Berlin. L’Arabie Saoudite est cette année le deuxième client extérieur de l’industrie allemande (derrière l’Algérie), à hauteur de 416 millions d’euros jusqu’en septembre (2). Or l’accord de coalition, adopté le 12 mars dernier, avait promis de limiter “en principe” les exportations militaires vers des pays extérieurs de l’OTAN ou de l’Union. À la restriction générale des livraisons, une des mesures phares du SPD, s’ajoutait une clause concernant les belligérants de la guerre au Yémen : “Dès maintenant, nous n’autoriserons plus les exportations à destination de pays directement engagés dans la guerre au Yémen. Les entreprises obtiennent la sécurité juridique, si elles prouvent que des livraisons déjà autorisées restent dans le pays destinataire” (4). L’opposition de gauche (Verts et Die Linke) avait alors critiqué l’hypocrisie des partis de gouvernement et demandé un arrêt pur et simple des exportations.

En Allemagne, toute livraison d’arme à un pays considéré comme “critique” est soumise à une autorisation du conseil fédéral de sécurité (Bundessicherheitsrat), un comité gouvernemental formé notamment par le chancelier et les ministres de la défense, des affaires étrangères, de l’intérieur, des finances et de l’économie. De prime abord, l’accord de coalition semble respecté : dans l’ensemble les exportations d’armes ont baissé de 25 pour cent par rapport à la même période l’année dernière, mais pas vraiment aux dépens de l’Arabie Saoudite (1).

Aujourd’hui cependant, le gouvernement allemand se montre plus résolu que la France. Il n’autorisera pas de nouvelles exportations tant que l’enquête concernant le meurtre de Khashoggi n’aura pas fourni des éléments satisfaisants, et prépare aussi l’annulation des contrats déjà autorisés. Quelques voix discordantes pourraient venir du Land de Mecklenbourg-Vorpommern, gouverné par le SPD, mais où sont construits les navires de patrouille qui représentent le gros des exportations prévues cette année (3). La position morale claire du gouvernement Merkel repose aussi sur un engagement moindre des entreprises allemandes sur le marché saoudien par rapport aux autres puissances occidentales.

Du point de vue saoudien, l’Allemagne n’est en effet qu’un partenaire secondaire pour l’armement, l’origine d’environ 1,8 pour cent des importations sur les cinq dernières années. La France et l’Espagne représentent chacun un peu plus de 3 pour cent des livraisons, largement dominées par les États-Unis (61 pour cent) et le Royaume-Uni (23 pour cent). La fermeté allemande envers l’Arabie Saoudite ne pourra donc jouer un rôle, même limité, que dans le cadre d’une action européenne.

Perspectives :

  • Le jeudi 25 octobre, le Parlement européen et l’Autriche ont réclamé un embargo à l’échelle de l’Union. Le ministre allemand de l’économie Peter Altmaier a exprimé son soutien à cette initiative (5).
  • Le président Trump n’est pas prêt à prendre de telles mesures et Emmanuel Macron a critiqué la “pure démagogie” consistant à faire un lien entre le meurtre de Jamal Khashoggi et le commerce des armes. Seule la situation au Yémen peut justifier des mesures selon le président français.

Sources :

  1. Zwischenbilanz zu Waffendeals : Deutsche Rüstungsexporte gehen zurück, Der Spiegel, 24 avril 2018.
  2. Nach Tötung Khashoggis : Mehr Härte, weniger Waffen ? Saudi-Politik auf dem Prüfstand, Die Zeit, 21 octobre 2018.
  3. HÖHNE Valerie, Was Sie über Waffendeals mit Saudi Arabien wissen sollten, Der Spiegel, 23 octobre 2018.
  4. Koalitionsvertrag zwischen CDU, CSU und SPD, 19 Legislaturperiode, 12 mars 2018.
  5. STAUDENMAIER Rebecca, Support grows for EU-wide arms embargo on Saudi Arabia, Deutsche Welle, 26 octobre 2018.

Pierre Mennerat