Trieste. Avec sa propre histoire enracinée dans l’empire des Habsbourg, le port de Trieste a été relégué pendant des décennies à un rôle marginal dans le système portuaire italien. Cependant, grâce au Traité de paix de 1947 et au Mémorandum de Londres de 1954, cette extrémité nord-est a conservé un énorme potentiel pour recevoir les flux commerciaux en provenance et à destination de la Méditerranée. Mais cette potentialité et restée bien théorique jusqu’en 2016, date à laquelle un premier décret d’application de la loi 84/1994 a finalement permis de débloquer un financement européen de 16 millions d’euros que la gouvernance régionale et l’autorité portuaire de la ville se sont empressés d’utiliser, alors qu’elles travaillaient déjà depuis quelques années à la modification du plan directeur et à l’extension des réseaux ferroviaires avec l’Europe du Nord.

Alors que la reconnaissance officielle du port franc est finalement arrivée en 2017, une intense campagne de promotion avait déjà commencé bien avant, en particulier vers le marché asiatique. Dès le début, l’organisateur principal de cette initiative a été le président de l’Autorité portuaire de Trieste, Zeno D’Agostino, qui a concentré son attention sur le projet chinois Belt and Road Initiative (BRI) pour réaliser un hub en Europe. Il s’agit d’une initiative mondiale visant à relier Pékin aux marchés les plus dynamiques du Vieux Continent, à savoir l’Allemagne et l’Europe de l’Est, par des réseaux commerciaux maritimes, ferroviaires et aériens.

La Chine était déjà active sur ce terrain et avait apparemment déjà trouvé sa propre base commerciale en Méditerranée, avec la signature du protocole d’accord entre l’Autorité portuaire du Pirée et la compagnie chinoise Cosco Shipping. Mais comme l’a déclaré D’Agostino lui-même, cet investissement était « mauvais, de là on ne fait rien » (1). Le problème fondamental est qu’à partir du Pirée, les infrastructures ferroviaires sont rares ou inadaptées à un certain trafic de marchandises et le trafic routier ne peut pas compenser ; au nord de l’Adriatique, cependant, les liaisons ferroviaires avec le port le plus fréquenté d’Europe, Rotterdam, sont déjà opérationnelles depuis quelques années (3) et l’arrivée des trains est évidemment plus rapide que celle qui aurait lieu depuis la péninsule hellénique.

L’analyste géopolitique Luca Susic (5) soutient que des géants tels que « les entreprises publiques, les banques nationales chinoises et une série de fonds internationaux existants ou construits ad hoc » ont déjà placé les yeux sur Trieste. Récemment, DP World, une société émirienne de gestion portuaire au niveau international et déjà active dans la BRI, s’est également déclarée intéressée, ayant signé un accord avec le Somaliland – l’État sécessionniste de Somalie – pour le port de Berbera, également touché par la route de la soie. L’ambassadeur de Chine à Rome, Li Ruiyu, confirme cependant que des liens plus étroits existent entre Trieste et Pékin : « Zeno D’agostino a visité la Chine deux fois. Il a rencontré des représentants de China Communications Construction et d’autres entreprises chinoises, ouvrant un débat sur l’infrastructure portuaire et la coopération. La Chine a à son tour organisé des missions d’étude dans le port de Trieste » (4).

La ville italienne est également attrayante parce qu’elle offre la possibilité d’établir des installations industrielles directement liées au port et à ses infrastructures, comme l’usine sidérurgique de Servola dans le quartier homonyme de la ville. En fait, cela fait actuellement l’objet de négociations en vue de son acquisition, même si le nom du nouveau propriétaire éventuel n’est pas encore connu ; il est certain que les parties intéressées seraient plus d’une et parmi elles, il y aurait aussi des sociétés chinoises. Un scénario qui aurait déjà pu être présenté à Tarente, que Pékin convoitait avant même le Pirée (2), mais au sujet de laquelle les négociations ont été arrêtées par le désintérêt apparent du gouvernement italien.

Perspectives :

  • Le port de Trieste et la zone industrielle voisine attirent l’attention des grandes entreprises, pas seulement chinoises, qui souhaitent développer leurs marchés. Une éventuelle arrivée d’entreprises étrangères dans le tissu productif de la ville pourrait catalyser ici les investissements portuaires de la région, au détriment d’autres ports tels que Koper et Rijeka.
  • Les investissements chinois à Trieste représenteront une petite partie du total des fonds de la BRI, principalement destinés à l’Asie, et le fait qu’ils ne seront pas les seuls permettra au port de rester neutre par rapport aux grands intérêts des différentes nations.

Sources :

  1. D’AGOSTINO Zeno, Interview accordée à La Lettre du Lundi, décembre 2018.
  2. DE SARLO Pietro, De Sarlo : ‘Le vie della seta e il Porto di Taranto perduto’, Affaritaliani.it, 15 février 2018.
  3. MARANZANA Silvio, Porti, al Molo V treni di Rotterdam, Il Piccolo, 19 janvier 2014.
  4. SPALLETTA Alessandra, Lo scambio commerciale con l’Italia non è l’unica cosa che interessa alla Cina, AGI, 27 août 2018.
  5. SUSIC Luca, Interview accordée à La Lettre du Lundi, décembre 2018.

Timothy Dissegna