Nous avons rencontré Jean-Marc Ferry, philosophe, titulaire de la Chaire de Philosophie de l’Europe de l’Université de Nantes, professeur honoraire en Sciences politiques et Philosophie morale à l’Université libre de Bruxelles et auteur d’une trentaine d’ouvrages : L’Éthique reconstructive (1996), La Question de l’Etat européen (2000), Les Grammaires de l’intelligence (2004), Europe, la voie kantienne (2005) et La Raison et la Foi (2016)…

Assis près d’une fenêtre de son appartement, d’où se déploient timidement les toits du 5ème arrondissement de Paris, il nous présente son idée d’Europe et d’État européen, en partant de ses principales références philosophiques : Ricoeur, Husserl et, surtout, Kant. Sur la base de sa théorie politique il interprète et analyse les enjeux de l’actualité politique européenne d’une manière extrêmement lucide.

Vous distinguez, avec Husserl  1, une construction philosophique de l’Europe, au-delà de l’Europe politique et économique. Qu’entendez-vous par là ?

J’ai été très touché de trouver dans un texte de Husserl l’affirmation selon laquelle l’européologie est l’avenir de la philosophie. Dans la conférence de Vienne “Crise de l’humanité européenne et de la philosophie”, il s’inquiète de la perte de transcendance de l’humanité européenne. Cette transcendance propre à l’esprit d’Europe, je la retrouve aussi dans cette phrase de Hegel : en Europe, ce qui compte, c’est “cette marche de la vie vers plus loin qu’elle-même”. L’identité européenne ne se définit pas de manière substantielle mais semble devoir se penser comme une identité relationnelle consistant à se porter vers d’autres identités.

La philosophie européiste husserlienne se laisse relier au thème de la reconnaissance de soi dans l’autre. En ce sens, vous reprenez l’idée chère à Paul Ricœur sur la construction d’une identité européenne basée sur trois piliers : la traduction, le croisement des récits et le pardon. Ce qui viserait à la création d’un sentiment d’appartenance à l’Europe, base nécessaire à sa véritable construction politique…

Ce triptyque proposé par Paul Ricœur est exposé dans un article peu connu  2. Il est facile de comprendre l’importance de la traduction et il y aurait beaucoup à dire sur l’anglais, cette lingua franca européenne, qui fait même du tort à l’anglais littéraire. Maintenant tout doit être rédigé en anglais, ce qui est d’ailleurs problématique avec le Brexit. Cela peut aller pour les sciences physiques, à la limite pour les sciences économiques, mais c’est une catastrophe pour les humanités, pour les sciences philosophiques et littéraires… Cela procède d’une vision superficielle et instrumentale de ce qu’est la langue et on ne peut rien produire de puissant, conceptuellement parlant, avec une langue de service et d’usage. Nous devons pouvoir produire de la culture dans les langues de cultures, notamment dans les langues maternelles. D’où l’importance de la traduction. Il faudrait donc concevoir l’Europe non pas à partir d’une langue qui cherche à homogénéiser la culture, mais à partir du modèle de la traduction. La devise européenne, c’est In Variate Concordia, que l’on traduit souvent comme “unis dans la diversité”. Cette diversité est mise en avant dans les discours théoriques mais pas réellement dans la pratique.

Les institutions sont certainement très importantes, mais il faut aussi une substance politique pour les soutenir.

Jean-Marc Ferry

En ce qui regarde le croisement des récits, il s’agit d’un enjeu très important si l’on veut créer une véritable communauté politique européenne : les institutions sont certainement très importantes, mais il faut aussi une substance politique pour les soutenir. Le rappel des valeurs partagées ne suffit pas : il faut que ça soit une véritable praxis qui décloisonne les espaces publics nationaux et partage les mémoires historiques. Il s’agit de dissiper les malentendus liés aux contentieux historiques du passé. Je pense notamment au rapport franco-allemand qui, il faut bien dire les choses comme elles sont, est central dans l’histoire du XXe siècle. Il en va enfin du processus de réconciliation : lever le passif d’un passé qui ne veut toujours pas passer, impose de consentir à ce que Ricœur appelait le pardon. On lui en veut pour ce vocable chrétien, mais c’est à mon avis une erreur. Il est fondamental de savoir reconnaître ses propres fautes, même de souffrir du mal et des crimes qu’on a commis. C’est l’amorce d’un geste reconstructif.

Vous proposez aussi un triptyque pour penser l’Europe : son telos, son nomos et son ethos…

Pourquoi construire l’Europe et quelle est la finalité ? C’est la question du telos. Sa structure profonde est-elle celle d’un grand marché ou d’un Etat européen ? C’est la question du nomos. Enfin il y a l’ethos, dont nous venons de parler avec Ricoeur. C’est sur cela que devrait porter le débat européen et non sur le faux débat par excellence “pour” ou “contre” l’Europe. Lorsque la question est présentée de cette manière, cela sous-entend qu’il y a seulement une opposition entre les souverainistes-nationalistes d’un côté et les fédéralistes de l’autre.

