Washington. La décision de Donald Trump d’augmenter les tarifs douaniers sur un large panel de produits chinois dont son marché intérieur est pourtant singulièrement dépendant, et à laquelle la Chine a répondu par des hausses similaires a commencé à peser sur la croissance américaine ces semaines dernières (5), et le risque d’une escalade inflationniste est de plus en plus sérieux. Dans ce context, le G20 de Buenos Aires a été l’occasion de négocier une sortie de cette crise commerciale, et pourrait constituer un précédent pour les Européens dans la négociation des rapports commerciaux avec les États-Unis — à moins qu’ils ne soient les grands oubliés et perdants de l’accord en question. Mais si l’accord temporaire entre Xi et Trump au G20 semble éloigner la possibilité d’une confrontation sur le commerce, les semaines qui ont conduit à cette rencontre historique sont révélatrices du processus décisionnel de la Maison Blanche trumpienne (3).

Le 13 novembre dernier, sur CNBC, le conseiller économique de Trump Larry Kudlow a réfuté les propos du conseiller commercial Peter Navarro quant aux tentatives présumées de Wall Street de s’immiscer dans les négociations des tarifs douaniers entre la Chine et les États-Unis, troublant ainsi les attendus sur la teneur des échanges entre Trump et Xi Jinping lors du G20 (4). Trump lui-même ne se prononçait pas sur sa volonté d’un accord, rendant les négociations particulièrement incertaines avant même leur déroulement (2).

Contre l’idée de Navarro que Trump, du haut de son indépendance revendiquée, mépriserait les conseils des marchés et imposerait unilatéralement ses propres vues protectionnistes, Larry Kudlow a rappelé que “rien n’est figé dans le marbre” et que de vraies négociations devaient avoir lieu, dénonçant le protectionnisme entêté de la partie la plus hawkish du gouvernement. L’escarmouche met en effet en scène l’opposition au sein du cabinet présidentiel entre ceux qui prennent au mot le protectionnisme vendeur du trumpisme — envers et contre tout — et les défenseurs parcimonieux d’un retour au libre-échange qu’ils savent indispensables — au vu de la crise commerciale et diplomatique qui menace.

Cette joute, qui confine à l’admonestation, n’est pas seulement l’une des bruyantes polémiques auxquelles les personnages de la Comédie Trumpienne nous ont habitué. Sous le brouhaha de la division, il existe un clivage plus général. En effet, il ne s’agit pas d’une simple occasion manquée pour l’administration Trump de présenter une stratégie unifiée de règlement de la guerre commerciale en cours.

Analysant le rôle du président américain dans la politique étrangère, Tocqueville pensait que “la politique des Américains vis-à-vis du monde entier est simple : on pourrait presque dire que personne n’a besoin d’eux, et qu’ils n’ont besoin de personne”. Voilà la politique étrangère rêvée du trumpisme, illusion que Kudlow a dénoncé comme dépassée en rappelant qu’une politique réaliste et une perspective long-termiste feront de cette guerre commerciale l’occasion de négocier les termes d’un libre-échange plus favorable. Assiste-t-on, selon l’expression d’Aron, à un cas de “conscience déchirée” typique des gouvernements partagés entre la fidélité aux principes et les conséquences de leurs décisions ?

La radicalité du trumpisme ne serait que de façade, et d’une façade qui se craquelle dès que les enjeux sont trop importants. Il s’agirait là d’une manifestation presque rassurante du surmoi d’une administration profondément clivée entre une conviction populiste et — malgré tout — une éthique de responsabilité.

Ainsi ce rappel à l’ordre est peut-être la promesse pour l’Europe inquiète de cette menace protectionniste que la préférence pour le libre-échange n’est pas une option définitivement écartée — en bref, qu’un sursaut de réalisme est possible. Tocqueville notait d’ailleurs que “le président peut fréquemment changer de vues sans que l’État souffre ou périsse”. En jugeant les résultats du G20, on pourrait dire qu’une trève réaliste a été identifié pour le moment entre les deux parties. Pour autant, rien est écrit dans le marbre, et la négociation future pourrait se faire  aux dépens de l’Union (1) si l’accord se fait sur des conditions d’exclusivité.

Perspectives :

  • La continuation des discussions entre Washington et Beijing décidée au G20 dépendra largement de l’ouverture du camp Trump à la négociation, et donc de la capacité de persuasion du parti de Kudlow.
  • Les issues possibles des négociations sur le long terme sont le statu quo, qui pourrait donner lieu par la suite à une nouvelle escalade des tarifs stagflationnistes, un désamorçage progressif et une normalisation, ou encore la conclusion d’un accord exclusif des intérêts européens.

Sources :

  1. HANKE Jakob, Hans von der Burchard, Brussels fears Trump-Xi deal at Europe’s expense, Politico, 28 novembre 2018.
  2. MASON Jeff, Trump coy on China trade deal before meeting Xi, Reuters, 29 novembre 2018.
  3. MOHSIN Saleha, EPSTEIN Jennifer, MARTIN Peter and WADHAMS Nick, Trump, Xi Agree to Temporary Truce in Bid to Contain Trade War, Bloomberg, 1 decembre 2018.
  4. NEWMYER Tory, The Finance 202 : Kudlow-Navarro spat reveals ongoing White House split over China, The Washington Post, 14 novembre 2018.
  5. WHITE Ben, Trump’s trade war collides with economic reality, Politico, 29 novembre 2018.

Thomas Belaich