Rabat. À l’occasion de la traditionnelle allocution royale du 6 novembre célébrant la Marche verte, le souverain marocain a surpris en appelant son voisin algérien à un dialogue direct. Mohammed VI, après avoir souligné le destin commun unissant les deux pays, a proposé ainsi “à ses frères algériens la création d’un mécanisme politique conjoint de dialogue et de coopération” (8). Cette allocution coïncidant également avec le 60ème anniversaire de la conférence de Tanger – qui avait vu les mouvements de libération du Maroc, d’Algérie et de Tunisie se prononcer pour l’unité du Maghreb – tout porte à croire qu’elle pourrait fait date dans l’histoire des relations bilatérales.

Pourtant, un soupçon de manoeuvre diplomatique pèse sur cette main tendue. Dans le cadre de la résolution du conflit territorial du Sahara occidental, les Nations unies ont invité en Suisse le Maroc, l’Algérie, la Mauritanie et le Front Polisario pour des pourparlers. Ces discussions prévues les 4 et 5 décembre prochains à Genève pourraient justifier la récente accélération diplomatique marocaine. La dernière fois que le Front Polisario et le Maroc ont accepté de négocier remonte à mars 2012. Ce litige occupe une place centrale dans la diplomatie du Royaume et représente un point de discorde bloquant les relations avec l’Algérie. Cette dernière apportant un indéfectible soutien aux indépendantistes.

Le 6 novembre 1975, 350 000 Marocains répondaient à l’appel de leur roi de marcher sur le Sahara occidental, à l’époque sous occupation espagnole, pour affirmer leur souveraineté sur ce territoire. Après 15 ans de guérilla, le Maroc et les indépendantistes du Front Polisario se sont accordés en 1991 sur un cessez-le-feu, dont le respect est garanti par une mission onusienne (MINURSO) avec comme objectif la tenue d’un référendum d’autodétermination. Les négociations sont resté lettre mort et le statu quo perdure jusqu’aujourd’hui. Les résolutions 2414 (27 avril 2018) et 2440 (31 octobre 2018) (1) du Conseil de sécurité des Nations Unies ont été directement façonnées par la posture ferme de l’Administration Trump. Jugée coûteuse et inefficace, la MINURSO n’a été renouvelée que pour six mois, alors que la France défendait un renouvellement d’un an (3).

Félicité par l’ONU pour son initiative, le Maroc a habilement manié les coulisses de la diplomatie pour faire prévaloir sa position. Son retour en force au sein de l’Union africaine (9) après 32 ans de politique de la chaise vide atteste d’une accélération diplomatique visant à marginaliser le camp rebelle. Malgré la guérilla juridique mené par le Polisario, notamment devant la Cour de justice de l’Union, le Maroc reste déterminé à reconquérir dans sa totalité le Sahara Occidental (6). D’ailleurs, quelques jours seulement avant le discours proposant aux Algériens de relancer la coopération bilatérale, le Forum d’Affaires France-Maroc de Laâyoune-Sakia El Hamra a connu un grand engouement. 49 milliards de Dirham d’investissements (4,5 millions d’euros) sont programmés dans la région. L’objectif est limpide : favoriser le développement économique de la zone contestée, offrir des parts de marchés aux entreprises françaises, et ainsi amenuiser les vélléités sécessionnistes (5).

La volonté marocaine d’ouvrir un dialogue bilatéral pour désamorcer le blocage dans lequel se trouvent les relations entre les deux pays voisins a été salué par la communauté internationale, notamment par le secrétaire général de la Ligue arabe Ahmed Aboul Gheit (4), selon lequel “cette invitation importante permettait d’ouvrir un nouvel horizon dans les relations bilatérales ce qui permettrait d’améliorer l’atmosphère au niveau de l’Union du Maghreb arabe et contribuerait à renforcer la coopération en Afrique du Nord et dans la région sahélo-saharienne”. Du côté algérien, les autorités sont pour l’heure restées silencieuses et la presse se méfie de ce qui pourrait être une manoeuvre diplomatique (2).

Perspectives :

  • La main tendue du Maroc à l’Algérie s’inscrit dans une offensive diplomatique et économique pour donner un crédit supplémentaire au Maroc en vue des futures négociations de Genève. La fermeture de la frontière entre les deux pays, dont la réouverture est conditionnée par la résolution du conflit du Sahara occidental, représente une perte économique majeure. L’absence d’intégration du marché amèneront les Européens et Américains à faire pression sur les parties en espérant y tirer un bénéfice commercial.
  • L’Algérie, crispée par des tensions internes à l’approche des élections présidentielles d’avril 2019, reste moins à même d’infléchir son soutien historique au Front Polisario, d’autant que la rivalité avec le Maroc s’affermit depuis peu en Mauritanie. Moins d’un mois avant la relance des pourparlers sous l’égide des Nations Unies, l’Algérie reste de marbre face à la main tendue du Maroc. L’Algérie reste toutefois stable sur ses orientations diplomatiques et continue de s’affirmer comme un partenaire stratégique de taille. La visite à Alger le lundi 12 novembre de Federica Mogherini dans le cadre de l’ouverture de la deuxième session du Dialogue de haut niveau UE-Algérie en matière de sécurité régionale et de lutte anti terroriste (7) en apporte la preuve.

Sources :

  1. Conseil de sécurité de l’ONU, Résolutions 2414 et 2240.
  2. Une nouvelle manoeuvre du roi du Maroc ?, El Watan, 8 novembre 2018.
  3. Sahara occidental : Paris en désaccord avec Washington sur la mission de l’ONU, Franceinfo, 12 octobre 2018.
  4. Ligue des Etats arabes, Communiqué du secrétaire général sur la proposition du Maroc, 8 novembre 2018.
  5. Au Sahara occidental, l’offensive économique du Maroc, Le Monde, 8 novembre 2018.
  6. Le Maroc intraitable sur sa souveraineté, Les Yeux du Monde, 24 mai 2018.
  7. MOGHERINI Federica, Remarques de la Haute Représentante / Vice-Présidente Federica Mogherini lors de l’ouverture de la 2ème session du Dialogue de haut niveau UE-Algérie en matière de sécurité régionale et de lutte anti-terroriste, European Union External Action, 12 novembre 2018.
  8. MOHAMMED VI, Discours à la Nation, 6 novembre 2018.
  9. Le Maroc “Africain” : Amorces d’un virage diplomatique ?, Sowt Al Arab, 26 août 2016.

Yannis Boustani