Le 28 octobre, les Géorgiens se rendront aux urnes pour élire leur cinquième président pour un mandat de six ans. Ce sera la dernière fois que le chef d’Etat sera élu par suffrage direct. Les élections seront disputées entre trois candidats principaux : Salomé Zourabichvili, franco-géorgienne, cousine d’Hélène Carrère d’Encausse, et diplomate pour le Quai d’Orsay pendant 40 ans, pour le parti du “Rêve géorgien” (parti du centre et pro-occidental) ; David Bakradzé, ancien président du Parlement, pour le parti “Georgie européenne” (centre-droite et pro-occidental) ; et Grigol Vachadzé, ancien diplomate soviétique, qui s’inscrit dans la continuité de l’ancien président Mikhail Saakachvili (2004-2013), associé à des dérives autoritaires et à la politique économique néolibérale. Le président sortant, Guiorgui Margvelachvili, du parti “Rêve géorgien”, ne se représente pas.

par Rusudan Khotivari


La Géorgie, devenue indépendante en 1991, est une république parlementaire. Le pays a passé son “test de démocratie” en 2012 et a vu une première transition électorale du pouvoir lorsque le “Mouvement National Uni” de Mikhaïl Saakachvili a été battu par le “Rêve Géorgien”, parti créé et largement financé par un homme d’affaire et milliardaire, Bidzina Ivanichvili.

A gauche, Mikhaïl Saakachvili (Mouvement national uni) ; à droite, Bidzina Ivanichvili (Rêve géorgien). Source : RFE/RL

Les deux dernières élections législatives (2012 et 2016) reconnues comme régulières  par de nombreuses missions d’observation dont l’OSCE, a fait de Géorgie une “Success story démocratique”, du jamais vu dans la région post-soviétique (à l’exception des pays baltes), souvent touchés par la fraude électorale.
A partir de 2024, des amendements constitutionnels transfèrent la compétence de l’élection du Président à un conseil électoral de 300 membres composé de 150 députés dont 13 élus des républiques autonomes d’Abkhazie et d’Adjarie, 34 élus de la mairie de Tbilissi et le reste des élus locaux. A l’exemple de l’Allemagne et d’Israël, le système géorgien sera davantage parlementaire que semi-parlementaire. Le prochain président sera toujours le chef des forces armées, mais ne pourra pas déclarer la guerre sans autorisation du parlement. En outre, le président n’aura plus le pouvoir d’organiser des référendums et ne pourra user de son droit de veto qu’avec l’accord du Premier-ministre (dont la candidature est proposée par le parti au pouvoir et approuvée par le Président puis par le parlement). Cependant, malgré la réduction considérable des pouvoirs du président, les partis d’opposition considèrent l’élection comme une occasion essentielle de renforcer leur influence institutionnelle vis-à-vis du parti majoritaire.
En 2017, le Président actuel, Guiorgui Margvelachvili (Rêve Géorgien) a tenté, sans succès, de mobiliser le public contre les changements constitutionnels. Avec sa campagne nationale, “La Constitution appartient à tous”, il a critiqué les amendements qui « privent les gens de leur droit d’élire un président ».

Un des favoris de l’élection est Salomé Zourabichvili, cousine d’Hélène Carrère-d’Encausse, franco-géorgienne qui a travaillé au Quai d’Orsay pendant 40 ans

Parmi les candidats favoris pour l’élection de dimanche figure la franco-géorgienne Salomé Zourabichvili, candidate indépendante mais soutenue par le “Rêve Géorgien”, parti au pouvoir. Petite fille d’Ivané Zourabichvili, Ministre du gouvernement géorgien entre 1920-1921, elle est née à Paris en 1952 : sa famille fuit la Géorgie en 1921 suite à sa conquête par les bolcheviques. Elle a étudié à Science Po et à Columbia University à New York, avant de travailler pendant 40 ans dans la diplomatie française (Rome, New York, Washington, Bruxelles, Ndjamena, avant d’être ambassadrice de France à Tbilissi). Son géorgien, qu’elle parle avec un léger accent français, n’est souvent pas à la hauteur des attentes de l’électorat géorgien. Elle est cousine d’Hélène Carrère d’Encausse (née Zourabichvili), célèbre soviétologue et académicienne française. L’immigration douloureuse de leur famille du Caucase en France a été décrite dans Un Roman Russe par le fils de Carrère d’Encausse, Emmanuel Carrère.  

