Islamabad. S’il y a un sigle pakistanais connu à l’international, c’est assurément l’ISI (Inter-Services Intelligence), le redoutable service de renseignements pakistanais : une pieuvre, dont la puissance est l’objet de nombreux fantasmes, et dont les tentacules s’étendraient sur tous les secteurs de la vie politique, assurant l’emprise des militaires sur celle-ci et agissant indépendamment du pouvoir civil. Récemment, la Cour suprême a démis un juge de la Haute Cour d’Islamabad, Shaukat Aziz Siddiqui, pour avoir osé dire que l’ISI influait sur les procédures judiciaires afin d’obtenir des décisions favorables aux intérêts de l’armée (2). Les dernières élections ont vu Imran Khan accéder au pouvoir avec la bienveillance de l’armée dans un contexte d’activisme judiciaire dirigé contre Nawaz Sharif, le précédent Premier ministre accusé de corruption.
Or, l’ISI a un nouveau directeur général avec la nomination du lieutenant général Asim Munir, précédemment à la tête de la Military Intelligence, le service de renseignements propre à l’armée (1). Si le chef de l’ISI est théoriquement nommé par le Premier ministre, il est souvent coopté par le chef des forces armées, en l’occurrence le général Qamar Javed Bajwa. Asim Munir est un hafiz (personne qui connaît le Coran par cœur), une connaissance qui s’intègre parfaitement dans le schéma de pensée d’une armée chargée de défendre des frontières idéologiques de la République islamique. Une compétence qui ne manquera pas aussi d’être appréciée par l’Arabie Saoudite – où Asim Munir fut en poste dans le cadre des importants contacts militaires bilatéraux – au moment où Riyad est sollicité pour apporter sa contribution au sauvetage financier du pays. Celui qui n’était encore que major-général, fut également envoyé au Gilgit-Baltistan, cette province septentrionale frontalière du Xinjiang chinois et point d’entrée du corridor économique Chine-Pakistan pour lequel Beijing a des exigences sécuritaires.
Par ailleurs, début octobre, 18 ONG occidentales ont vu leur appel contre un ordre d’expulsion prononcé en 2017 rejeté. Le fait que 10 d’entre elles sont basées aux États-Unis est à rapprocher des relations entre Islamabad et Washington. Cela fait plusieurs années, et notamment depuis l’opération menée par les forces spéciales américaines en mai 2011 contre Ben Laden, que les services de renseignement pakistanais soupçonnent les ONG d’espionner pour le compte de pays étrangers. Dans un contexte où le Pakistan demeure placé sur la liste grise du Groupe d’action financière (GAFI) en charge de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, toutes déviations de la ligne officielle qui alimenteraient des soupçons de collusion avec des groupes djihadistes ne manqueront pas de se heurter aux pressions de l’ISI.
Sources :
- Lieutenant General Asim Munir appointed head of Pakistan’s ISI, EconomicTimes, 10 octobre 2018.
- NIAZI Abdullah, Justice Shaukat Aziz Siddiqui : A timeline of the controversial former justice, Pakistan Today, 12 octobre 2018.
- SAYEED Saad, Pakistan tells 18 international NGOs to leave – ActionAid, Reuters, 4 octobre 2018.
David Billeau