Et cette dichotomie est née avec le Brexit ?

Bien avant ! La question s’est posée dès la ratification du traité de Maastricht en France, à l’époque de l’écroulement du mur de Berlin et du bloc soviétique. A partir de ce moment, la légitimité première de la construction européenne, la paix, s’est émoussée. Et les politiques n’ont pas eu l’esprit, ou la présence d’esprit, de donner une légitimation de relais. Les gens ont eu l’impression de la continuation d’un processus qui n’avait plus de raison d’être évidente car on était à l’époque des grandes illusions : la mondialisation heureuse, la fin de l’histoire au sens de Fukuyama… Et l’absence de sens du projet européen s’est doublé de maladresses politiques.

Il y a eu le sentiment d’une perte d’autonomie civique, une perte de souveraineté au sens de Rousseau, liée à l’image d’un processus quasi automatique qui se serait stabilisé au dessus de la tête des citoyens sans que ceux-ci soient appelés à participer. De fait, Jean Monnet, grand pionnier de la construction européenne, avait dit sans complexe, que les peuples ne devaient pas être associés au processus de construction européenne. C’était une idéologie technocratique, typiquement française d’ailleurs, propre aux grands serviteurs de l’Etat.

A partir de l’écroulement du bloc soviétique, la légitimité première de la construction européenne, la paix, s’est émoussée. Et les politiques n’ont pas eu l’esprit de donner une légitimation de relais.

Jean-Marc Ferry

Est-il possible qu’une initiative basée sur la volonté de construire un récit commun partagé à la Ricœur puisse se renverser en la construction d’un récit commun néo nationaliste ? En articulant, par exemple, une politique similaire et solidaire autour de symboles communs, comme Poitiers. Le FN de Marine Le Pen et la Lega de Salvini, en s’inspirant du FPO autrichien, font à peu près les mêmes campagnes, fondées sur la thématique du refus des immigrés, contre les élites financières… Ne s’agit-il pas, en quelque sorte, de luttes désormais transnationales et donc “européennes” ?

Il faut que le vrai débat européen se transforme en un questionnement sur quelle serait la meilleure forme politique de l’Union. Actuellement, par contre, on est à l’avant-scène. Et il faut bien prendre en compte cette effectivité, l’existence de cet avant-scène. D’où le récit populiste souverainiste.

Mais ce qu’on n’a pas dit, c’est que le succès obtenu par ces partis populistes ne repose pas entièrement sur leur discours de haine. Il y a aussi un fond de revendications proprement démocratiques : l’exigence d’autonomie civique.

Jean-Marc Ferry

Les discours proprement populistes expriment avant tout une souffrance. On a déjà abondamment stigmatisé le nationalisme, les relents de fascisme, la xénophobie, l’antisémitisme, le racisme… Mais ce qu’on n’a pas dit, c’est que le succès obtenu par ces partis ne repose pas entièrement sur leur discours de haine. Il y a aussi un fond de revendications proprement démocratiques, c’est-à dire l’exigence d’autonomie civique : on exige être les auteurs des normes dont on est les destinataires. C’est l’autonomie civique au sens où Rousseau parlait de la souveraineté du peuple, c’est l’idée d’auto législation. Et donc ce type de récit populiste doit être intégré aux récits “pro-européens”.

En ce sens, est-il possible de développer un véritable demos européen ?

Penser la question du demos implique de réfléchir à l’échelle pertinente. Les nations européennes sont des petites nations par rapport à la Chine ou à la Russie… Je pense que l’échelle de la conscience civique est essentiellement nationale et qu’il est donc très important de ne pas court-circuiter les représentations nationales. Mais ce n’est pas ce qui se passe aujourd’hui. Car si vous regardez le système européen, non seulement dans ses institutions, mais aussi dans sa pratique, les Parlements nationaux sont totalement court-circuités dans le processus de décision. Le Parlement européen n’a pas de connexion avec les Parlements nationaux, car il veut lui seul représenter la totalité du pouvoir parlementaire européen, ce qui est une grande illusion. Il ne représente pas grand chose aujourd’hui. Et la question n’est pas celle d’argumenter sur son pouvoir institutionnel ; ça ne changera presque rien.

Est-ce que la mise en place d’élections transnationales pourrait changer la situation ?

Cela peut améliorer légèrement la situation mais ça ne changera fondamentalement pas grand chose. Il ne s’agit pas de changer vaguement la structure des listes… Un changement radical serait de réaliser un grand système d’interconnexion entres les Parlements nationaux et le Parlement européen. Les Parlements nationaux (voire régionaux) seraient interconnectés horizontalement, mais aussi verticalement avec le Parlement européen. Ce dernier apparaîtrait ainsi comme la clef de voûte et le lieu de synthèse des réclamations et des propositions émanant de l’ensemble des Parlements nationaux. Et les grandes séances de synthèse annuelle du Parlement européen auraient un impact médiatique considérable puisqu’il s’agirait aussi de dialoguer avec les réclamations des Parlements nationaux. Certains élus, comme par exemple les élus de Dordogne, ont beaucoup plus en commun avec un élu de Bavière qu’avec le gouvernement français : il y a un besoin de dialogue horizontal qui n’existe pas encore.