Auprès du public géorgien, elle s’est faite connaître comme Ministre des Affaires Étrangères en 2004, suite à la Révolution des Roses (qui pousse Edouard Chevardnadzé à la démission) menée par Mikhaïl Saakachvili, avec lequel elle rompt en 2005 pour rejoindre les rangs de l’opposition. Cependant, ses tentatives de créer un mouvement d’opposition contre le pouvoir en place n’ont pas abouti.
Peu appréciée de la population géorgienne, après s’être temporairement retirée de la politique en 2010, Mme Zourabichvili est depuis 2016 députée d’un circonscription de Tbilissi, comme indépendante soutenue par le Rêve Géorgien. Un de ses principaux faits d’armes est le retrait des bases militaires russes en 2004 de Tbilissi, grâce une négociation qu’elle a mené avec M. Lavrov, Ministre des Affaires Étrangères russe. 

Salomé Zourabichvili et Sergueï Lavrov, février 2005. Source : Reuters

Actuellement, elle est notamment critiquée pour avoir accusé le gouvernement Géorgien d’être responsable de la guerre de 2008 avec la Russie à propos de l’Ossétie du Sud, déclaration qui a choqué non seulement le public et l’opposition mais aussi de nombreux membres du “Rêve Géorgien”. Si elle est élue, elle sera la première femme Présidente dans la région et la première Présidente née à l’étranger.
Le “Rêve géorgien” a choisi de soutenir Salomé Zourabichvili d’abord parce qu’elle se présente comme indépendante. M. Ivanichvili (actuellement Président du “Rêve Géorgien”) souhaite à la fois garder le contrôle total de son parti sur le président, et faire semblant de jouer le jeu démocratique car aucun gouvernement géorgien voudrait être responsable de la fin de la “Success Story” démocratique de la région. Et pourtant, dotée d’un caractère fort et indépendant, elle est souvent vue comme une politicienne difficilement manipulable. Ensuite, étant donné l’antipathie de notoriété publique de Mme Zourabichvili pour l’ancien Président Saakachvili (auquel le “Rêve Géorgien” s’est opposé violemment, et qui a été condamné par contumace à deux ans de prison en juin 2018), il y a peu de chance qu’elle lui octroie une amnistie présidentielle.
Salomé Zourabichvili et Bidzina Ivanichvili, octobre 2018, Tbilisi. Source : facebook.com/GeorgianDreamOfficial

Parmi les autres candidats, on trouve David Bakradzé, l’ancien Président du Parlement (2008-2012), et co-fondateur du “Mouvement pour la Liberté – Géorgie Européenne” fondé avec d’anciens leaders du “Mouvement National Uni” (MNU)  suite à la scission du parti en 2017. Aujourd’hui le deuxième plus grand parti d’opposition dans le parlement, “la Géorgie Européenne” souhaite se distancer de l’héritage populiste du MNU et veut se distinguer par son approche moins révolutionnaire et plus institutionnelle dans la lutte pour le pouvoir.
Contrairement à la croyance selon laquelle l’électorat géorgien favoriserait les politiciens charismatiques (on peut penser à un certain Iossif Djougachvili…), M. Bakradzé a été investi par son parti aux présidentielles pour son style de communication calme et conciliant avec les partenaires politiques ainsi qu’avec le public.  
David Bakradzé, juillet 2018, Tbilisi. Source : facebook.com/dbakradze

