Skopje. Nikola Gruevski a disparu le 8 novembre, jour auquel il devait se présenter à la maison d’arrêt de Shuto Orizari, un quartier au nord de la capitale. Malgré un mandat d’arrêt émis par les autorités macédoniennes, il est parvenu à franchir la frontière avec l’Albanie avant d’être exfiltré par la Hongrie en passant par le Monténégro et la Serbie, d’où il a été emmené à Budapest (5). « Ces derniers jours, j’ai reçu d’innombrables menaces pour ma vie. Je suis désormais à Budapest, et j’ai demandé l’asile politique aux autorités hongroises », écrivait-il le 13 novembre sur Facebook, à la stupeur générale. « Je serai toujours fidèle à la cause de la Macédoine. Je ne renoncerai jamais. » (6)

Budapest a rapidement accordé l’asile à Gruevski, condamné en mai à deux ans de prison ferme pour l’acquisition illégale d’une Mercedes d’une valeur de 600 000 euros. La décision rend caduc le mandat d’arrêt international émis le 12 novembre par la Macédoine. Les médias pro-gouvernementaux de Budapest présentent cette mesure comme la protection d’un homme poursuivi par des forces de gauche aux ordres de George Soros (3).

Ce dossier représente un double défi : il souligne d’abord les failles de l’actuel gouvernement macédonien de centre-gauche, qui a laissé s’échapper une personnalité politique de premier plan, condamnée au terme d’une procédure judiciaire supposément régulière (1). Des accusations d’« arrangement préalable » et de négligence flottent pourtant déjà à Skopje. Il met ensuite à rude épreuve la rhétorique de l’Union concernant l’État de droit. Si Bruxelles devait accepter la situation actuelle comme un fait accompli, elle cautionnerait une nouvelle dérive de Budapest tout en envoyant un signal très négatif à une Macédoine en proie à de nombreuses difficultés : réformes économiques, renforcement du système judiciaire, changement de nom, exode de la population.

Un grand flou flotte encore sur l’activité de Nikola Gruevski, ses plans à court terme, et sur les intentions de Bruxelles. Pour le moment, le Parlement européen s’est exprimé en approuvant, le 29 novembre, deux amendements proposés par les S&D et les Verts, demandant à la Hongrie d’extrader Gruevski et condamnant la Hongrie d’ingérence (6). Le dossier, explosif, pourrait mettre à mal la crédibilité et le soft power de Bruxelles.

Perspectives :

  • Côté européen, il faudra notamment surveiller les réactions officielles des chancelleries européennes et de la Commission.
  • Côté macédonien, le Parlement vient de retirer à Nikola Gruevski – par ailleurs député – son immunité parlementaire. Cependant, les chances que l’ancien Premier Ministre revienne de lui-même en Macédoine s’amenuisent, alors même que le pays est en train de mener la réforme constitutionnelle pour changer son nom. En effet, la majorité a durement besoin des voix du VMRO-DPMNE d’opposition, auquel appartient Gruevski (4).

Sources :

  1. ADAMOVSKI Goran, The police had to know where Gruevski was, Nezavisen, 16 novembre 2018.
  2. European Parliament, 2018 Report on the former Yugoslav Republic of Macedonia, 29 Novembre 2018.
  3. FÖLDI Bence, Gruevski’s Great Escape Highlights Hungarian Media’s Bias, Balkan Insight, 2018.
  4. FYROM : Parliament strips ex-PM Gruevski of his MP Immunity, Independent Balkan News Agency, 2018.
  5. LEPELTIER-KUTASI Ludovic, Nikola Gruevski, le « réfugié VIP » de Viktor Orbán, Le Courrier d’Europe centrale, 2018.
  6. NAUMOVSKI Jaklina, Macédoine : Les mystères de la fuite de Gruevski en Hongrie, Le Courrier des Balkans, 2018.

Charles Nonne