Un changement radical serait de réaliser un grand système d’interconnexion entres les Parlements nationaux et le Parlement européen.

Jean-Marc Ferry

Qu’en est-il du pouvoir exécutif dans l’Etat européen tel que vous le pensez ?

En ayant en tête le schéma d’un système interconnecté des Parlements, la question du gouvernement se pose avant tout pour la zone euro. On est face à un problème énorme : celui du verrouillage et du blocage de la zone euro par les puissances du Nord de l’Europe. Nous sommes dominés par l’idéologie ordo-libérale allemande, l’idée d’un gouvernement par des règles permettant au marché de fonctionner de façon autonome. C’est une théorie de la dépolitisation des institutions de politique économique. La monnaie, par exemple, a été mise hors-politique avec l’autonomie de la BCE.
L’interdiction faite aux Etats membres de la Zone Euro de recourir à leur banque centrale nationale pour se financer va dans le même sens. Ils doivent donc de s’approvisionner sur “les marchés”, c’est-à-dire les banques privées, les compagnies d’assurance et les fonds d’investissement. Ce sont donc les agents de notation qui décident où les États doivent emprunter. Si vous avez été mauvais élève, le taux d’intérêt va monter. On maintient ainsi l’épée de Damoclès au dessus de la tête des Etats, de telle sorte que les marchés exercent un diktat permanent, une sorte de “terreur soft” sur les budgets nationaux. Cela veut dire que non seulement la politique monétaire mais également les politiques budgétaires sont dépolitisées et soustraites à toute souveraineté. L’économie politique est une boucle : ce que vous dépensez se retrouve dans vos recettes. C’est donc absurde de pousser les Etats à des excédents monétaires drastiques : cela appauvrit la population et augmente les motifs de dépense budgétaire.

Dans votre théorie pour un revenu de citoyenneté vous prônez la création d’un secteur quaternaire, définit comme autonome, préconisant un épanouissement personnel, ouvert à la possibilité de l’échec. Qu’entendez-vous par là ?  3

L’idée générale est qu’il faut développer un secteur d’activités qui soient personnelles, ce qui ne veut pas dire individuelles. Je pense à des activités qui portent la marque de leur auteur, des activités non standardisées. ; le profil de l’activité est auto défini. Une autodéfinition qui est différente de celle déjà faite par l’administration de grands groupes. Des activités aussi non mécanisables : c’est-à-dire qu’elles sont personnelles dans le vrai sens du terme. Et aussi plutôt socialisantes. Donc beaucoup d’activités pourraient effectivement rentrer dans cette rubrique… tout ce qui est auto-entrepreneur, pas forcément individuel – des entreprises collectives, et donc aussi des start-up. On observe actuellement des secteurs qui montent en puissance avec des taux de croissance énormes, comme le bio. Mais on peut pareillement inclure des gens qui font de la recherche scientifique, de la création de logiciels, de la pédagogie libre… Ce sont toutes des activités qui émergent et qui devraient être aidées par l’Etat, du point de vue fiscal et bancaire. Et cela serait très important pour leur assurer un départ, un décollage. Le revenu inconditionnel de citoyenneté est une aide, puisqu’il leur assure un filet de sécurité. Si ils échouent, ce n’est pas si dramatique : ils peuvent se relever. Et donc, contrairement aux critiques, l’allocation universelle n’est pas faite pour inciter les gens à ne pas travailler, mais pour les inciter à travailler.

Le Mouvement Cinq Etoiles a proposé la mise en place d’un revenu inconditionnel de citoyenneté en Italie (une proposition particulièrement bien accueillie dans le Sud). Vous proposez une allocation universelle qui soit avant tout européenne ?

En réalité je n’ai pas de religion là dessus. Peut-être qu’il faudrait commencer par des petites zones laboratoires, comme on le fait d’ailleurs dans certaines régions et départements. L’Europe n’est pas du tout homogène du point de vue économique et social, on est donc obligés de concevoir une zone d’intégration renforcée qui permette une harmonisation fiscale et des minimas sociaux transversaux. Prenons l’exemple des minimas sociaux sur tout l’espace de l’Union : les Suédois vont rigoler, en étant très au dessus ; et le Bulgares, par contre, vont être furieux parce qu’ils sont en dessous. Il faut une zone de partenaires économiques qui soient suffisamment proches les uns des autres du point de vue des standards fiscaux, sociaux, etc, pour pouvoir réaliser une intégration. Ce qui revient à s’interroger sur le fait d’être allé très vite et très loin avec l’élargissement de l’Union.

