Le Caire. Il y a quelques jours, le vice-secrétaire d’Etat américain aux Ressources énergétiques, Francis Fannon, s’est rendu en Egypte, où il a rencontré le ministre égyptien du Pétrole et des Ressources minières, Tarek el-Molla. À l’issue de cette rencontre, Tarek el-Molla a indiqué que les sociétés américaines s’intéressaient de près à l’exploitation des ressources pétrolières et gazières égyptienne. Quelques semaines plus tôt, la société égyptienne Middle East Oil Refinery (Midor) signait un contrat avec le groupe d’ingénierie pétrolière TechnipFMC, en vue d’augmenter la capacité de production de la raffinerie de Midor de 60 pour cent d’ici à 2022 (1). Encore plus tôt, en septembre dernier, l’Egypte et Chypre signaient un accord pour la construction d’un pipeline transportant du gaz naturel du gisement chypriote Aphrodite vers l’Égypte, afin que celui-ci soit liquéfié dans les usines de Damietta et Edkou (pour l’instant pratiquement à l’arrêt), puis réexporté vers l’Europe (4). Justement, en septembre, la production gazière égyptienne a atteint les 6,6 milliards de mètres cubes par jour (3). Tous ces éléments démontrent avec force l’ambition égyptienne d’avancer stratégiquement ses pions dans la géopolitique de l’énergie en Méditerranée.

Productrice historique de gaz, l’Égypte était devenue en 2011 importatrice nette en raison de sa consommation énergétique explosive, provoquée par une croissance démographique exponentielle (55 millions d’habitants en 1990, près de 100 millions aujourd’hui) (5). Le pays fait ainsi partie des principaux consommateurs d’hydrocarbures sur le continent africain, représentant 20 pour cent de la demande de pétrole et 37 pour cent de la demande de gaz naturel (2). Pour assouvir cet appétit énergétique gigantesque, la société égyptienne Dolphinus avait signé en février 2018 un contrat avec un consortium israélo-américain, pour la fourniture, sur 10 ans, de 64 milliards de mètres cubes de gaz naturel des champs offshore israéliens Tamar et Leviathan. Et ceci alors qu’historiquement, c’est le Caire qui fournissait du gaz à Tel-Aviv.

Néanmoins, les gisements gaziers récemment découverts au large des côtes égyptiennes sont en passe de changer considérablement la donne. En particulier l’immense gisement de Zohr, à 190 kilomètres au Nord de Port-Saïd, découvert par l’entreprise italienne ENI en 2015, et inauguré par le président Sissi en janvier dernier. Le champ de Zohr, avec des ressources estimées de 850 milliards de mètres cubes, représente à lui seul plus de 16 années de consommation égyptienne au rythme actuel (2). Des enjeux économiques si importants qu’ils ont sans aucun doute favorisé la normalisation des relations entre Le Caire et Rome et le retour d’un ambassadeur italien en Égypte en septembre 2017, soit un an et demi après le meurtre dans des circonstances étranges du doctorant italien Giulio Regeni.

Ces ressources ont donc permis à l’Égypte de retrouver, depuis août dernier, le chemin de l’autosuffisance, selon le ministre égyptien du Pétrole et des Ressources minières, Tarek El Molla. Le Caire ne se contentera pas de la seule sécurité énergétique : le ministre a également précisé que l’exportation de gaz naturel serait possible à partir de janvier 2019. Dans cette optique, un accord a été signé en août dernier entre l’Égypte et la Jordanie, qui verra donc la reprise des livraisons de gaz égyptien, interrompues en 2011 (7). En termes de débouchés, les autorités égyptiennes attendent aussi beaucoup du Memorandum of Understanding (MoU) pour un partenariat stratégique énergétique avec l’Union, bien que celui-ci n’aille pas plus loin que de fixer le cadre d’une possible coopération technique (6).

L’Égypte entend donc bien profiter de sa situation géographique stratégique, et en particulier du canal de Suez, ainsi que de ses vastes ressources gazières et pétrolières, pour imposer sa place de hub énergétique régional. Elle pourrait être aidée dans cette voie par les relations relativement apaisées qu’elle entretient avec ses voisins. Chypre, Israël, le Liban ou la Turquie aspirent eux aussi à ce rôle de hub, mais doivent faire face à de nombreuses tensions : tandis que le Liban et Israël se disputent une partie du bloc 9 de gaz naturel, Chypre et la Turquie ne sont toujours pas parvenues à mettre fin à leur vieux litige frontalier.

Perspectives :

  • La nouvelle raffinerie de Mostorod, au Nord du Caire, devrait ouvrir en 2019 et produira 4,4 millions de tonnes de produits pétroliers par an. Parallèlement à l’agrandissement de la raffinerie de Midor, cela confirme la volonté de l’Egypte de s’affirmer comme une puissance productrice d’or noir.
  • L’Égypte regarde également du côté du nucléaire : en décembre 2017, un contrat a été signé avec la Russie pour la construction de la première centrale nucléaire égyptienne. Il est prévu pour l’heure que la première unité soit prête à fonctionner en 2026.
  • Si la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique égyptien demeure extrêmement minoritaire, espérons que le lancement de la construction, ce mois-ci, de Râ Solar, destiné à devenir le plus grand complexe solaire du monde, entraîne dans son sillage un engouement pour les énergies plus propres dans le pays des pharaons.

Sources :

  1. Hydrocarbures : un contrat à plus d’un milliard pour TechnipFMC en Egypte, Challenges, 31 octobre 2018.
  2. Situation énergétique de l’Egypte en 2018, Connaissance des énergies, 25 mai 2018.
  3. DIA Maimouna, « Egypte : une production gazière record de 6,6 milliards de mètres cubes par jour », La Tribune, 9 septembre 2018.
  4. Accord gazier entre Chypre et l’Egypte pour un pipeline sous-marin, le Figaro, 19 septembre 2018.
  5. SERENI Jean-Pierre, Cette bombe démographique qui menace l’Egypte, Orient XXI, 23 octobre 2018.
  6. Union européenne, Memorandum of Understanding on a Strategic Partnership on Energy between the European Union and the Arab Republic of Egypt 2018-2022, 23 avril 2018.
  7. VIDZRAKU Sylvain, Gaz naturel : l’Egypte reprendra dès 2019 ses exportations vers la Jordanie, La Tribune, 11 août 2018.

Marilou Jeandel