu’il faut le faire, parce que demain ça va être très compliqué d’aller casser cette Europe. On est en train de crever la bouche ouverte et Macron parle de quoi ? Il parle de faire une armée européenne.

Vous êtes contre une armée européenne ?

Il y a des impératifs comme ça bien sûr, mais là aujourd’hui le coeur du sujet n’est pas là. (Il y a une autre explosion) Combien de gens dans la rue se font gazer ? C’est une incitation à la haine. Je suis venu manifester, j’avais les bras levé, j’avais rien, juste des clopes dans mes poches et basta et en dix minutes je me suis fait gazer. Bah voilà.

Où, quand ?

À la Madeleine, vers 13h. J’ai vu quelqu’un qui a presque perdu une main. Ils ont envoyé des machoirs en ferraille pour évacuer les lieux. C’est une dictature moderne, l’oligarchie tient au sommet de la pyramide et tout en bas c’est nous. Tout est fait pour les riches aujourd’hui en France, les moyens ne s’en sortent plus. Rien n’est fait pour eux.