Vous proposez une construction politique de l’Europe qui s’inspire du cosmopolitisme kantien, exposé dans La Paix perpétuelle. Pourriez-vous la détailler à nos lecteurs ?  4

Quand on parle de “cosmopolitisme” on a tout de suite l’image de personnes “cosmopolites”, qui appartiennent à la bourgeoisie, qui parlent toutes les langues, qui voyagent, qui n’ont aucune attache nationale particulière… Ce n’est pas ce que veut dire Kant qui pense un cosmopolitisme juridique. Il pense trois niveaux de séparation du droit public qui sont une très bonne grille de lecture pour une Constitution de l’Union européenne.

Le premier niveau correspond au droit interne de chaque Etat membre de l’Union cosmopolitique. Toutes les constitutions de ces Etats doivent être républicaines et c’est la condition première, sine qua non. Ce qui caractérise l’Union européenne est bien cette condition, à la différence d’autres institutions qu’on pourrait juger comme des préfigurations de l’Etat cosmopolitique, comme l’ONU, qui inclut aussi des dictatures et des Etats totalitaires. Analogiquement, cela correspond au premier article définitif de Kant, concernant le droit interne, le jus civitatis, ou, en traduisant de l’allemand, le droit civique ou droit étatique.

Le deuxième niveau, international, concerne des relations de puissance à puissance au sein de l’Union. Ce deuxième niveau concerne la fédération et non plus l’ordre interne des Etats. C’est ce que Kant appelle libre fédéralisme : ces Etats doivent se réunir en conseil sur la base de leur seule volonté. Cela pourrait correspondre au Conseil européen. La fédération doit donc fournir une assise aux droits fondamentaux des peuples. Pour garantir non plus les droits de l’Homme (comme droits fondamentaux individuels), mais ce qu’on appelle en français le “droit des gens”, et en allemand le “droit des peuples”. Le jus gentium.

Pourrions-nous ajouter un niveau ultérieur dans l’échelle kantienne, après le droit des gens (ou des peuples) : le droit des Etats, qui précéderait le droit cosmopolite ?

On considère que les peuples doivent être représentés par les Etats.

Mais c’est alors assez arbitraire. En prenant l’arène européenne, par exemple, le “peuple catalan” n’aurait aucun droit ?

Il y a bien une tension. Mais dans la mesure où, à un certain moment, éclate la divergence entre l’Etat et certains peuples dans une nation donnée, il y une crise du droit lui-même à son deuxième niveau. La question est : qu’est ce qui fait qu’on reconnaisse qu’il s’agit bien d’un peuple ? Mais l’Etat lui-même, qui est l’objet de la contestation dans des mouvements indépendantistes, est très mal placé pour résoudre le problème. Dans le cas catalan, l’Union européenne est restée conforme à l’esprit du droit international.

Parce qu’elle n’est pas construite sur le troisième niveau du droit kantien, c’est-à-dire le droit cosmopolite ?

Le troisième niveau n’est ni interne ni externe mais transnational. C’est le niveau des relations des citoyens de l’Union entre eux. Dans l’Union européenne, cela se marque par de nouveau droits, qui sont typiquement cosmopolitiques : par exemple le droit pour un citoyen de l’UE d’exercer un recours juridictionnel pour faire valoir ses droits subjectifs, éventuellement contre son propre Etat, devant un Tribunal européen. Ou le droit pour un citoyen de l’UE, lorsqu’il se trouve en dehors de l’Union, de trouver assistance, aide et refuge auprès de n’importe quel consulat ou ambassade d’un Etat membre. L’Union européenne est donc partiellement construite sur ce troisième niveau de droit mais pas assez pour s’autoriser un droit d’ingérence. Et pour porter atteinte au principe des souverainetés étatiques, à la tangibilité des frontières et à tout ce qui est sacrosaint dans le droit international (non ingérence, intégrité territoriale, souveraineté des Etats). C’est donc un problème qui n’est pas réglé juridiquement.

L’Union européenne est donc partiellement construite sur ce niveau transnational de droit mais pas assez pour s’autoriser un droit d’ingérence. Et pour porter atteinte au principe des souverainetés étatiques.

Jean-Marc Ferry

Comment traduire politiquement cette structure juridique ?

Cette structure du cosmopolitisme juridique n’implique pas la suppression des nations ou des Etats pour créer un Etat supranational européen. Ce serait le schéma facile : la réplique au niveau supranational de l’Etat-Nation. Faut-il le reproduire au niveau continental ? Ma réponse est non, au contraire de la plupart des fédéralistes européens. Ils veulent un Etat fédéral supranational, mais ils ne le disent pas. Certains parlent en effet “d’Etats-Unis d’Europe”– expression empruntée à Victor Hugo. C’est à mon avis un grand contre-sens. Il n’y a aucun rapport entre une nation européenne et la Caroline du Sud ou le Texas… C’est une construction historique différente. Celle européenne a une mémoire qui n’a rien à avoir avec celle des cantons ou des Etats fédérés, des provinces, ou des Länders…

Ne risque-t-on pas, en épousant cette idéologie, de retomber dans un système purement élitiste ? Au fond, les “cosmopolites” (entendus dans le sens commun du terme, que vous venez de présenter), sont les personnes qui ont la possibilité de bouger, de voyager. En ce sens, nous pouvons distinguer “nomades virtuels” et “sédentaires”… Est-ce que ce droit cosmopolitique ne privilégierait pas les nomades virtuels, en creusant davantage l’écart entre, par exemple, les villes et les campagnes ?