L’ancien parti au pouvoir de Mikheil Saakashvili, le “Mouvement National Uni”, a réuni sous le titre “l’Opposition Uni” une coalition de dix partis de l’opposition et présente Grigol Vachadzé comme candidat.
Diplomate de longue date, M. Vachadzé a servi en tant que Ministre des Affaires Étrangères sous la présidence de M. Saakachvili de 2008 à 2012. Sa carrière diplomatique est étroitement liée à la Russie, où il a vécu de nombreuses années. Il est diplômé de l’Institut d’État des Relations Internationales de Moscou (MGIMO) et a travaillé dans le années 80 dans le Ministère des Affaires Étrangères de l’Union Soviétique, d’abord au Département des organisations internationales et ensuite au Département d’Espace et des armes nucléaires. M. Vachadzé a également été membre de l’équipe diplomatique soviétique lors des négociations de START I (Traité de réduction des armes stratégiques) avec les États-Unis. Il a renoncé à sa citoyenneté russe en 2008.
On lui reproche notamment ses liens avec le FSB (héritier du KGB). Mais sûrtout, M. Vachadzé porte sur le dos l’héritage de M.Saakachvili, qui a dirigé la Géorgie du 2003 au 2012 et qui, malgré des réformes anticorruption considérées comme réussies, est associé pour beaucoup de Géorgiens aux dérives autoritaires, aux violations graves des droits de l’homme et à l’Etat quasi policier et à la politique économique néolibérale.
Poster présidentiel de Grigol Vachadzé, vandalisé avec l’abréviation du KGB en russe. Tbilissi, octobre 2018. Source : Rusudan Khotivari

Les derniers sondages menés par l’International Republican Institute (IRI) en août 2018 (avant le soutien du “Rêve Géorgien” à Mme. Zourabichvili) placent le candidat du “Rêve Géorgien” en tête avec 17 pour cent, suivi de M. Bakradzé avec 16 pour cent et de M. Vachadzé avec 8 pour cent de voies. 10 pour cent de la population soutenaient encore Guiorgui Margvelachvili (au cas où il se représenterait). 23 pour cent de la population est indécise, 4 pour cent ne votera pas, et le reste des voies est réparti entre plusieurs candidats avec peu de soutien populaire.
Ces élections seront, dans un contexte de tumultes régionaux, comme on a pu le voir en Arménie voisine, l’occasion d’estimer le soutien populaire à la coalition “Rêve géorgien” dans la perspective des prochaines législatives de 2020.


NOTES

  1. OSCE, Georgia, Parliamentary Elections, 8 and 30 October 2016 : Final Report et Georgia, 3 février 2017,  et OSCE, Parliamentary Elections, 1 October 2012 : Final Report, 21 décembre 2012
  2. Presidentials : Expert Assessments in Washington D.C., Civil.ge, 5 septembre 2018
  3. PERTAIA Luka, Georgia’s constitutional changes explained, OC Media, 18 avril 2017
  4. RFE/RL, Georgian Parliament Approves Bakhtadze As Prime Minister, 20 juin 2018
  5. SHOTA KINCHA, From Ivanishvili’s chosen to a ‘united opposition’ candidate — how Georgia’s aspiring presidents stack up, OC Media, 1 août 2018
  6. LOMSADZE Giorgi, A French president for Georgia ?, Eurasianet, 19 septembre 2018
  7. KADAGIDZE Tamar, Who is Georgian presidential candidate Salome Zourabichvili, and why isn’t the public wild about her ? JAM News, 22 septembre 2018
  8. KADAGIDZE Tamar, Who is Georgian presidential candidate Salome Zourabichvili, and why isn’t the public wild about her ? JAM News, 22 septembre 2018
  9. GENTE Regis, Présidentielle en Géorgie : La franco-géorgienne Zourabichvili parmi les favoris, RFI, 4 septembre 2018
  10. SHOTA KINCHA, From Ivanishvili’s chosen to a ‘united opposition’ candidate — how Georgia’s aspiring presidents stack up, OC Media, 1 août 2018
  11. Les sondages des élections présidentielles par l’International Republican Institute, Tabula.ge, 2 août 2018