Kinshasa. « Pour son engagement contre l’utilisation de la violence sexuelle comme arme dans les conflits armés. » C’est la raison pour laquelle le comité norvégien a décidé de remettre le prix Nobel de la paix au chirurgien congolais Denis Mukwege, en compagnie de l’activiste irakienne Nadia Murad. Gynécologue formé au Burundi et en France, Mukwege est devenu célèbre pour avoir fondé l’hôpital Panzi à Bukavu, pendant la seconde guerre du Congo : cette structure s’est rapidement distinguée pour le traitement des femmes et des filles victimes de violences sexuelles dans le cadre du conflit (1). L’importance symbolique du prix réside non seulement dans le débat sur le rôle des femmes dans la société contemporaine, mais aussi dans l’action de l’ensemble de la population civile dans les conflits armés actuels. Un autre fait important est la centralité de la ville de Bukavu : même après le conflit de 1998-2003, ce centre important a été assiégé en 2004 par le Rassemblement congolais pour la démocratie (Rcd), ce qui a entraîné l’explosion d’une crise latente dans les territoires du Kivu, qui continue encore aujourd’hui. Les provinces du Kivu ont fait l’objet d’une attention particulière du Groupe d’experts mandaté par l’Onu en mai-juin 2018. Leur document a jeté les bases de la visite cruciale d’une délégation du Conseil de sécurité des Nations unies à Kinshasa, où les travaux menés par Mukwege ont été examinés (5).

Denis Mukwege est devenu un point de référence pour la population féminine, dénonçant la complicité ou l’inaction du pouvoir central de Kinshasa face à la réalité du viol comme outil politique. Ses données chiffrées montrent que l’effondrement de l’État congolais dans les provinces de l’Est est une réalité factuelle, accentuée par des problèmes tels que la pauvreté endémique, la porosité des frontières et la non-institutionnalisation des forces armées (2). Depuis les débuts de l’activité de l’hôpital Panzi, la situation semble s’être améliorée en raison de deux facteurs : les élections présidentielles de 2006, qui ont favorisé un apaisement des tensions, et la réintégration de certains miliciens dans les forces armées nationales (le Fardc). Avec la réduction de l’appui à certaines milices locales (surtout le Rcd) par le Rwanda et l’Ouganda, certains acteurs ont disparu de la scène, favorisant l’émergence d’autres (2). Parmi eux, l’Alliance des forces démocratiques (Adf) et les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (Fdlr) ont été analysées par la mission d’experts de l’Onu en mai (3). Parmi ces réalités, on assiste au déplacement des principaux pôles de pouvoir, de plus en plus dans les zones périphériques et loin des centres, ainsi qu’à la dynamique d’enrôlement de nouveaux miliciens, dont de nombreux enfants soldats, d’une manière de plus en plus réglementée et institutionnalisée qui n’est donc plus seulement le résultat des sièges et des vols désorganisés (3). De même, on constate que la fragilité des frontières favorise le financement de ces groupes, par le détournement illégales des ressources dont le territoire est riche, surtout le coltan (utilisé pour les produits de haute technologie) et l’or, concentré au Nord-Kivu et en Ituri, près de la frontière avec l’Ouganda (2). Le groupe d’experts de l’Onu s’est concentré sur les régions du centre et du sud du pays, se plaignant d’une situation difficile à cerner, car il est très difficile d’établir une carte des pouvoirs privés dans ces régions. Le document consacre également une partie aux milices Mai-Mai, déjà actives dans les zones centrales pendant la Première Guerre du Congo (1996-1997), qui combinent le sentiment d’appartenance au Congo avec un ritualisme lié aux traditions ethniques locales (3). Ce document et le prix Nobel de Mukwege ont servi de toile de fond à la visite de la délégation du Conseil de sécurité de l’Onu, dans le cadre de l’appui au processus de stabilisation et au changement de régime mené par Kinshasa.

La visite (du 5 au 7 octobre) a eu lieu à la suite de l’appel lancé par le président Joseph Kabila afin de retirer les troupes de la mission Monusco et de mieux organiser les élections présidentielles, prévues en décembre 2018. La délégation, conduite par des représentants de la Bolivie et de la France, s’est concentrée sur l’avenir de la mission de maintien de la paix, dont le mandat expire en mars 2019, et sur le profil des candidats aux prochaines élections. Le prix Nobel de la paix a été l’occasion de discuter du rôle de la population féminine dans l’avenir proche du pays. Cette discussion pourrait être développée en écoutant les témoignages et les opinions de certains candidats, tant sur le plan des politiques de sécurité, dans le cadre du processus électoral, que sur le plan pratique et logistique, étant donné la méfiance à l’égard du vote électronique et le manque de liens entre les différents sièges (5). Aucune annonce n’a cependant été faite concernant la mission Monusco, qui maintient son mandat dans l’attente d’une nouvelle résolution du Conseil de sécurité (dont la réunion est déjà prévue pour la fin du mois). Les représentants de la mission soulignent la difficulté constante de définir des programmes humanitaires efficaces pour l’ensemble de la population, en particulier dans les régions de l’Est et du Sud, se plaignant que le manque de planification et la réduction du financement des grands acteurs mondiaux (les États-Unis, par exemple) ont affaibli les différents programmes d’aide. La représentante spéciale des Nations unies pour le Congo, l’Algérienne Leila Zerrogui, a souligné l’augmentation statistique des cas de migration interne forcée, même dans des contextes secondaires (tels que les régions du nord, à cause des réfugiés de la République centrafricaine) (5). Rappelant l’appui inconditionnel au processus électoral dans le pays, la délégation n’a toutefois pas abordé le régime de sanctions toujours en vigueur contre Kinshasa, réitéré par la résolution 2424/2018 de l’Onu du 29 juin, qui a également décidé d’envoyer un autre groupe de techniciens pour contrôler les sanctions, jusqu’en août 2019 (4). Ces sanctions concernent principalement la vente d’armes et visent à affaiblir la diffusion des armes légères dans le pays. Dans ce contexte, la Chine joue un rôle ambivalent, soutenant formellement la vision du Conseil, au risque, à plusieurs reprises, de voir ses exportations d’armes influencer le contexte congolais. Il s’agit d’un défi ouvert, pour l’instant reporté, dans le cadre de l’édification de l’État de Kinshasa.

Perspectives :

  • 23 décembre 2018 : élections présidentielles en République démocratique du Congo.
  • 31 mars 2019 : fin officielle du mandat de la mission Monusco.
  • 1 juillet 2019 : fin du régime de sanctions de l’Onu contre la République démocratique du Congo.

Sources :

  1. BAKER Aryn, ‘A Strong message in a Troubling Time’. Staff at Denis Mukwege’s Congo Hospital Rejoice at Nobel Prize, Time, 5 octobre 2018.
  2. TOUADI Jean-Leonard, Le Guerre invisibili del Congo, Limes-Rivista Italiana di Geopolitica, décembre 2015.
  3. UN Security Council, Letter dated 20 May 2018 from the Group of Experts on the Democratic Republic of the Congo addressed to the President of the Security Council, 4 juin 2018.
  4. UN Security Council, Resolution 2424 (2018), 29 juin 2018.
  5. What’s in Blue-Insight on the work of the UN Security Council, Dispatches from the Field : The Council Concludes its Visiting Mission to the DRC, 8 octobre 2018.

Alessandro Rosa