Non. Chez Kant, ce n’est pas cela qui est premier. La libre circulation dans l’Union – qui est centrale pour Kant – est une condition, mais non pas pour les raisons invoquées par l’UE. Raisons qui découleraient de ce qu’on appelle le “fédéralisme concurrentiel” : faire jouer la concurrence entre les systèmes nationaux, pour que des voyageurs cosmopolites arbitrent entre ces différents systèmes et donnent un prix d’installation à celui jugé meilleur. Et parmi ces “voyageurs cosmopolites”, ceux qui circulent le mieux et le plus vite sont la bourgeoisie riche. C’est ça le schéma européen néolibéral du fédéralisme concurrentiel.

Nous avons un devoir d’accueil et nous ne devons pas mettre en péril la vie de celui qui demande d’être accueilli, mais il n’a pas le droit d’installation.

Jean-Marc Ferry

Kant, par contre, avait en tête, d’un côté, la question de la libre visite pour les affaires et pour le tourisme (dans son esprit, c’était l’idée de l’époque, l’idée du “tout commerce” en tant que facteur de civilisation des moeurs), et, de l’autre, le problème de l’asile. Donc ce qu’il prononce, dans son troisième article (ou niveau) n’est qu’une seule chose : le droit cosmopolite doit se limiter au principe de l’hospitalité universelle. Ça ne veut pas dire que nous avons un droit d’hospitalité, mais plutôt un devoir d’hospitalité à condition que l’arrivant n’ait pas d’intentions hostiles. Donc nous avons un devoir d’accueil et nous ne devons pas mettre en péril la vie de celui qui demande d’être accueilli. Mais il n’a pas le droit d’installation : cela dépend de l’Etat et de sa souveraineté. C’est très précis.

Et aussi très limitatif…

Bien entendu, c’est limitatif. Mais il dit, d’un autre côté, qu’on ne peut pas empêcher la circulation des hommes, car la Terre est sphérique, et donc on ne peut pas repousser les gens indéfiniment. Kant est aussi un géographe, il ne faut pas l’oublier. Il y a donc bien un moment où l’essor démographique va faire que nous allons être obligés de laisser de la place.

On pourrait faire un lien ici avec le défi actuel de l’immigration : dans le sens que, à un certain moment, on ne la pourra plus l’arrêter…

Oui. Il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas ici d’un droit des étrangers, mais plutôt d’un devoir pour le pays d’accueil. Il y a un devoir moral, mais nous restons souverains de l’appréciation. C’est donc un modèle intéressant, une bonne base de discussion pour une éventuelle révision d’un droit d’asile élargi. Pour ce qui concerne les “nomades virtuels”, le risque élitaire n’est pas inhérent à la structure du cosmopolitisme juridique kantien. On peut simplement dire que la libre circulation, dans l’état actuel de notre système social, va profiter aux personnes riches et cultivées.

Jürgen Habermas, éminent philosophe allemand contemporain, s’inspire du cosmopolitisme kantien pour fonder sa théorie du patriotisme constitutionnel… En ce sens vous, aussi, proposez une Constitution européenne dont le noyau s’articule sur trois piliers : les droits fondamentaux des individus et des peuples, des valeurs de base (comme la réciprocité, la solidarité) et des principes politiques constitutifs (la subsidiarité, la proportionnalité). Corpus clair mais surtout difficile à refuser….

Le patriotisme constitutionnel de Habermas n’est pas exactement la même chose que le cosmopolitisme kantien. Je ne suis pas sur la même ligne de Habermas pour ce qui concerne les questions européennes, mais je pense que l’idée d’un patriotisme constitutionnel, dans l’intention d’Habermas, a été mal comprise en France. Il ne s’agissait pas de réaliser un cadre constitutionnel de droit abstrait suffisant pour assurer l’intégration politique de l’Union européenne. Ce n’est pas cela ; pour Habermas c’est un socle à partir duquel on peut fédérer les Européens dans la perspective d’un espace public qui se donnerait de la substance par le biais de la confrontation, et qui activerait une culture européenne. C’est comme si la théorie de la justice politique de John Rawls s’appliquait directement à la société, et servait à cadrer un espace public à l’intérieur duquel les citoyens discutent pour savoir comment organiser la société. Le but est de bien agencer la communication et non pas la répartition, ce qui se relierait au premier principe rawlsien de justice politique, le principe d’égale liberté.
Bon, qui pourrait être contre ? Mais tout le débat découlant de la théorie habermassienne s’est porté sur le fait que ce n’était qu’un universel abstrait. Ce n’est plus naïf d’adhérer au principe de l’Etat de droit démocratique : c’est un socle pour cadrer un espace public européen. En ce sens, les trois niveaux kantiens de relation du droit public sont absents : Habermas est pour un Etat fédéral supranational. Je pense que c’est une grave erreur. Mais c’est une émanation de la culture allemande : Habermas, par exemple, s’inspire et est influencé par les Länders, qui ont une très forte autonomie dans pleins de domaines ; il se dit que les Etats n’ont rien à craindre par rapport à une possible confiscation de leur pouvoir…

