Kuala Lumpur. La Malaisie a surpris la communauté internationale. Mahathir bin Mohamad, qui a remporté les élections générales de mai 2018 à la tête de la coalition Pakatan Harapan – à l’origine créée contre lui – a fait annoncer par son Ministre de la Justice Datuk Liew Vui Keong que “le Cabinet a décidé d’abolir la peine de mort, et que cela sera présenté au Parlement” (1).

Comment expliquer cette surprenante décision qui ne reflète pas les tendances actuelles en Asie du Sud-Est ? Revenu au pouvoir après 15 ans d’absence, Mahathir bin Mohamad doit faire face à deux enjeux majeurs : le redressement de l’économie et la confiance du peuple dans ses institutions. Le premier défi est particulièrement intéressant au regard de la décision du gouvernement. Il implique, au-delà de ses relations essentielles avec la Chine, des rapports soutenus avec les puissances occidentales. Une position malaisienne d’équilibre est nécessaire entre Chine et Ouest, tournée de plus en plus vers l’Union – son 3e partenaire commercial aujourd’hui. La Banque mondiale place la Malaisie, puissance moyenne, dans les 25 premières économies mondiales à l’horizon 2050 (4). Mais la pérennité de cet objectif repose sur le dynamisme économique du pays, lui-même lié à ses rapports internationaux. L’abolition de la peine de mort peut ainsi être interprétée comme un geste de bonne volonté, un geste d’intégration vis-à-vis de cette communauté internationale occidentale.

En parallèle, cette abolition pourrait permettre de relancer l’enquête sur l’assassinat d’Altantuya Shaariibuu, une jeune femme qui était l’interprète d’un proche conseiller de l’ancien Ministre de la Défense puis Premier Ministre Najib Razak, dans la négociation d’achat de sous-marins français par la Malaisie en 2006. Cette transaction est entachée de soupçons de pots-de-vin versés à de hauts responsables gouvernementaux malaisiens, et demeure d’une grande opacité (2). Sirul Azhar Umar, reconnu coupable, a fui en Australie où il est emprisonné dans un établissement de haute sécurité. Il a offert de collaborer avec l’enquête sous condition d’un pardon total. Mais le gouvernement australien refuse en raison du risque de peine de mort. Cette affaire s’inscrivant dans le gigantesque scandale de corruption autour de Najib Razak, l’abolition de la peine de mort pourrait contribuer à éclaircir des zones d’ombre autour d’anciennes élites gouvernantes (3), et aussi redonner confiance au peuple dans les institutions de son pays. La décision du nouveau gouvernement malaisien apparaît ainsi comme une stratégie à la fois interne et externe, qui pourrait porter ses fruits.

Perspectives  :

  • Novembre 2018 : le cabinet du Premier Ministre espère pouvoir présenter le projet d’abolition de la peine de mort au Parlement, pour l’instant soumis à un examen par le Bureau du procureur général.

Sources :

  1. IBRAHIM Ida Nadirah, Minister : Putrajaya to abolish death penalty, Malaymail, 10 octobre 2018.
  2. Malaisie : l’enquête sur un assassinat lié à des pots-de-vin français rouverte, RFI et AFP, 22 juin 2018.
  3. PADDOCK Richard C., Malaysia to repeal death penalty and sedition law, The New-York Times, 11 octobre 2018.
  4. PÉRIÉ Jessy et CIBOULET Thomas, Malaisie : les élections du changement ?, Conflits n°19, oct-nov-déc. 2018.

Jessy Périé