Quito. Jorge Glas était incarcéré à Quito depuis un an, inculpé pour le scandale de corruption Odebrecht, et ce, six mois après avoir remporté les élections présidentielles équatoriennes aux côtés de Lenin Moreno. La grève de la faim débutée par Glas fait suite à son transfert vers la prison de Latacunga (à deux heures de la capitale Quito), dans une cellule commune, ne garantissant aucunement les conditions minimales de sécurité. Cette décision a été prise par l’exécutif (5) après avoir appris la sortie du pays de l’ex-secrétaire de la communication de Rafael Correa, Fernando Alvarado, rompant avec les mesures de précaution imposées par la justice après sa mise en examen pour des irrégularités présupposées quant à l’octroi de contrats dans l’exercice de ses fonctions.

L’actuel président Lenin Moreno a décrété le transfert de Jorge Glas en invoquant un risque sécuritaire. Le Secrétaire de la communication de Moreno a fait état lors d’une conférence de presse de “l’interdiction faite aux anciens fonctionnaires, liés au régime précédent, contre qui des procédures d’enquête sont ouvertes par le Parquet et le Contrôleur Général de la République, de quitter le pays” (3). Dans une lettre rendue publique, Jorge Glas affirme être un “prisonnier politique” et dénonce une mesure prise “par vengeance politique pour l’humilier”, rappelant que sa vie “est en grand danger”, en raison de ses problèmes de santé (2). L’ancien président Rafael Correa et la défense de Jorge Glas se sont empressés de dénoncer les dérives autoritaires du régime dans un communiqué adressé à la CIDH et au Groupe de Travail sur la Détention Arbitraire des Nations Unies, rappelant que “le vice-président a été impliqué dans le délit qui lui est reproché sur la base exclusive de faux témoignages d’un corrompu reconnu d’Odebrecht, il a été condamné pour un délit différent de celui pour lequel son immunité lui avait été levée ; à l’aide d’un code pénal abrogé, dans le but de pouvoir augmenter la peine et d’éviter qu’il puisse être libéré et ainsi retrouver son poste au sein de la vice-présidence de la République. Tout cela est impensable dans un État de droit” (6).

Jorge Glas, Fernando Alvarado ou encore Rafael Correa (faisant aussi l’objet de poursuites judiciaires) clament leur innocence. Ils affirment que ces décisions soulignent une volonté de persécution politique par le gouvernement de Moreno. Dans une vidéo diffusée mardi sur les réseaux sociaux, Fernando Alvarado a affirmé avoir “reçu l’asile d’un pays ayant compris qu’il existait une persécution politique et l’absence d’une institution de la justice décente en Equateur” précisant par la même occasion qu’il “n’offrirait sa liberté à aucun système de justice corrompu” (1).

L’incarcération de Jorge Glas a marqué la rupture politique irréversible entre l’actuel président Lenin Moreno et son prédécesseur Rafael Correa, pourtant issu du même parti politique Alianza País. Une fois arrivé au pouvoir, Moreno a choisi de mener une politique de “réconciliation” avec certains partis d’opposition et de réorienter la politique économique vers un agenda résolument néolibéral. Il a aussi entamé un combat contre la corruption : il accuse nombre de ses ex-collègues du gouvernement. Selon les partisans de Correa, ces accusations traduiraient une volonté pour Lenin Moreno de ternir le bilan politique de son prédécesseur.

Perspectives  :

  • La tension entre le gouvernement actuel et les fidèles de l’ancien président Rafael Correa s’accroît. Lenin Moreno a annoncé le 25 octobre dernier une “chasse aux sorcières du corréisme”.
  • L’usage de la stratégie du lawfare est devenu une pratique courante de l’administration de Lenin Moreno. L’installation de ce système a été rendu possible par le référendum de février 2018, autorisant Moreno à nommer le Procureur et les membres du CPCCS (Conseil de Participation Citoyenne et de Contrôle Social), entité qui désigne à son tour de nombreuses autorités très influentes dans la justice. Un usage de la justice qui attire particulièrement l’attention des organismes internationaux (4).
  • Ce recours à la judiciarisation de la vie politique équatorienne s’inscrit dans une logique plus régionale. Des cas similaires ont été observés au Brésil avec l’ancien président Lula ou encore en Argentine avec l’ancienne présidente, Cristina Fernández de Kirchner. Cet emploi du lawfare a eu un impact géopolitique important en Amérique latine : les récentes élections ont porté au pouvoir des gouvernements de droite, mettant fin au règne de la gauche en Amérique latine, grandement écornée par les affaires judiciaires.

Sources :

  1. ALVARADO Fernando, Vidéo de Fernando Alvarado depuis l’étranger, 23 octobre 2018.
  2. GLAS Jorge, Lettre manuscrite de Jorge Glas se déclarant en grève de la faim, 22 octobre 2018.
  3. MICHELANA Andrés, Conférence de presse, Secrétaire de la Communication Andrés Michelena, 22 octobre 2018.
  4. RUIZ CHIRIBOGA, Oswaldo, De Bélgica a Ecuador cada 15 días, juillet 2018.
  5. Secrétariat de la Communication (SECOM) du gouvernement Équatorien, Communiqué de presse annonçant le transfert de Jorge Glas vers la prison de Latacunga.
  6. Somos Más, Communiqués de presse pour dénoncer la situation de Jorge Glas à la CIDH et au Groupe de Travail des Nations Uniques, 23 octobre 2018.

Anne-Dominique Correa