Une autre allemande, Ulrike Guérot (politologue, fondatrice et directrice du European Democracy Lab), propose une conception de République européenne similaire à la votre, mais sur une échelle géopolitique différente : la différenciation géographique de territoire et de la population ne serait plus étatique mais régionale. Ce choix d’échelle régionale est justifié avant tout pour monitorer les inégalités actuellement existantes entre les différents Etats membres.

Ulrike Guérot, comme Habermas, propose une nation européenne parce qu’elle pense à la nation allemande, non pas à la nation française. Ça n’a rien à avoir. Elle a en tête l’Etat fédéral allemand, qui repose sur le régions, les villes… Les Français, par contre, ont en tête un Etat unitaire, une monarchie absolutiste. Parce que au fond, l’Etat républicain français est à la monarchie absolue ce que l’Etat fédéral allemand est au Saint Empire romain germanique. Mais ce sont deux schémas complètement différents, ce qui crée un gros malentendu.

Et au delà des Allemands et des Français ? Le débat purement idéologique sur le futur politique de l’Europe n’est-il que franco-allemand ?

Dans l’état actuel des choses, oui, parce que les autres Etats ne se sont pas encore profilés comme des leaders de la construction européenne. Il est donc convenu de dire que rien n’est possible sans le tandem franco-allemand. Et dans les faits, tout se réalise (ou ne se réalise pas) dans l’entente franco-allemande. La France est géographiquement centrale : ni au Sud, ni au Nord. Hollande a plutôt joué la carte Sud contre Nord, ce qui a beaucoup déplu à Merkel. Et du coup le clivage s’est fait avec, d’un côté, l’Allemagne, les Pays-Bas et les pays scandinaves et, de l’autre, la France, l’Italie, l’Espagne… Mais ça n’a pas fonctionné car Hollande ne faisait pas le poids contre Merkel et, économiquement, le Sud de l’Europe et la France n’étaient pas en bonne forme. Le jeu de Macron est complètement différent. France et Allemagne restaurent le leadership qui a été détruit par Hollande. Mais Macron, en tant que Français, a un handicap : il doit rentrer dans les clous des critères du 3 % – ce qu’il fait. Et, une fois rentré, il pourra dire aux Allemands “maintenant la balle est dans votre camp, et vous allez commencer à faire les réformes que je demande sur la Zone euro”.

Ce qui se prépare avec ce tandem est une sorte de dislocation du système néolibéral mis en place dans la Zone euro : c’est-à-dire un système qui favorise considérablement l’Europe du Nord par rapport à l’Europe du Sud. En ce sens, l’euro est considérablement surévalué pour l’Italie et sous-évalué pour l’Allemagne : ce qui fait que l’Allemagne a un avantage important à l’exportation, et l’Italie, par contre, un handicap. Elle est donc obligée de faire des politiques drastiques qui apportent une déflation et donc une récession économique doublée d’une régression sociale. Et c’est encore plus dramatique pour d’autres pays méditerranéens.

Comment définiriez-vous la doctrine européenne de Macron ? Un souverainisme européen ?

Macron pense qu’il faut débloquer la Zone euro, ce qui est très difficile politiquement. Il est obligé de montrer qu’il est un bon élève européen : il essaye de s’allier à la Commission, ce qui n’est pas facile, puisque cette dernière a une très bonne entente avec l’Allemagne en ce moment. Macron doit donc, en un premier temps, sortir de la mise sous tutelle dont la France fait l’objet. Il va forcément mécontenter le peuple français, puisqu’il est obligé d’alourdir la charge fiscale et de diminuer les dépenses. Il est aussi obligé – bien qu’il le fasse volontiers – d’épouser la thèse du néolibéralisme, c’est à dire la théorie du ruissellement : qui consiste à dire que le fait de favoriser les riches va avoir des retombées positives sur l’ensemble de l’économie. Son souci n’est donc pas celui d’augmenter les revenus du bas et du moyen, mais de favoriser les investissements des grands groupes.
Au niveau du gouvernement et de l’Etat européen, donc de l’exécutif – qui n’est plus la question du Parlement -, on peut se demander quelle forme cela pourrait prendre. Macron propose, au fond, un gouvernement économique de la Zone euro à l’aide d’un budget européen : une ébauche, disons, d’un Gouvernement économique européen de la Zone euro. C’est assez clair. Cela serait une préfiguration possible de l’État européen, dont Macron serait une partie probante essentielle. L’idée est donc celle d’un gouvernement bicéphale franco-allemand, mais au niveau supranational et qui se fonderait paradoxalement non pas sur l’élément communautaire – la Commission – mais sur l’élément intergouvernemental : le Conseil. Ce qui crée une sensation de désagrément à la Commission, cette dernière étant le véritable gouvernement européen, la seule instance qui puisse être politiquement responsable. Le Conseil, par contre, n’est nullement légitimé : il n’a pas de responsabilité politique. Ce qui se joue ici est donc extrêmement important : puisque c’est à partir du Conseil, de l’intergouvernemental, que l’on cherche à élaborer, subrepticement, un gouvernement supranational européen qui est hors responsabilité politique. Je ne veux pas dire qu’il soit hors-politique, mais il s’agit néanmoins d’une façon de dépolitiser le politique européen. Et c’est ce dont je soupçonne Macron, qui préconiserait un schéma vertical, un transfert de compétences vers le haut. On le crédite de l’horizontalité, mais c’est complètement faux, c’est un leurre.

