Buenos Aires. La conférence argentine d’évêques a voté le 9 novembre en faveur de la réduction progressive des fonds que l’Église catholique reçoit de la part de l’État. Le budget 2019, approuvé le 15 novembre par le Sénat et comprenant d’importantes coupes budgétaires, prévoyait le versement de 126 millions de pesos (3 millions d’euros) destinés à payer les salaires des évêques et à contribuer à la maintenance des paroisses frontalières (5). Alors que l’article 2 de la Constitution argentine revendique le soutien du culte catholique apostolique romain, c’était la dictature militaire qui avait établi, avec le décret de la loi 21.950 en 1979, l’obligation pour l’État de verser aux évêques une somme mensuelle équivalente à 70 pour cent de la rémunération d’un juge national du Tribunal de première instance.

Cette annonce a été faite dans un contexte marqué par une forte polarisation de la société argentine par rapport au rôle de l’Église catholique dans la mise en place de politiques publiques. Depuis le rejet du projet de loi légalisant l’IVG par le sénat en août, le foulard orange était devenu – aux côtés du foulard vert, symbole de la lutte pour l’avortement – de plus en plus visible dans les rues de la capitale argentine. La campagne pour la séparation de l’Église et de l’État, qui s’est aussi traduite par des apostasies collectives, a gagné de l’ampleur lorsque la conférence épiscopale a mis en cause en octobre la loi d’Éducation Sexuelle Intégrale (ESI), sanctionnée en 2006 par le Parlement, à travers un document qui exigeait le respect « du droit à éduquer nos fils, nos filles et nos jeunes selon nos propres idéaux et nos propres convictions éthiques et religieuses » (1).

Depuis le mois d’août, neuf projets de lois avaient été présentés par des députés d’horizons politiques différents, dont  l’Union Civique Radicale (UCR), parti membre de la coalition au pouvoir Cambiemos, afin de réaffirmer la condition laïque de l’Argentine. Cette annonce a permis d’apaiser les relations entre le gouvernement de Mauricio Macri et l’Église catholique, tendues depuis un certain moment – bien avant les crispations suite au débat sur l’avortement. En mai, le titulaire de la Commission de la Pastorale Sociale critiquait déjà le prêt du Fonds Monétaire International (FMI) (4). Or, c’est le soutien à la manifestation « Pain, Paix et Travail » (6) du 20 octobre, organisée par Hugo Moyano, leader du Syndicat de routiers et un des principaux opposants au gouvernement, réalisée face à la Basilique de Luján et accompagnée d’une messe, qui a marqué une rupture avec de nombreux membres de Cambiemos.

Perspectives :

  • La perte de légitimité de l’Église catholique en Argentine contraste avec l’importance croissante des évangéliques dans le pays – même si, à différence du Brésil ou des pays de l’Amérique centrale, où les évangéliques représentent entre 25 et 40 pour cent de la population, ceux-ci restent minoritaires. La lutte contre le projet de loi légalisant l’avortement et contre l’Éducation Sexuelle Intégrale (ESI) puise de plus en plus ses racines aujourd’hui dans la base évangélique constituée de 4 millions d’argentins. Bien moins développée qu’au Brésil, l’Église Universelle du Royaume de Dieu a lancé la semaine dernière une vidéo institutionnelle dans laquelle l’on observe des jeunes “Gladiateurs de l’Autel”, “destinés à faire l’oeuvre de Dieu et défaire celles du mal” (2).
  • En Amérique latine, l’Église catholique perd du terrain au profit des évangéliques qui réussissent à être de plus en plus influents sur le plan politique. La victoire de Jair Bolsonaro aux élections présidentielles brésiliennes n’est pas une exception : le futur président mexicain Andrés Manuel López Obrador avait constitué lors de la campagne une alliance avec le parti évangélique Partido Encuentro Social (PES) alors qu’au Costa Rica, le candidat Fabricio Alvarado, du parti évangélique Restauración Nacional, avait obtenu 40 pour cent des voix au premier tour des élections présidentielles. L’évêque émérite de Washington, Theodore McCarrick, considérait déjà qu’une des principales missions du pape François allait être le frein au développement de l’évangélique dans le continent (3).

Sources :

  1. El documento de la Iglesia que cuestiona la ley de educación sexual, Perfil. 4 octobre 2018.
  2. SANTA CRUZ, Daniel. Gladiadores del altar : el adoctrinamiento de jóvenes en la iglesia evangélica porteña, La Nación. 17 novembre 2018.
  3. STEFANONI, Pablo. Iglesias evangélicas, un poder que crece en América Latina, La Nación. 27 mai 2018.
  4. La Iglesia criticó el regreso al FMI : ‘No es una salida inteligente’, Perfil. 11 mai 2018.
  5. DINATALE, Martin, La Iglesia dispuso que dejará de recibir fondos del Estado nacional en forma gradual, Infobae. 09 novembre 2018.
  6. Moyano encabeza mañana una celebración en Luján por “Pan, Paz y Trabajo, Télam. 20 octobre 2018.

Felipe Bosch