Skopje. Le 30 septembre 2018, près de deux millions d’électeurs étaient appelés aux urnes pour adopter le changement de nom de leur pays et le rebaptiser “République de Macédoine du Nord”. Avec un taux de participation de 36,89 pour cent, le succès écrasant du “oui” à 94,18 pour cent a eu l’effet d’une victoire à la Pyrrhus, au terme d’un scrutin ostensiblement boycotté par l’opposition : la campagne n’a pas eu pour effet de créer un large consensus national et au sein de la classe politique, prélude à une rapide révision constitutionnelle pour mettre fin à une impasse de 27 ans.

C’est au Parlement macédonien que le champ de bataille s’est déplacé. Au lendemain du scrutin, le Premier ministre de centre-gauche Zoran Zaev a décidé de poursuivre le processus selon le calendrier prévu, c’est-à-dire de faire ratifier le principe du changement de nom par le Parlement à la majorité des deux tiers, puis d’attendre le feu vert d’Athènes. La première étape fut franchie au terme de très douloureuses tractations : le gouvernement n’ayant que 72 voix acquises sur 120 au Parlement, il lui a fallu solliciter les votes positifs de 8 députés d’opposition pour initier la procédure de révision constitutionnelle. Finalement, 80 députés ont voté “pour” et 39 “contre”, une majorité ne tenant qu’à un fil et qui aura coûté aux huit “transfuges” une expulsion immédiate de leur parti, le VMRO-DPMNE (3). “Notre vision d’une meilleure vie dans un meilleur pays va enfin se réaliser”, a cependant déclaré Zaev en marge du vote. “Avec ce genre de décisions, les individus deviennent des héros”.

Mais Zaev doit encore faire passer ses amendements constitutionnels – à la majorité simple –, avant de faire de nouveau approuver le nouveau texte à la majorité des deux tiers. C’est à un numéro d’équilibriste que s’adonne désormais le Premier ministre, sollicité pour des faveurs à la fois par l’opposition et par sa propre majorité (4) : soupçonné d’avoir acheté ou corrompu des parlementaires, sommé d’accorder l’amnistie à d’anciens cadres d’opposition condamnés pour corruption, accusé d’avoir trahi le vote du 30 septembre, Zoran Zaev joue sa survie politique (1).

La précarité du processus est également un coup dur pour l’Union européenne, dont des figures de proue – commissaire à l’élargissement Johannes Hahn, chancelière allemande Angela Merkel – s’étaient succédés à Skopje en septembre pour appeler à un vote positif. Le taux de participation extrêmement bas lors du référendum révèle à la fois une crispation de la population sur les questions nationales et un désenchantement face à Bruxelles.

Perspectives :

  • Le processus de révision constitutionnelle prendra environ trois mois : entre temps, les négociations d’adhésion à l’OTAN ont déjà commencé, propulsées notamment par l’assistant sous-secrétaire d’État américain pour les Affaires européennes et eurasiennes, Matthew Palmer. À Moscou, en revanche, le Kremlin a d’ores et déjà affirmé que l’accord était contraire à la Constitution macédonienne et au droit international, et pourrait mettre un veto à l’adoption du nouveau nom à l’ONU (2).
  • La survie de l’accord est également des plus précaires de l’autre côté de la frontière, à Athènes. Le Premier ministre grec Alexis Tsipras a dû passer outre l’opposition farouche de son partenaire de coalition, les Grecs indépendants, qui lui a déjà coûté la démission de son ministre des Affaires étrangères. La survie du gouvernement est d’autant plus précaire parce que si la Macédoine parvenait à modifier sa Constitution, le Parlement hellénique lui-même devrait donner son propre accord. Les élections parlementaires grecques de 2019 seront à surveiller avec la plus grande prudence : le parti de centre-droit Nouvelle Démocratie, qui avait soutenu l’accord jusqu’au référendum macédonien avant de s’y opposer, attend son heure.
  • Si l’accord sur le nom était rejeté d’un côté ou de l’autre de la frontière, la nouvelle République de Macédoine du Nord se verrait condamnée à demeurer aux portes de l’Union et de l’OTAN. Si, à l’inverse, l’accord était approuvé, rien n’empêcherait un futur gouvernement grec de poser plus tard son veto à l’adhésion du pays à l’Union. Dans les deux cas, Zoran Zaev serait contraint de démissionner et d’appeler à des élections anticipées à l’issue incertaine.

Sources :

  1. JAKOV MARUSIC Sinisa, Macedonia Opposition Demands Amnesty for Parliament Violence, Balkan Insight, 2018.
  2. LUCA Ana Maria, Macedonia Name Deal’s Fate Still in Doubt in Athens, Balkan Insight, 2018.
  3. Macédoine : après la ratification du nouveau nom, le VMRO-DPMNE coupe des têtes, Le Courrier des Balkans, 2018.
  4. Macédoine : la ratification de l’accord sur le nom, un levier politique pour les partis de la minorité albanaise, Le Courrier des Balkans, 2018.

Charles Nonne