Comment promouvoir alors une véritable horizontalité ?

La vraie horizontalité consisterait pour moi, contre toute attente, à considérer qu’il nous faut un Président de l’Union. Qui pourrait être un Président de la Commission mais investi différemment : par les Parlements nationaux, puis par le Parlement européen, et puis par le Conseil européen. De telle sorte que ce Président ait la légitimité démocratique qui lui permet d’asseoir une autorité telle sur les dirigeants des Etats membres qu’il peut les contraindre à la coresponsabilité solidaire. C’est-à-dire notamment en terme de politique budgétaire : imposer aux pays du Nord d’arrêter avec les excédents structurels et faire, par contre, des déficits contrôlés et délibérés pour que les Etats du Sud puissent réaliser l’équilibre financier nécessaire, sans devoir le payer d’une récession économique. L’unique solution est la relance, le jeu à plusieurs de solidarité coresponsable. Et pour assurer cette solidarité, il ne faut surtout pas compter sur les dirigeants nationaux – personnages chauvins et égoïstes [rire] -, mais sur une autorité : un Parlement de l’Union, un seul. Qui puisse assurer et obliger à ce jeu de solidarité co-responsable.

Focalisons-nous sur le concept de souveraineté, absolument structurant pour ce qui concerne la construction politique européenne. Le mode disons hybride (ni Etat fédéral, ni fédération d’Etats) selon lequel vous concevez l’Etat européen envisagerait un système de souverainetés partagées (différent de celui normalement entendu par rapport aux Etats-nations – qui devient désormais un modèle obsolète), de transferts partiels de souveraineté. En ce sens, vous distinguez la souveraineté “négative” de la souveraineté “positive” : les Etats européens, pris dans leur singularité, auraient perdu cette dernière, et auraient la possibilité de la récupérer dans l’Union. Il s’agit donc de partager du pouvoir pour gagner du pouvoir.

Oui. Ce que vous appelez “souveraineté partagée” se fonderait sur une structure au schéma totalement horizontal : l’autorité que je propose ne dispose pas de la souveraineté étatique. Il faut bien distinguer autorité de souveraineté. Les Etats gardent leur souveraineté négative, qui doit toujours rester : on ne peut pas être contraint par la force. Ainsi, on disposerait du droit de veto, du droit de retrait… Mais par contre les Etats membres seraient, par rapport à leur souveraineté positive, en co-souveraineté : c’est-à-dire la capacité d’influer le cours des événements, de maîtriser le destin.

En suivant votre proposition, est-ce que les décisions importantes pourraient être prises à la majorité ? Puisque le droit de veto est maintenu, le pouvoir décisionnel de “l’Etat européen” ici décrit reste assez limité…

Ce qui est important est le droit de retrait. Si on n’est pas d’accord, on s’en va. Je pense que le droit de veto pourrait fonctionner dans certains cas fondamentaux, mais évidemment pas toujours. D’ailleurs il existe déjà une majorité qualifiée qui est souvent requise… ou même une majorité simple pour la politique de routine.

La situation est bien différente dans le domaine de la politique internationale. Si l’on veut faire une opération militaire européenne au Proche-Orient par exemple, certains Etats européens vont se dire en désaccord. Alors l’opération militaire en question ne pourra pas se faire au nom de l’Europe, puisqu’il ne faut pas engager symboliquement ceux qui ne veulent pas. Ainsi, la souveraineté négative se définit comme la possibilité de ne jamais devoir être contraint par la force.

