Doha. Le 3 décembre, le ministre de l’Énergie Saad Sherida al-Kaabi a annoncé, lors d’une conférence de presse, que le Qatar quittera l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) le 1er janvier 2019. Les raisons officiellement annoncées relèvent la claire intention de Doha de concentrer sa production sur le gaz, dont elle est le premier exportateur mondial, tout en maintenant un certain seuil de production de pétrole – une quantité risible au niveau mondiale, égale à environ 600 000 barils de pétrole par jour, contre plus de 10 millions de barils par jours pour l’Arabie Saoudite (2).

Derrière la décision sensationnelle du Qatar se trouvent de sérieuses tensions avec les monarchies voisines du Golfe, en premier lieu avec l’Arabie Saoudite ; mais, indéniablement, il s’agit aussi d’un renouvellement de la vision stratégique du pays, déterminé à créer de nouvelles relations de force géoéconomiques. La nouvelle de l’abandon de l’OPEP fait suite, à quelques semaines de distance, à l’autre décision, passée inaperçue, d’un remaniement général du gouvernement de Doha le 11 novembre, dans lequel un rôle important a été attribué à des sociétés holding de l’État, telles que Qatar Petroleum (QP) et Qatar Investment Authority (QIA) (3). Le nouveau ministre de l’Energie al-Kaabi, déjà en tête du géant national Qatar Petroleum (dont il reste désormais vice-président), a probablement joué un rôle important dans la décision du Qatar de quitter l’OPEP. Al-Kaabi a été le protagoniste principal de la politique énergétique du Qatar des années 2000, à tel point qu’il a contribué à développer d’importants investissements dans l’offshore du Qatar, dans le bloc North Pars, en renforçant la capacité de production de gaz naturel liquide (GNL) et de pétrole, transformant ainsi le petit émirat en acteur global, bien que l’histoire et la géographie montrent un potentiel considérablement réduit par rapport à d’autres voisins régionaux plus encombrants (1).

La décision de Doha a probablement été affectée par un certain nombre de considérations stratégiques telles que l’augmentation des exportations de GNL (selon les données fournies par le ministère du Plan, les exportations du Qatar ont augmenté de 4,8 milliards de dollars en octobre 2018, soit +48 pour cent par rapport au même mois de référence en 2017), le taux de croissance du prix du gaz naturel à l’échelle mondiale (l’augmentation moyenne de la croissance a été de 1,8 pour cent en dix ans et de 3,7 pour cent par rapport à 2017 seulement) ou l’augmentation de la demande mondiale d’énergie, dans laquelle le gaz jouera un rôle central par rapport au pétrole. En ce sens, le Qatar et son GNL seraient un pôle alternatif au pétrole brut et aux principaux producteurs d’or noir tels que l’Arabie saoudite et l’Iran et le Qatar deviendrait un rival potentiel de la Russie. Le Qatar est actuellement le leader mondial de la production de GNL avec 77 millions de tonnes par an (30 pour cent de la production mondiale) et l’objectif est de porter ce plafond à plus de 110 millions de tonnes d’ici 2024 (7).

La nouvelle de la sortie du Qatar de l’OPEP a également eu des répercussions importantes sur les marchés internationaux, entraînant une explosion des prix du pétrole, qui ont augmenté de 3 à 4 pour cent, avec le WTI brut léger (West Texas Intermediate) à 53,5 dollars et le Brent à 62,16 dollars (6).

Cette décision a également une valeur historique, puisque aucun pays du Moyen-Orient n’est jamais sorti de l’OPEP. Le Qatar fait partie du groupe depuis 1961, un an après la naissance du cartel de l’énergie dominé en grande partie par l’Arabie saoudite, concurrente régionale du petit émirat du Golfe, avec laquelle le Qatar vit une dure saison de tensions depuis juin 2017, avec un embargo économique et diplomatique total imposé par Riyad et par les autres pays alliés (Émirats arabes unis, Bahreïn et Égypte). Le Qatar a été accusé de soutenir le terrorisme international d’Al-Qaida et de l’État islamique, de subventionner par ses propres canaux de propagande (Al-Jazeera et d’autres réseaux de langue anglaise) les mouvements islamiques tels que les Frères musulmans afin de déstabiliser le Moyen-Orient et, enfin, de maintenir des relations compromettantes avec l’Iran. En ce qui concerne les intentions saoudiennes, l’embargo visait à mettre le Qatar à genoux, en forçant Doha à se plier aux conditions de Riyad et à revoir complètement sa politique énergétique et étrangère. Un an et demi après cet acte, les effets produits ne sont plus pertinents. L’embargo n’a atteint aucun des objectifs fixés par ses créateurs et ses partisans, mais n’a fait qu’accroître les tensions entre les différents acteurs, contribuant au désordre actuel au Moyen-Orient (4).

De plus, la crise interne au Golfe a “forcé” le Qatar à renforcer ses liens avec les acteurs non alignés dans le conflit (comme l’Oman), à sauvegarder son alliance avec le seul allié sunnite de la région (la Turquie) et à prendre des positions instrumentales antithétiques à Riyad (en flirtant plus ou moins ouvertement avec l’Iran). Cette escalade diplomatique a finalement fourni de nouveaux alibis à Doha pour entreprendre un réarmement modéré, comme en témoignent les importants contrats d’approvisionnement militaire signés avec plusieurs pays européens (dont l’Italie), afin de ne pas se retrouver sans préparation en cas d’attaque militaire surprise (5).

Doha a lancé un défi ouvert à Riyad en attendant de comprendre quels seront les contre-mouvements de l’Arabie saoudite et du quatuor.

Perspectives :

  • L’embargo imposé au Qatar par le soi-disant “quatuor” (Arabie saoudite, Bahreïn, Émirats arabes unis et Égypte) au cours des 18 derniers mois n’a donné aucun résultat, si ce n’est pour accentuer les distances entre les parties. L’enjeu est double : le leadership régional au sein du monde sunnite et la définition de nouveaux équilibres géoéconomiques au sein de l’univers énergétique.
  • Les tensions internes à l’Opec jouent en faveur des États-Unis. Ce n’est un secret pour personne que le président américain, Donald Trump, exhorte depuis quelque temps déjà l’Arabie saoudite et l’Opec à réduire la production de pétrole pour faire de la pression géopolitique sur l’Iran. En fait, un Opec divisé servirait les projets énergétiques des États-Unis concernant le gaz de schistes et le pétrole de schistes, dont Washington est déjà un producteur actif.

Sources :

  1. AHMED Walid, MURTAUGH Dan, BLAS Javier, Qatar to Leave OPEC as Politics Finally Rupture Oil Cartel, Bloomberg, 3 décembre 2018.
  2. Qatar to withdraw from OPEC in January 2019, al-Jazeera, 3 décembre 2018.
  3. DENTICE Giuseppe, Qu’y a-t-il derrière le remaniement gouvernemental au Qatar ?, La lettre du lundi, Edition 32, 11 novembre 2018.
  4. KERR Simon, RAVAL Anjil, Qatar’s exit from Opec deepens rift with Saudi Arabia, Financial Times, 3 décembre 2018.
  5. KERR Simon, Qatar attempts to build its way out of a blockade, Financial Times, 16 mai 2018.
  6. MEREDITH Sam, Qatar to quit OPEC after more than 57 years, denies decision related to Saudi-led boycott, CNBC, 3 décembre 2018.
  7. Qatar decides to leave OPEC, The Economist, 3 décembre 2018.

Giuseppe Dentice