Vancouver. Le 1er décembre dernier, la police canadienne a arrêté sur demande américaine Mang Wangzhou, la directrice financière du groupe Huawei. Washington avait demandé son extradition, invoquant la livraison de matériel à l’Iran en violation de l’embargo imposé par les États-Unis. Cette mesure arrive quelques heures seulement après la trêve conclue autour de la guerre commerciale entre Donald Trump et Xi Jinping lors du dernier G20 à Buenos Aires.

Meng Wanzhou, vice-présidente du premier groupe mondial dans le domaine de l’équipement et numéro deux pour la production de smartphones depuis le début de 2018, est surtout la fille de Ren Zhengfei, le fondateur du groupe et ancien officier de l’armée chinoise. Ce dernier est le vrai capitaine d’une industrie en croissance fulgurante depuis 15 ans, dont les succès se sont parfois faits aux dépens de ses concurrents dont certains n’ont pas survécus comme le français Alcatel. Huawei fait aujourd’hui violemment concurrence aux entreprises européennes (Nokia, Ericsson) ou encore télécoms américains (Verizon, T-mobile ou Sprint).

Cette affaire est une illustration de la compétition technologique toujours plus féroce entre la Chine et les États-Unis. L’Amérique sort aujourd’hui l’arme lourde pour protéger ses entreprises nationales, à savoir l’ouverture d’une poursuite judiciaire par le Department of Justice envers la dirigeante. Les déboires de Huawei ne sont pas sans rappeler les poursuites de ZTE (3). En octobre 2018, cette autre entreprise de l’Empire du milieu a elle aussi été mise sous le joug des sanctions du Département de la justice américaine. Un tribunal fédéral que beaucoup de commentateurs tendent à qualifier de brique essentielle du “modèle institutionnel du nationalisme économique américain” (2), tant les États-Unis ne lésinent pas à utiliser ces voies judiciaires pour mettre en difficultés les concurrents directs des entreprises américaines.

Cette méthode musclée de Washington est à comprendre dans le contexte des récentes offensives de Huawei sur le marché américain et européen de la 5G. En effet, le leadership mondial de cette technologie pour laquelle l’Europe accuse un retard préoccupant (2), sera déterminant pour faire émerger les futurs géants de la tech, tant la 5G est porteuse de transformations majeures, au premier rang desquelles les voitures autonomes, les objets connectés ou la télémédecine.

La bataille fait rage. Depuis cinq ans, le gouvernement chinois a mis les bouchées doubles : un rapport du ministère de l’Industrie et des Technologies de l’information (4) estimait à plus de 200 milliards d’euros les investissements cumulés sur la 5G d’ici 2025. Les États-Unis mènent de leur côté une bataille de diplomatie économique et ont déjà réussi à convaincre l’Australie, la Nouvelle Zélande, l’Inde et peut-être bientôt la France et l’Allemagne de ne pas recourir aux équipements du chinois Huawei pour des raisons de “sécurité nationale”.

Perspectives :

  • L’affaire Huawei serait-elle le symptôme d’une fuite en avant vers une guerre technologique sino-américaine autour du marché de la 5G ?
  • L’initiative des États-Unis est une première et douloureuse épine dans le pied du consensus auquel sont parvenus Washington et Pékin en Argentine où se déroulait le dernier G20. Il y a fort à parier qu’elle précipitera la reprise des sanctions.
  • L’affaire Huawei semble surtout donner crédit à une nouvelle clé de lecture de la guerre commerciale engagée par l’administration Trump.
  • La principale crainte des États-Unis semble non pas tant la peur de la désindustrialisation largement entamée de la Rust Belt américaine que l’avance technologique de la Chine sur plusieurs secteurs d’avenir portée par le plan « Made in China 2025 » que Washington tente aujourd’hui d’endiguer par tous les moyens.

Sources :

  1. GARAPON Antoine, SERVAN-SCHREIBER Pierre, Deals de justice, Le marché américain de l’obéissance mondialisée, Paris, PUF, 2013.
  2. Parlement européen, Rapport Le leadership européen en matière de 5G, mars 2017.
  3. La justice américaine place ZTE sous contrôle jusqu’en 2022, Reuters, 4 octobre 2018.
  4. 工业和信息化部.

Marilou Rouja-Vandenbrouck