Athènes. Mardi 6 novembre, Alexis Tsipras et l’archevêque Iéronymos se sont entendus sur un accord allant vers la séparation de l’Église orthodoxe et de l’État grec. Parmi les mesures annoncées figurent la fin de la rémunération des membres du clergé par l’État et la clarification des biens de l’Église (4). Examiné par le Saint Synode, l’organe au sommet de l’administration de l’Église orthodoxe grecque, l’accord a suscité de violentes critiques chez la plupart des membres du clergé et devra être renégocié dans les semaines à venir avant d’être soumis à un vote au Parlement.

L’intégration de la Grèce dans l’Union en 1981 avait déjà favorisé un alignement sur les normes européennes de laïcité à travers plusieurs mesures : l’introduction des mariages civils en 1983, la suppression de la mention de l’appartenance religieuse sur les cartes d’identité en 2000 (2) et la fin de l’obligation de l’enseignement religieux à l’école en 2008. Depuis le début de la crise économique grecque, la médiatisation de plusieurs scandales financiers a accentué le discrédit de l’Église orthodoxe auprès d’une partie de la population (3). Les Grecs surtaxés se sont également indignés du maintien d’exemptions d’impôts sur les biens de l’Église (1).

Cependant, les soutiens à l’Église se sont affirmés avec la crise économique. L’Église orthodoxe s’est imposée comme un acteur indispensable de l’action sociale envers les plus démunis à travers les collectes de nourriture et les soupes populaires. La religion grecque orthodoxe continue ainsi de constituer l’un des piliers de l’identité nationale. L’Église a joué un rôle fédérateur lors de la guerre d’indépendance grecque de 1821-1830 face à l’Empire ottoman et a soutenu l’État durant les périodes de crises en cédant des parcelles agricoles. C’est à ce compte que les membres du clergé sont rétribués par l’État.

Avec cet accord, Alexis Tsipras cherche à montrer sa capacité d’action en réalisant une promesse de campagne de son parti, Syriza, une coalition de gauche radicale qui a suscité de grands espoirs en gagnant les élections législatives de 2015. Le premier ministre grec doit en effet combler un manque de popularité dû aux engagements qu’il n’a pas su remplir au cours de son mandat. On lui reproche notamment les concessions accordées à la Troïka – le FMI, la BCE, et la Commission européenne – alors que les Grecs avaient exprimé leur désaccord en votant majoritairement « non » au référendum de 2015. L’accord avec l’Église s’accompagne ainsi d’une série d’annonces : une vague de recrutements dans le secteur public, un rapport sur le secteur de la santé et, surtout, une refonte constitutionnelle.

Dans le passé, les élites politiques des principaux partis grecs se sont montrées favorables à une séparation de l’Église et de l’État ; Alexis Tsipras devra néanmoins faire avec les critiques de son principal opposant, Kyriakos Mitsotakis, président de la Nouvelle Démocratie, qui défend une ligne conservatrice de centre-droit. L’accord lance ainsi la campagne des élections législatives et européennes de 2019. L’opération est risquée : elle pourrait aggraver la fracture des élites politiques avec le bas clergé et les classes populaires attachées à leur identité religieuse et, finalement, aller dans le sens des nationalismes.

Perspectives :

  • Les élections législatives grecques auront lieu le 20 octobre 2019. Des élections anticipées peuvent être convoquées.
  • Les négociations entre le Saint Synode et l’État vont se poursuivre dans les semaines à venir.

Sources :

  1. CHIOTIS Vassilis, KROUSTALI Dimitra, Grèce : l’Église orthodoxe refuse de payer ses impôts, Le Courrier des Balkans, 6 avril 2009, traduction de Laurelou Piguet à partir d’un article original de To Vima.
  2. DEPRET Isabelle, L’Église orthodoxe de Grèce et le « combat » des cartes d’identité (2000-2001), Archives de sciences sociales des religions, no 131‑132, 1 décembre 2005, 27‑46.
  3. KARAMANOLI Eva, PATSOUKAS Achillès, Corruption en Grèce : la fin de l’état de grâce pour l’Église orthodoxe ?, Le Courrier des Balkans. 5 janvier 2012, traduction de Laurelou Piguet à partir d’un article original de Kathimerini.
  4. RAFENBERG Marina, Tsipras et l’Eglise : un accord « historique » est signé entre l’Église grecque et l’Etat, Le Monde, 8 novembre 2018.

Cécile Coudrin