Chili. Camilo Catrillanca (24 ans), petit-fils du célèbre lonko Juan Catrillanca, est mort dans l’après-midi du 14 novembre lorsque les forces spéciales se sont lancées à la poursuite de plusieurs individus. Selon sa famille, il rentrait chez lui sur son tracteur après une journée de travail, tandis que le gouvernement a déclaré qu’il était considéré comme un des suspects d’un vol de voitures. Le ministre de l’Intérieur a soutenu les forces de l’ordre et leur droit à se défendre lors d’une attaque. Néanmoins, la thèse du gouvernement n’a pas pu être vérifiée : un des quatre policiers appartenant au commando spécialisé pour maintenir l’ordre dans cette région a effacé la vidéo filmée par sa caméra de sécurité, dispositif obligatoire pour la police chilienne. Le Congrès a observé une minute de silence mais certains sénateurs, affiliés au gouvernement, ont refusé de rendre hommage au jeune Mapuche.

Depuis, des manifestations ont eu lieu dans tout le pays en signe de protestation. Les quatre policiers accusés ont été expulsés du GOPE (Groupe d’Opérations Spéciales de Police) et ont été traduits en justice : ils devront être inculpés pour homicide, d’entrave à l’enquête et de destruction de preuves. Le gouvernement a demandé à ce qu’ils soient placés en détention provisoire. Pour sa part, le laboratoire de criminalistique de la Police d’Investigation (PDI) a déclaré qu’il n’y avait aucune trace de poudre à canon dans le corps de Catrillanca, invalidant la thèse d’un échange de tirs avancée par les quatre policiers.

Ce fait rappelle les tensions durables entre le peuple mapuche et l’État chilien. La région d’Araucanie a été historiquement habitée par les Mapuches, premier peuple indépendant de l’Amérique. En 1862, la coexistence pacifique des Mapuches et de l’État chilien a pris fin avec la création d’une puissante armée qui envahit leur territoire lors de la “pacification de l’Araucanie”. Depuis, et notamment à partir de l’application de la loi antiterroriste datant de l’époque de la dictature d’Augusto Pinochet, les Mapuches réclament la reconnaissance constitutionnelle de leur peuple, la restitution de leurs territoires, la démilitarisation de la région et les excuses publiques du gouvernement chilien pour les années de répression subies. Toutefois, depuis le meurtre du jeune Mapuche Matías Catrileo et du couple Luchsinger-Mackay en 2013, la région connaît une escalade de violence, générant un débat sur le conflit mapuche qui divise les chiliens, la classe politique et les médias.

L’Affaire Catrillanca a suscité des réactions au niveau international où des médias espagnols, argentins, allemands et anglais n’ont pas tardé à le qualifier de meurtre faisant directement référence à la responsabilité du Comando Jungla et du gouvernement, suite à des révélations selon lesquelles Camilo Catrillanca était suivi par les services de renseignement chiliens depuis longtemps en raison de son militantisme. Sa mort continue de faire l’objet de débats : la Chambre des députés n’a pas pu se prononcer sur la création d’une commission d’enquête par le manque de quorum nécessaire, soit 2/5 des députés en exercice.

Perspectives :

  • L’Affaire Catrillanca fragilise le gouvernement de centre-droite de Sebastián Piñera, élu il y a un an, et qui avait lancé un grand plan pour la région en septembre 2018 pour associer la communauté Mapuche au plan de développement du pays, pour promouvoir les investissements publics d’ici à 2026 et permettre la reconnaissance des peuples indigènes dans la Constitution. L’ONU et l’Institut National des Droits de l’Homme (INDH) se sont déjà prononcés sur les méthodes des forces spéciales. Il convient de rappeler qu’il y a quelques années, le pays a dû donner des explications devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies sur la situation de violence en Araucanie.
  • Le Chili est aujourd’hui confronté à un problème politique lié à sa Constitution, dont la solution implique des accords sur son organisation et son gouvernement interne dans la région d’Araucanie, la reconnaissance et la représentation politique ainsi que la satisfaction économique et culturelle du peuple Mapuche. Si l’éclat ne trouve pas une solution rapide, il risque de devenir endémique et d’évoluer vers un conflit d’autodétermination de par la violence et la stratégie de militarisation poussée du gouvernement.

Sources

  1. Caso Catrillanca : Bajo fuertes medidas de seguridad se realiza formalización de excarabineros, Ahora Noticias, 30 novembre 2018.
  2. BAEZA Angélica, Fiscalía asegura que Carabineros dispararon por la espalda en contra del tractor “sin que mediara ninguna acción que lo justificara”, La Tercera, 30 novembre 2018.
  3. CATENA P. et al., Caen un general, un coronel y 4 miembros del Gope por muerte de Catrillanca, La Tercera, 19 novembre 2018.
  4. Prensa internacional pone el foco en muerte de Catrillanca y advierte intensificación del conflicto mapuche, El Mostrador, 16 novembre 2018.
  5. SALDOMANDO Angel, La longue lutte des Mapuches, Ligue des Droits de l’Homme, mars 2013.
  6. VEDOYA, S. et al., Caso Catrillanca : los cinco temas que deberá resolver la fiscalía, La Tercera, 17 novembre 2018.

Francisca Corona Ravest