Le Caire. Vendredi 2 novembre, la communauté copte d’Egypte a été frappée par un énième attentat meurtrier, revendiqué le soir-même par Daech. Il s’agit du premier attentat en dehors de la péninsule du Sinaï revendiqué par Daech en 2018. Dans sa déclaration, l’organisation a affirmé avoir tué 13 personnes et en avoir blessé 18 autres. Selon les chiffres des autorités égyptiennes, ce sont au moins sept personnes, dont six membres d’une même famille, ont perdu la vie, tandis que 19 autres ont été blessées par des tirs visant deux bus et un microbus qui revenaient du monastère orthodoxe de Saint-Samuel (2). Ces bus avaient, semble-t-il, utilisé une route latérale, la voie principale menant au monastère étant fermée conformément à des instructions de sécurité. En effet, cette zone désertique et coupée des réseaux de communication constitue, pour l’organisation Etat islamique (EI), un terrain idéal pour perpétrer des attaques contre la communauté copte, cible privilégiée du groupe terroriste. Preuve de l’isolement du lieu, l’attaque serait survenue autour de 14 heures, heure locale, et les forces de sécurité ne seraient arrivées que 2 heures après le drame.

Ce tragique événement nous ramène un an et demi plus tôt, le 26 mai 2017, au lendemain de l’Ascension, lorsqu’une dizaine de membres de Daech s’en étaient pris à deux véhicules transportant des coptes, également à proximité du monastère de Saint-Samuel, ôtant la vie d’au moins 28 d’entre eux et en blessant plus de 25, dont de nombreux enfants (4). Le jour même, les autorités égyptiennes décidaient de mener des frappes aériennes contre des “camps d’entraînement terroristes” dans la ville libyenne de Derna, les djihadistes y ayant pris position étant, selon le ministre égyptien des Affaires étrangères Sameh Choukri, directement responsables de l’attaque de Minya. Cette affirmation avait laissé nombre d’observateurs perplexes, puisque les combattants présents à Derna étaient membres de la Majlis Choura, milice proche d’Al-Qaïda, qui avait combattu Daech et l’avait expulsé de la ville en juin 2015 (5). La Majlis Choura avait nié toute responsabilité dans cette attaque.

Dans les faits, cette intervention militaire avait permis au général Khalifa Haftar, commandant en chef de l’Armée nationale libyenne et allié du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, de resserrer son étau sur cette ville de Cyrénaïque échappant à son contrôle. Mais ce n’est que plus d’un an plus tard, en juin 2018, que le général avait annoncé “la libération de Derna”. La situation y demeure à ce jour extrêmement instable et nombre de djihadistes y sont toujours présents, comme l’illustre l’arrestation dans la ville, début octobre, de Hicham al Achmaoui. Cet Égyptien, ancien officier des forces spéciales, était devenu le chef du réseau islamiste Al-Mourabitoune, après avoir combattu en Syrie dans les rangs de Jabhat al-Nosra, puis avoir aidé à fonder le groupe Ansar Beit al-Maqdis, devenu ensuite Wilayat Sinai, branche de l’EI dans la péninsule du Sinaï (6).

Si cela démontre sans conteste la perméabilité des liens entre cellules terroristes, ce ne doit pas pour autant mener à opérer une confusion entre des groupes djihadistes aux historiques et agendas fort différents. En l’occurrence, seul l’EI a fait des Egyptiens coptes sa cible explicite. En mai 2017, dans sa revue Al-Naba, le groupe affirmait : “le ciblage des églises fait partie de notre combat et de notre guerre contre les impies et les infidèles”, appelant les musulmans à “rester à l’écart des rassemblements chrétiens” (7).

Or, selon le chercheur Dominique Thomas, cette lecture “parcellaire et doctrinale” de la mouvance islamiste contribue à l’échec de la lutte antiterroriste menée par le Caire. Cette fois-ci, les forces égyptiennes ne sont néanmoins pas intervenues hors de leurs frontières, mais ont tué 19 djihadistes impliqués dans l’attentat, selon une déclaration du ministère de l’Intérieur, dimanche 4 novembre, moins de 48 heures après l’attaque (8). Une fusillade aurait eu lieu, suite à des raids menés dans les zones montagneuses et désertiques de la province de Minya. Comme souvent, le ministère n’a pas donné de détails sur les circonstances des raids mais a expliqué que “les éléments terroristes ont ouvert le feu sur les forces de sécurité, qui ont répliqué”. Les autorités se devaient de montrer une réaction forte et rapide, face à l’impatience et à la colère des Coptes, particulièrement à Minya, où ceux-ci sont particulièrement nombreux : les Coptes y représenteraient près de la moitié de la population, contre moins de 10 % en moyenne sur l’ensemble du territoire national (9).

Cette dernière attaque place le président égyptien dans une mauvaise posture vis-à-vis de la plus importante minorité du pays, mais également vis-à-vis de la communauté internationale, et tout particulièrement des démocraties occidentales, prêtes à fermer les yeux sur les dérives sécuritaires égyptiennes au nom de la lutte contre le terrorisme.

Perspectives :

  • Alors que le président al-Sissi a inauguré à Sharm el-Sheikh le World Youth Forum, rassemblement d’envergure internationale, sa capacité à éradiquer la menace terroriste est à nouveau remise en question, d’autant que le mode opératoire et le lieu de l’attaque de vendredi 2 novembre est similaire, en tous points, à celle qui était survenue il y a un an et demi et avait également été revendiquée par l’EI.

Sources

  1. En Egypte, la police annonce la mort de 19 « djihadistes » liés à l’attentat contre les coptes, Le Monde, 4 novembre 2018.
  2. MACE Célian, En Egypte, des chrétiens massacrés dans leur bus, Libération, 26 mai 2017.
  3. La situation sécuritaire actuelle des Coptes en Egypte, OFPRA, Direction Information Documentation Recherches, Janvier 2012.
  4. What we know about the militant attack that left at least 7 Coptic Christians dead in Minya, MadaMasr, 2 novembre 2011.
  5. SAÏD Omar, SHAMS EL DIN Mai, HAMAMA Mohamed, En Egypte, la guerre contre le terrorisme s’étend, les attentats aussi, OrientXXI, 27 novembre 2017.
  6. SALLON Hélène et BOBIN Frédéric, Minée par les attentats, l’Egypte cible des camps djihadistes en Libye, Le Monde, 30 mai 2017.
  7. Islamic State is planning more attacks on Egypt Christians, The New Arab, 5 mai 2017.

Marilou Jeandel