Benghazi. À quelques jours de la fin de la conférence internationale de Palerme, il y est nécessaire de raisonner à froid sur ce qui a émergé d’un sommet international ayant la Libye pour protagoniste : celle-ci semble de nouveau témoigner d’une situation politique encore complexe et d’une profonde désintégration de ce qui reste des structures économiques et des infrastructures libyennes. Bien que la guerre pour le contrôle du territoire et des ressources soit de fait toujours en cours, l’attention internationale semble de plus en plus tournée vers les enjeux imminents de la reconstruction économique. Même si la rencontre de Palerme s’est positivement distinguée des précédentes par la variété des thèmes traités – une place a en effet été accordée également au débat sur la nécessité d’une approche intégrée de la crise qui tienne compte des aspects économiques aux côtés de ceux plus proprement politiques – la tournure à donner au processus de reconstruction n’est de fait pas encore claire. Les actions concrètes à mettre en œuvre ont été peu discutées, dans un pays dévasté par sept années de guerre. Et c’est justement sur ce terrain que se jouera le pari du Premier ministre italien Conte lors d’une conférence qui, comme lui-même l’a déclaré, « n’a pas été un épisode isolé » 1. L’Italie est certainement un partenaire privilégié avec lequel les pourparlers avancent ; c’est aussi le premier État à avoir initié des discussions et des rencontres entre des chefs d’entreprises italiennes et libyennes afin de discuter de possibles projets de financement2.

La volonté des acteurs internationaux d’initier un processus de reconstruction parallèle à celui de la stabilisation politique et sécuritaire sera-t-elle couronné de succès ? Rien n’est moins sûr, bien que ce soit sur cette question que les efforts majeurs se sont jusqu’à l’heure concentrés. Ce qui est sûr, cependant, c’est que les formes et les modalités de reconstruction auront des implications politiques de longue durée et des retombées géopolitiques considérables. Dans le même temps, les autorités libyennes continuent les consultations avec les nombreux acteurs internationaux envisageables. Aux potentiels partenaires italiens s’en ajoutent d’autres, européens, russes, chinois, américains et venant des pays du Golfe.

Sur cette lancée, le dimanche 25 novembre, un séminaire s’est tenu à Benghazi, qui a vu la participation de représentants de Solidere, société libanaise qui a supervisé la reconstruction du centre de Beyrouth après la guerre civile libanaise dans les années 1990 3.

À cette rencontre, ont participé également le Gouverneur de la Banque centrale de Libye Ali Al-Habri, un membre de la Chambre des représentants, le Président de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Benghazi et le Président de l’Autorité pour la Promotion des Investissements Nasser Najm, outre un certain nombre d’hommes d’affaires et de personnalités publiques. Au centre du débat, l’expérience de Beyrouth, dans une tentative de la confronter aux besoins de reconstruction de Benghazi.

Solidere a été vivement critiquée pour avoir suivi un modèle de reconstruction centré sur la privatisation des espaces originairement destinés au public, ainsi que pour la démolition et la restructuration à grande échelle des édifices historiques et symboliques de la ville. Ce modèle a eu des répercussions sur la géographie de la ville, dont le centre a été détaché du reste du tissu urbain et s’est transformé en un « îlot de luxe », attractif pour les capitaux financiers du Golfe, mais largement inaccessible à la majeure partie des citoyens moyens libanais. Face à cette perspective, il faudrait se demander si un tel modèle de reconstruction, qui recourt à des sociétés d’opérations immobilières (en mesure d’accéder aux financements internationaux et libérées des restrictions fiscales des gouvernements nationaux), est également souhaitable pour la Libye. En fait, dans le cas libyen également, les dysfonctionnements dans les rangs du gouvernement et la quasi impossibilité d’accorder les parties intéressées sur une stratégie de développement unifiée poussent les autorités à recourir à des ressources privées pour exécuter leurs projets de reconstruction.

La Banque mondiale a estimé que la reconstruction de la Libye coûterait près de 100 milliards de dollars 4. Des fonds d’une telle ampleur ne pouvant vraisemblablement pas se trouver localement, et étant donné les nombreuses divergences au sein de la communauté internationale sur les modalités d’approche de la crise libyenne, la question de l’origine future de ces financements apparaît immensément complexe. Et même en restant réaliste, dans le cas où une vision de « renaissance spectaculaire » de la ville de Benghazi prévaudrait, qui se tournerait vers le secteur privé pour la réaliser, l’Italie réussirait difficilement à défendre son rôle de partenaire privilégié et laisserait la place aux immenses capacités financières des monarchies du Golfe, avec d’évidentes conséquences politiques et géopolitiques. En outre, certains des pays qui ont participé à l’intervention militaire de 2011 semblent espérer réussir à obtenir des contrats pour reconstruire le pays. Les choix qui en découleront seront décisifs pour ouvrir aux acteurs internationaux des perspectives d’opportunité et d’influence sur les dynamiques du pays.

Un fait que la communauté internationale devrait désormais avoir assimilé est que le contrôle et la gestion locale des contrats qui seront émis sont fondamentaux pour la réussite d’une reconstruction qui se fasse au bénéfice de tous les Libyens. Le risque de création de monopoles contractuels qui généreraient l’exclusion et la marginalisation de certains groupes de la jouissance des biens publics est actuellement très fort en Libye. Le gouvernement actuel est difficilement en mesure d’assumer un contrôle sans faille du processus de délivrance des contrats et de faire en sorte que ce dernier soit transparent, concurrentiel et ouvert.

Perspectives :

  • Les récents efforts internationaux de reconstruction dans la région, comme dans le cas du Liban (mais également de l’Irak), sont des expériences dont on peut tirer des enseignements sur ce qui a raisonnablement bien fonctionné ou, au contraire, sur ce qui a échoué, et sur ce qui devrait être amélioré, en tenant toujours compte des réalités uniques et complexes de chaque pays. En regardant de plus près ce qui est devenu un modèle très célébré à l’échelon gouvernemental international (celui des sociétés d’opérations immobilières) et aux modalités de mise en œuvre des grands projets urbains dans la région, certaines erreurs déjà commises par le passé pourront peut-être être évitées.
Sources
  1. Conte, Conferenza Palermo tappa centrale, ANSA, 9 novembre 2018.
  2. BELLANTONE Rocco, Libia, le imprese italiane sfidano la crisi, Oltrefrontiera, 2 mai 2018.
  3. The Libyan Address, Adress Libya, 18 novembre 2018.
  4. World Bank MENA Economic Monitor, The Economics of Post-conflict reconstruction in MENA, avril 2017, p. 38.