Tripoli. La Libye est un État indépendant depuis le 24 décembre 1951, date à laquelle le roi Idris Ier Al-Sanusi a proclamé l’indépendance de l’État, après la promulgation de la Constitution par l’Assemblée nationale de Benghazi. La constitution libyenne de l’époque comportait quelques points forts : la reconnaissance de l’islam comme religion d’État (art.11), l’esquisse d’une monarchie héréditaire, ainsi qu’une structure bicamérale avec deux capitales, Tripoli et Benghazi (article 2) (1). Cette situation est le résultat d’une dynamique géopolitique et diplomatique complexe qui a conduit à la délimitation des provinces libyennes. En effet, la Libye est une construction purement artificielle d’un point de vue national, dont la faiblesse et l’effondrement se reflètent dans la situation actuelle. Pour parler pleinement de ces faits, il est nécessaire d’analyser les diplomates internationaux de l’époque (2).

La Libye est devenue une colonie italienne en 1912, après la paix d’Ouchy avec l’Empire ottoman. Ce document établit une première division du territoire libyen en deux régions, la Tripolitaine et la Cyrénaïque, qui marqua l’activité de reconquête et de pacification durant la période coloniale (4). Pendant la Première Guerre mondiale et le régime fasciste, Rome s’est rendue coupable de crimes de guerre en réprimant les pôles de l’opposition : la mort dans un camp de concentration du guérillero et imam Umar Al-Mukhtar en 1931 est le cas le plus connu. La plupart de ces dynamiques d’opposition et de répression ont été causées par la centralité de la Tripolitaine dans le cadre administratif et politique du colonialisme italien en Libye, qui influence encore la vision de Rome (1). Les oppositions, dont celle de Mukhtar, exploitent les inévitables vides du pouvoir créés par cet arrangement, tant dans le sud, où l’influence française est très forte, qu’à l’est, où la Cyrénaïque est devenue un bastion sécuritaire égyptien (le Caire soutenait l’opposition libyenne), avec le soutien britannique. Ce sont les précurseurs d’une véritable occupation militaire de la Cyrénaïque par Londres, qui aurait fortement caractérisé le front nord-africain pendant la seconde guerre mondiale (5).

La structure institutionnelle de la Libye s’est formée de 1945 à 1951. La diplomatie internationale, soucieuse d’esquisser les nouvelles structures géopolitiques coloniales, s’est développée selon deux axes : l’accord Bevin-Sforza (du nom des deux ministres des affaires étrangères de Grande-Bretagne et d’Italie) et la Commission des Nations unies, présidée par Adam Pelt. Ces deux étapes importantes ont entraîné la division du territoire libyen en trois régions : Tripolitaine, Cyrénaïque et Fezzan (3). Au lieu de centraliser les structures du pouvoir, la diplomatie multilatérale a cristallisé les divergences géopolitiques existant sur le territoire (1). À cela s’ajoute l’entrée dans le cadre des États-Unis, qui a embrassé la ligne de centralité tripolitaine (2). Après l’indépendance, au milieu du débat sur la gestion du pétrole (milieu des années 1950), les États-Unis et la Grande-Bretagne ont obtenu deux bases militaires : l’American Wheelus Fiend à Tripolitania et l’El-Adem britannique en Cyrénaïque (2).

L’arrivée sur les lieux de Kadhafi, en 1969, a considérablement transformé cette situation, conduisant à un centralisme d’État à part entière, essayant de rejeter tout tribalisme et toute division régionale. La rhétorique de Kadhafi, exprimée par le “Livre Vert”, est fondée sur un panarabisme reposant sur une triple appartenance : au monde arabe, au monde musulman et au continent africain. L’appartenance à l’État libyen, avec son centre à Tripoli, devait aller au-delà de toute division, au nom de l’union des peuples arabes (reprenant la pensée de Gamal Abdel Nasser). Dans la période de l’isolationnisme diplomatique libyen, dans les années 90, Kadhafi a trouvé un moteur de légitimité dans son appartenance au continent africain, en esquissant la réforme de l’Organisation de l’unité africaine (Oua). Ces canaux de consensus ont cristallisé la question intestinale des réalités régionales libyennes. La diplomatie régionale s’est déplacée pour militariser l’opposition dans les régions de l’Est et du Sud, où Fezzan a été témoin d’une présence pressante du Tchad, adversaire de Kadhafi et pilier pro américain dans la région, tandis que la Cyrénaïque a subi un fort interventionnisme égyptien et des Émirats, soutenu par la France, qui entre-temps a pris le rôle de Londres (1).

La chute de Kadhafi a révélé son rôle de pivot dans la Jamahiriya libyenne, entraînant l’effondrement des forces armées nationales et, par conséquent, l’explosion des tensions dans les régions libyennes.

Perspectives :

  • La diplomatie internationale de l’époque a tenté de mettre en œuvre un processus de cooptation des réalités de la Cyrénaïque, pour affaiblir les pôles d’opposition. Un processus similaire se fait jour avec Khalifa Haftar, qui utilise une rhétorique très similaire à celle d’Idris I Al-Sanusi, de Cyrénaïque, pour soutenir une légitimation historique et juridique de sa montée à la tête de la Libye. En effet, la Chambre des représentants de Tobrouk a obtenu une légitimité politique grâce à l’expérience postcoloniale, dans laquelle une réalité parlementaire était déjà présente.
  • L’entrée de la France dans les affaires de la Cyrénaïque a été favorisée par deux facteurs : l’isolement diplomatique libyen, qui a ouvert une nouvelle frontière commerciale pour Paris, et la présidence Sarkozy, qui face à une politique “officiellement” tripolitaine, a intensifié les relations avec certaines des réalités présentes entre Tobrouk et Benghazi. La question pétrolière y est fortement liée, Total agissant comme un vecteur géopolitique pour la France dans le contexte libyen.
  • La question des migrations est fortement liée au dossier libyen, mais elle n’a pas toujours été présente. Dans les années 1990, la Libye a inauguré sa diplomatie en Afrique subsaharienne, définissant des programmes de coopération avec ses voisins du sud. Cela a permis à des communautés entières d’aller en Libye pour tenter d’émigrer en Europe. Ceci est important pour contredire la perception historique d’une Libye qui a toujours été le point de départ des migrants.

Sources :

  1. CRESTI Federico, CRICCO Massimiliano, Storia della Libia Contemporanea, Bologne, Carocci Editore, 2015.
  2. Foreign Relations of the United States, [317] Memorandum by the Assistant Chief of the Division for African Affairs (Palmer), Western Europe, Vol IV, mai 1949.
  3. Resolution of the General Assembly on the Disposal of the Former Italian Colonies, International Organization, 21 novembre 1949.
  4. Treaty of Peace between Italy and Turkey, The America Journal of International Law, janvier 1913.
  5. WATTS G. Benjamin, the British Occupation of Cyrenaica. 1942-1949, Transaction of the Grotius Society, Vol.37, 1951.

Alessandro Rosa