Berlin. Le Bundestag a voté ce jeudi 29 novembre 2018, avec une large majorité, une modification de la Loi Fondamentale (Constitution) qui devrait permettre au gouvernement fédéral de mettre en place le « Digitalpakt », un programme fédéral d’investissement dans la transformation numérique des écoles allemandes (3). Jusqu’alors, le domaine de l’éducation et de la formation était strictement réservé à la seule compétence des régions (Länder). Seulement, cette modification constitutionnelle ne sera définitive que si elle est validée à une majorité des deux tiers par le Bundesrat (chambre représentant les 16 Länder). Or, plusieurs Länder ont déjà exprimé leur opposition à ce projet qu’ils assimilent à un empiètement inacceptable sur leurs compétences dont l’éducation constitue un des éléments essentiels.

Symboles de cette opposition, cinq Ministre-présidents (dirigeants de régions) ont publié ce dimanche une tribune dans les colonnes de la Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) par laquelle ils font part de leur volonté de « conserver la diversité et la concurrence » de leurs systèmes éducatifs (2). « Nous ne voulons pas de politique éducative centralisée à Berlin » ajoutent-ils. Ce mouvement est certes principalement issu de la droite puisque quatre des dirigeants concernés sont Volker Bouffier (présidents CDU de Hesse), Armin Laschet (président CDU de Rhénanie-du-Nord-Westphalie), Michael Kretschmer (président CDU de Saxe) et Markus Söder (président CSU de Bavière). D’ailleurs, s’il n’a pas signé la tribune, Daniel Günther (président CDU de Schleswig-Holstein) a aussi exprimé de vives critiques quant au projet de révision constitutionnelle. Il est donc possible de voir dans ces réactions un calcul politique dirigé à l’encontre d’une grande coalition (CDU/CSU-SPD) peu populaire dans l’opinion.

Pourtant, ce débat trouve ses racines dans des considérations plus profondes liées à la structure institutionnelle allemande. À ce titre, parmi les signataires de la tribune, figure Winfried Kretschmann, président de Bade-Wurtemberg et pourtant issu du parti des Verts. La contestation locale (en contradiction avec les positions officielles des directions berlinoises des partis politiques) s’explique en réalité par le caractère symbolique pour le fédéralisme allemand de la compétence en matière d’éducation. A ce titre, Markus Söder évoque « une atteinte profonde à la structure fédérale allemande ». Et le chrétien-social de continuer en estimant que « Berlin pourrait contrôler partiellement le contenu de la politique éducative », ce qui pourrait, selon lui, dégrader la qualité de la formation bavaroise (1). Derrière l’opposition dogmatique, se cache ainsi une opposition plus pratique : le système fédéral a créé une compétition entre les Länder, certains ayant une meilleure réputation éducative (c’est le cas de la Bavière) que d’autres. Les barons locaux n’entendent donc pas laisser Berlin s’immiscer dans ce domaine qui constitue l’un de leurs leviers politiques essentiels.

Pourtant, cette modification constitutionnelle apparaît essentielle dans un pays où le gouvernement fédéral a souvent été critiqué pour son manque d’investissement malgré des balances commerciales toujours plus excédentaires. Le « Digitalpakt » dont il est question représente un investissement de 5 milliards d’euros. Un échec de cette politique représenterait un coup dur pour la grande coalition et démontrerait qu’à sa faiblesse politique actuelle s’ajoute une faiblesse institutionnelle encore plus inquiétante.

Perspectives :

  • Le 14 décembre aura lieu le vote décisif au Bundesrat : une majorité des deux tiers est nécessaire pour modifier la Loi Fondamentale. Cette majorité est aujourd’hui loin d’être acquise.

Sources :

  1. Bayern gegen Grundgesetzänderung in der Bildungspolitik, Die Welt, 30 novembre 2018.
  2. Fünf Ministerpräsidenten wehren sich, Frankfurter Allgemeine Zeitung, 2 décembre 2018.
  3. Bundestag beschließt Grundgesetzänderung, Spiegel Online, 29 novembre 2018.

Ridha Sahli