Bucarest. La présidence semestrielle du Conseil de l’Union est un moment clé de la vie politique européenne : tout d’abord, elle est un instrument utile pour coordonner les positions des États membres avant que des décisions majeures ne soient prises. Elle est ensuite l’occasion de relancer des dossiers abandonnés et d’attirer l’attention sur des problématiques qui tiennent la présidence à cœur. Enfin, il s’agit d’une opportunité unique pour les États membres de montrer leur crédibilité et leur expertise tout en développant influence, réseaux et savoir-faire dans les cercles bruxellois.

C’est dire le nombre de défis qui attendent Bucarest, qui se verra remettre les rênes du Conseil par l’Autriche le 1er janvier 2019 avec un agenda très ambitieux (3). Le gouvernement roumain est actuellement dirigé par la Première ministre Viorica Dancila, bien que l’exercice effectif du pouvoir semble reposer entre les mains de Liviu Dragnea, président du Parti social-démocrate de Roumanie et tenu hors de l’exécutif en raison de condamnations passées.

Or, la Roumanie, septième plus grand État membre en termes de population, est entrée dans l’Union le 1er janvier 2007. Le pays demeure aujourd’hui frappé par une économie fragile, une dépopulation rapide, la corruption chronique, des tensions houleuses avec certaines de ses minorités et une division extrême du spectre politique (4).

Ces problèmes semblent avoir rattrapé les Roumains à la veille de la présidence : comme l’a annoncé le 12 novembre le chef d’État Klaus Iohannis, “la présidence est une position honorable et très exigeante, surtout pour le gouvernement – mais nous n’y sommes pas préparés”. Quelques jours auparavant, le jeune ministre délégué en charge des préparations pour la présidence, Victor Negrescu, démissionnait dans des conditions encore obscures, privant le gouvernement roumain d’un acteur-clé (1).

Au-delà de son état d’impréparation, les critiques pleuvent également sur les politiques mises en place en interne. Le référendum d’octobre 2018 sur la constitutionnalisation d’une vision conservatrice du mariage avait été vivement critiquée par les sociaux-démocrates européens. Le 13 novembre, le Parlement européen a adopté une résolution dénonçant le bilan de Bucarest concernant l’État de droit, l’indépendance de la justice et la lutte contre la corruption (2). Cette présidence par un pays affaibli, en proie à des clivages politiques majeurs et mal préparé, pourrait constituer un frein à la relance post-Brexit de l’Europe.

Perspectives :

  • La présidence est une tâche d’autant plus ardue pour la Roumanie que c’est la première fois que le pays occupe cette position. Ce semestre est à la fois une occasion pour Bucarest de redorer son blason et d’orienter l’agenda vers des sujets qui la préoccupent. Pourtant, les mois à venir augurent d’une confrontation de grande ampleur entre le gouvernement social-démocrate et ses homologues européens. Le gouvernement souhaite par exemple décriminaliser certaines infractions et faire passer plusieurs lois risquant d’affaiblir le système judiciaire.
  • De nombreux défis attendent la Roumanie lors de sa présidence : gestion du Brexit après la date fatidique du 29 mars 2019, supervision des élections européennes en mai 2019, tractations visant à nommer les nouvelles têtes de l’exécutif européen au lendemain du scrutin. Dans cette période, plusieurs centaines de rencontres se tiendront en Roumanie, probablement plus d’un millier à Bruxelles, avec pour moment phare le sommet européen de Sibiu. Malgré les garanties offertes par le gouvernement roumain, la Finlande, supposée prendra la présidence le 1er juillet 2019, aurait commencé à se préparer à un changement subit de calendrier et prendre la place de Bucarest, qui n’assurerait la présidence que six mois plus tard (5).
  • Le premier semestre 2019 peut également avoir un effet de long terme sur le poids diplomatique et la réputation de la Roumanie au sein de l’Union européenne.

Sources :

  1. GOTEV Georgi, Romanian Europe minister resigns on cusp of EU stint, Euractiv, 2018.
  2. LUCA Ana Maria, Brussels Slams Romania for ‘Weakening Rule of Law’, Balkan Insight, 2018.
  3. Présidence roumaine du Conseil, Topics of Interest, 2018.
  4. RETTMAN Andrew, Romanian leaders trade jibes over upcoming EU presidency, euobserver, 2018.
  5. VASILIU Oana, Analysis. Council of EU presidency : is Romania ready ? BusinessReview, 2018.

Charles Nonne