Berlin. Malgré un investissement accru dans les dernières semaines précédant le vote, la CDU n’a pas réussi à renverser la vapeur en Hesse. Après les mauvais résultats de son allié bavarois, le parti chrétien-démocrate a réalisé un score plus que médiocre (27 pour cent soit une perte de 11 points) dans ce Land qu’il gouverne depuis 2013 avec les Verts. Ces derniers n’ont pas souffert des soubresauts de la politique fédérale et réalisent avec 20 pour cent des suffrages une nouvelle percée. L’AfD a aussi confirmé une série de succès, en entrant dans le seizième et dernier parlement régional allemand dont ils étaient absents (13 pour cent des voix). Le ministre président sortant Volker Bouffier devrait, à un cheveu, être en mesure de reconduire sa coalition (1).

Au lendemain de cette défaite prévisible en Hesse, Angela Merkel et Volker Bouffier ont tenu à la Maison Konrad-Adenauer, le siège fédéral de la CDU à Berlin, une conférence de presse hautement anticipée. La chancelière a profité de cette occasion pour clarifier son avenir politique, coupant avec habileté l’herbe sous le pied d’un certain nombre de ses détracteurs au sein du parti et dans l’opposition. Mme Merkel a fait connaître sa décision d’abandonner la direction de son parti, fonction qu’elle exerce depuis 2000, dès le congrès de la CDU prévu à Hambourg en décembre prochain. Cette volonté de dissocier les postes de présidente de la CDU et de chancelière va à l’encontre de la doctrine appliquée jusqu’ici par Angela Merkel, qui concevait les deux fonctions comme complémentaires. En outre elle ne briguera pas à nouveau la chancellerie en 2021, et n’exercera pas d’autre mandat politique par la suite. Entre temps, Mme Merkel veut se consacrer entièrement au gouvernement fédéral. Libérée des obligations partisanes et du souci de sa réélection, elle pourrait même agir plus résolument sur la scène internationale.

Ces déclarations étaient attendues, mais elles ont le mérite d’essayer d’accomplir ce qu’aucun des prédécesseurs d’Angela Merkel n’a réussi à faire. Il s’agit pour elle de planifier sa sortie, et de se retirer avec dignité et intelligence de la vie politique. La constitution allemande ne fixe pas de limite pour le mandat de chancelier, et celui-ci reste au pouvoir tant qu’il n’en est pas chassé par une majorité parlementaire. Mme Merkel elle-même avait attendu cinq ans en tant que présidente de parti (2000-2005) avant de se présenter à la chancellerie. Aujourd’hui, alors qu’elle effectue la démarche inverse, la prise de risque est importante, mais calculée. Son pari repose sur un passage de flambeau à une “génération Merkel” de dirigeants plus jeunes qu’elle et proches de sa ligne modérée. En outre son départ programmé pourrait aider la CDU à endiguer la vague de l’AfD dans l’Est de l’Allemagne. Le slogan préféré des manifestations populistes, “Merkel muss weg” (Merkel doit partir) et sa figure brandie comme repoussoir auront moins de pertinence avec l’arrivée de nouveaux visages à la tête de l’Union chrétienne-démocrate (2).

Au moins six candidats à la direction du parti se sont déclarés en cette fin de semaine, et trois d’entre eux ont de réelles chances de l’emporter (3). Le premier est un vieux rival de Mme Merkel, Friedrich Merz (62 ans), chef du groupe parlementaire de l’Union au début des années 2000. Merz s’est depuis reconverti dans la finance, et pourrait apparaître comme un homme providentiel après sa traversée du désert. Le jeune et ambitieux Jens Spahn (38 ans) est aussi candidat pour la direction de la CDU, qui s’était fait connaître avant l’élection de 2017 en critiquant la politique “centriste” du gouvernement, mais qui a intégré celui-ci en 2018 avec le portefeuille de la santé. L’actuelle secrétaire générale du parti, Annegret Kramp-Karrenbauer (56 ans), est l’héritière officieuse de Merkel. Armin Laschet (57 ans), le ministre-président la Rhénanie du Nord-Westphalie, a déclaré qu’il ne se présenterait pas “dans la situation actuelle”. En 2017 il a arraché au SPD le Land le plus peuplé d’Allemagne, et son succès en a fait une figure populaire parmi les chrétiens-démocrates.

Pour la première fois depuis 2000 un débat réel va avoir lieu sur la direction du parti le plus puissant d’Allemagne (4). Le congrès de décembre prochain, qui s’annonce conflictuel, sera suivi par un nombre sans précédent de journalistes (5). L’issue du mandat d’Angela Merkel pourrait donc dépendre de l’issue de cette guerre de succession qui s’annonce. Si la CDU se donne un chef opposé à la chancelière, il ne fait aucun doute que sa survie à la tête du gouvernement sera vite compromise. À plus long terme, c’est la question de son héritage politique qui sera à l’ordre du jour dans les mois à venir.

Perspectives :

  • Décembre 2018 : Congrès fédéral de la CDU à Hambourg et élection de l’équipe dirigeante de la CDU.
  • Automne 2019 : série de trois élections régionales dans des Länder de l’Est à haut risque (Brandebourg, Saxe et Thuringe). L’AfD pourrait confirmer la dynamique de recomposition des droites, ou s’essouffler face à une CDU revigorée.

Sources :

  1. VON BEBENBURG Pitt et HERBERG Ruth, Hessen sucht eine Koalition, Frankfurter Rundschau, 01/11/2018.
  2. MALZAHN, Claus Christian CDU in Ostdeutschland : Wahlkampf ohne Hassfigur, Die Welt, 01/11/2018.
  3. SIRLESCHTOV, Antje, Kandidaten für die Merkel-Nachfolge : Merz will unbedingt, Laschet gar nicht, Der Tagesspiegel, 31/10/2018.
  4. Merkel-Nachfolge in der CDU. Neue Köpfe, neuer Kurs ?, Tagesschau, 02/11/2018.
  5. MEYER-WELLMANN, Jens, Merkel-Nachfolge : Tausende Reporter in Hamburg erwartet, Hamburger Abendblatt, 01/11/2018.

Pierre Mennerat