Varsovie. Margrethe Vestager, commissaire chargée de la politique de concurrence, avait déclaré le 24 mai “La décision adoptée ce jour lève les obstacles créés par Gazprom et qui entravent la libre circulation du gaz en Europe centrale et orientale. Qui plus est, notre décision constitue un ensemble de règles sur mesure pour la conduite à venir de Gazprom. Elle contraint cette entreprise à prendre des mesures positives pour renforcer l’intégration des marchés gaziers de la région et contribuer à la réalisation d’un véritable marché intérieur de l’énergie en Europe. Pour les clients de Gazprom en Europe centrale et orientale, c’est un outil efficace leur garantissant un prix concurrentiel. Comme toujours, le pays d’origine de l’entreprise n’entre pas en ligne de compte – l’objectif est de servir au mieux les intérêts des entreprises et des consommateurs européens. La décision de ce jour ne clôt pas le dossier ; au contraire, Gazprom doit commencer aujourd’hui à respecter les engagements qu’elle a pris” (1).

Visiblement le client polonais n’estime pas que la décision de la Commission soit “un outil efficace garantissant un prix concurrentiel” ni que Gazprom soit respectueuse de ses engagements. En effet, PGNiG écrit dans son communiqué que « Gazprom n’a pas cessé de violer le droit communautaire et continue de grossir les prix du gaz pour ses destinataires en Europe centrale et orientale », précisant avoir déposé sa plainte lundi auprès de la CJUE (2).

« La Commission n’a pas fait preuve de la diligence requise lors de la préparation de la décision, elle l’a annoncée en contradiction flagrante avec les preuves recueillies et a violé un certain nombre de dispositions procédurales du droit de l’Union », déclare encore le gazier polonais. « Par ailleurs, les obligations imposées à Gazprom étaient insuffisantes par rapport aux dommages subis par les entreprises d’Europe centrale du fait des activités de Gazprom incompatibles avec le droit de l’Union », ajoute PGNiG. L’entreprise a déjà saisi la CJUE contre la décision de la Commission à l’égard du régime d’exploitation du gazoduc OPAL qui transmet le gaz du Nord Stream en Europe (3).

PGNiG a annoncé mercredi à Varsovie la signature de deux contrats avec l’entreprise américaine Venture Global LNG pour la livraison annuelle sur 20 ans de 2,7 milliards de mètres cubes de gaz naturel liquéfié (GNL). Les contrats ont été signés avec Venture Global Calcasieu Pass et Venture Global Plaquemines LNG. Chacune des sociétés devra livrer plus de deux millions de tonnes de GNL par an, dès 2022 et 2023 dans la formule free on board (le vendeur n’a la charge de la marchandise que jusqu’au bateau), depuis leurs sites en construction en Louisiane (4). Ces contrats confirment un accord préliminaire conclu en juin dernier. La Pologne est autorisée à revendre ce gaz, une clause nécessaire aux ambitions du pays de s’imposer comme un hub régional de diversification des approvisionnements non seulement avec le terminal GNL de Swinoujscie mais aussi avec le projet Baltic Pipe.

« Je ne peux pas dévoiler la valeur des contrats, mais le prix du gaz américain sera de 20 % inférieur à celui du gaz russe », a annoncé à la presse le PDG du groupe gazier national Piotr Wozniak. Pourtant, même si jusqu’en 2012 Gazprom a fait payer à la Pologne son gaz plus cher qu’à d’autres partenaires européens, après négociations, son prix a été réduit dès 2014 et se rapproche aujourd’hui du prix moyen en Europe (5).

L’arrivée du gaz américain coïncidera avec l’expiration en 2022 du contrat polonais avec Gazprom. Le géant gazier russe fournit à la Pologne 10 milliards de mètres cubes par an depuis 1996. « Dès 2022, enfin, la Pologne n’importera plus de gaz russe, les livraisons de gaz de l’Est cesseront, Dieu merci », a souligné M. Wozniak lors d’une cérémonie en présence du Premier ministre Mateusz Morawiecki, et de l’ambassadrice américaine Goergette Mosbacher. Le porte-parole de Gazprom, Serguei Kouprianov, cité par l’agence russe TASS, a déclaré mercredi que « les livraisons du gaz à la Pologne ont augmenté de 10 pour cent cette année malgré une rhétorique anti gaz russe ».

Perspectives

Le terminal GNL de Swinoujscie doit voir sa capacité augmenter de 2,5 bcm courant 2019 et le Baltic Pipe (10 bcm) devrait voir le jour d’ici fin 2022. Ces deux infrastructures doivent faire de la Pologne un hub régional de diversification et mettre à mal la position de Gazprom sur ces marchés.

(1) Abus de position dominante : la Commission impose des obligations contraignantes à Gazprom pour permettre la libre circulation du gaz à des prix concurrentiels sur les marchés gaziers d’Europe centrale et orientale, Commission européenne – Communiqué de presse, Bruxelles, 24/05/2018

(2) Plainte polonaise contre l’UE pour son accord avec Gazprom, AFP, 16/10/2018

(3) Katja Yafimava, The OPAL Exemption Decision : a comment on the CJEU’s ruling to reject suspension, The Oxford Institute for Energy Studies, Septembre 2017

(4) La Pologne se tourne vers le gaz américain pour réduire sa dépendance à l’égard de Moscou, AFP, 17/10/2018

(5) Pologne : ententes préliminaires sur livraisons de GNL américain sur 20 ans, Romandie, 27/06/2018