Peut-on parler d’une souveraineté positive des Etats membres européens ? Dans le sens que la seule échelle géopolitique possible – en terme de souveraineté positive – pour faire face à la mondialisation est continentale… C’est-à-dire que économiquement, dans le contexte actuel de concurrence et de mondialisation, les Etats européens pris dans leur singularité n’ont aucune possibilité de s’épanouir par rapport aux grandes puissances mondiales telles que les Etats Unis, la Chine, l’Inde. Mais aussi, il s’agirait de gagner du pouvoir (“partagé”) face aux nouveaux défis globaux (en particulier : le réchauffement climatique, l’immigration…). Pourrait-on penser à la possibilité de mettre en oeuvre, sur toute la zone européenne, une politique partagée contraignante, c’est-à-dire forcément respectée ? Comme par exemple des quotas sur l’immigration ou des taxes sur l’émission carbone…

Je pense que la souveraineté positive est difficile à assurer sur le plan international et dans le domaine économique mais aussi, dans une certaine mesure, dans le domaine politique. D’ailleurs, posséder une défense nucléaire ne change pas beaucoup les choses. La souveraineté positive de l’UE est donc beaucoup plus accessible sur le plan international et mondial que sur le plan de souveraineté européenne interne. A mon avis, cette dernière ne peut être liée que aux co-souverainetés des Etats membres ; ce n’est donc pas la souveraineté d’un Etat européen. Elle est interne à l’Union. En quoi devrait-elle consister sur le plan mondial, c’est un programme pour l’instant très faible et peu clair… Il serait avant tout convenable de parler d’une seule voix au sein des organisations internationales (ONU, OMC, G20) et de se mettre d’accord sur les principes essentiels de politique étrangère. Cela ne va pas changer le fait que chaque Etat européen ait ses propres traditions et ses propres amitiés.

Les enjeux de l’immigration sont actuellement purement politiques. Il faudrait que tous les Etats membres acceptent les quotas que la Commission avait d’ailleurs proposés : elle n’a rien à se reprocher en ce sens. Mais la difficulté réside dans l’imposition : un problème, donc, politique. Il faut parvenir, par des concertations régulières, à une entente. Il faut avancer, et ça ne peut être que d’un point de vue politique. Sinon, personne n’aura l’autorité d’imposer. Ce qu’il faudrait aussi pouvoir réaliser (mais en cela Juncker n’est pas d’accord avec Macron) est une géométrie variable, une Europe à plusieurs vitesses. C’est irréaliste de penser de réussir à réaliser subitement sur tout l’espace européen une harmonisation fiscale et des minimas sociaux.

Il faudrait donc penser à ce qu’on appelle “kern Europe”, un noyau dur des pays plus avancés de la Zone euro – Allemagne, France et Europe du Nord -, qui proposerait deux monnaies (euros) différentes, en divisant ce bloc du reste – c’est à dire, l’Europe Méridionale et Orientale ?

C’est une idée chère à certains Allemands, celle de réaliser un coeur, un noyau monétaire. Mais, à mon avis, ça n’arrivera jamais. C’est déjà très difficile de réaliser l’intégration renforcée au niveau de la Zone euro. C’est pour ça qu’il faut la déverrouiller. Il faut changer les règles, il faut re-politiser ; c’est l’enjeu de la monnaie et du budget. Je pense que fondamentalement la SDP et globalement la France sont pour une re-politisation de la monnaie, du crédit, des budgets. Une approche austère, rébarbative, mais absolument stratégique. Si on ne change pas de système budgétaire, Stiglitz va avoir raison : l’euro va s’écrouler et avec lui la Zone euro et l’Union européenne. Il ne s’agit pas ici uniquement du système monétaire, mais aussi du grand système de privatisation du crédit et du budget : l’ordo libéralisme. La théorie de von Hayek ne prône pas explicitement la privatisation, mais du moins la dépolitisation, une vision superflue du politique. Il suffit d’avoir de bonnes règles pour que tout fonctionne correctement. Les problèmes liés au dysfonctionnement viennent du fait que le cadre ne soit pas suffisamment contraignant. Et von Hayek, et ses disciples allemands, ont donc besoin d’un système contraignant, de discipline ; ils ne sont pas purement libéraux. Et cette discipline, ce sont les règles du système de l’ordo libéralisme où il n’y a pas d’intervention politique. Cependant, il faut souligner que l’ordo libéralisme n’est pas le néolibéralisme, qui consiste à dire “laissez-faire !”. Les ordo libéraux réagissent négativement : ils ne laissent pas faire. On a donc voulu faire de bonnes règles pour encadrer l’euro, mais elles ont en fait des effets pro-cycliques qui avantagent l’Europe du Nord. D’où cette nécessité de re-politiser le système monétaire et budgétaire.


Sources
  1. En particulier dans son ouvrage Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale (publié en 1954) et lors de sa Conférence à Vienne en 1935 sur “La crise de l’humanité européenne et la philosophie”.
  2. « Imagine l’Europe. Le marché intérieur européen, tâche culturelle et économique », paru en 1992.
  3. Une théorie défendue notamment dans ses ouvrages La question de l’Etat européen (2000) et L’Allocation universelle : pour un revenu de citoyenneté (1995).
  4. Il s’agit d’une conception du droit du droit articulé sur trois niveaux : le droit étatique (ius civitatis) interne à la nation, le droit confédéral (ius gentium) internalisé en une fédération externe d’Etat, et le droit des citoyens du monde (ius cosmopoliticum), transversal…