Bangui. Coopération militaire, mines et allégement de la dette. Ce sont les trois piliers de la politique russe à l’égard du continent africain. Vladimir Poutine a fait pression en faveur d’une politique de Moscou renouvelée à l’égard de l’Afrique subsaharienne, reprenant en fait une partie de celle de l’Union soviétique. Dans un monde globalisé, toute puissance qui veut se définir comme une grande puissance ne peut pas considérer certains espaces comme non stratégiques uniquement à cause de la distance géographique : cette conception accompagne la définition d’une stratégie dont les trois pierres angulaires mentionnées essayent d’unir différents dossiers et de maximiser les intérêts stratégiques sur le continent (1). Bien que la ligne diplomatique de Moscou sur l’Afrique n’en soit qu’à ses débuts, notamment par rapport à la Chine, les acteurs occidentaux sont préoccupés par les scénarios qui pourraient découler de l’action russe sur les affaires africaines, tant en matière d’armements que dans le secteur énergétique et dans l’exploitation des ressources minérales. Pour l’instant, il semble que la politique russe se limite à la coopération militaire, la République centrafricaine et la région des Grands Lacs (4) étant déjà clairement ciblées.

Le dossier Bangui a été la première pierre angulaire de la nouvelle politique russe en Afrique. Déjà en 2017, il y eut une série de rencontres entre le président centrafricain Faustin-Archange Touaderà et le ministre russe des Affaires étrangères Sergey Lavrov, qui avaient pour toile de fond divers programmes de coopération militaire et de formation des Forces armées centrafricaines, dans le cadre d’un délicat processus de construction de l’État. Les relations ont culminé en mai 2018 avec l’envoi d’armes plus substantielles par Moscou, qui a également mené une politique active à l’Onu pour obtenir des exemptions des sanctions contre Bangui (5). En ce qui concerne les Grands Lacs, la Russie a établi des cadres opérationnels en Ouganda et en République démocratique du Congo. Le cas de Kampala et de Kinshasa est cependant important pour comprendre comment Moscou tente de croiser les dossiers, en essayant de se concentrer sur l’exploitation des matières premières dont le territoire est riche : certains géants russes des secteurs énergétique et nucléaire ont en effet soutenu ces initiatives, inaugurant des réunions de haut niveau avec des responsables et ministres d’État (4). L’utilisation des sites miniers et des gisements concerne la deuxième « étape » de Moscou, déjà révélée dans le cadre des visites effectuées par Lavrov dans différents pays du continent en mars 2018. Parmi eux, les principaux sont le Mozambique et l’Angola, déjà considérés comme stratégiques sur le plan militaire dans le cadre du forum Russie-Afrique organisé en 2017, le Soudan, où Moscou opère dans l’entrainement de l’armée nationale militaire, et l’Ethiopie, nouvelle frontière des affaires potentielles après la pacification avec l’Erythrée (4).

La nouvelle politique de Poutine diffère de la diplomatie soviétique en ce qu’elle parvient à saisir le caractère stratégique du développement du continent, en particulier à travers la classe moyenne, sans avoir de ligne idéologique clair. En fait, la principale toile de fond de l’action russe concerne la définition d’alternatives diplomatiques à la situation d’isolement post-annihilation de la Crimée (2). Poutine tend à définir une géopolitique russe à travers le concept de « nation russe », compris comme l’utilisation des minorités russes dans l’ancien espace soviétique pour exercer des pressions (3). Ce mécanisme fait défaut en Afrique, où l’accent est mis sur la définition des alliances dans un contexte qui représente pleinement les nouveaux pôles d’intérêts géopolitiques et géoéconomiques d’avenir. Une dynamique déjà comprise par d’autres acteurs internationaux : en effet, outre la Chine, la Turquie et l’Inde définissent leurs propres bases opérationnelles, au niveau militaire et économico-commercial, dans la Corne de l’Afrique et sur la côte swahilie, tandis que les États-Unis redéfinissent leur propre politique dans le Sahel occidental, et pas seulement dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

Deux points restent en suspens : le rôle très limité des acteurs européens, toujours aux prises avec la conception de la politique africaine comme politique migratoire, et le problème du néocolonialisme. Sur ce deuxième point, des hypothèses pourraient être avancées. En fait, la Russie ne semble pas disposée à s’installer pleinement sur le continent, essayant d’unir des dynamiques continentales différentes dans des contextes géographiques différents. Dans le même temps, le concept d’infériorité dans lequel les pays africains sont considérés est symptomatique d’une sous-estimation de leur dynamique politique. Tout cela dans le cadre d’une vision africaine qui voit le continent non seulement comme réservoir de matières premières, mais aussi au cœur des défis futurs de la planète (4).

Perspectives :

  • L’envoi d’armes en République centrafricaine par la Russie a été suivi d’une démonstration de force musclée de la part des Français. Paris, inquiet des infiltrations d’autres puissances dans sa sphère d’influence sur le continent, craint un affaiblissement de la mission Minusca de l’Onu, déjà au centre des critiques de nombreuses Ong opérant sur son territoire. En réalité, la France ne veut pas perdre un territoire qu’elle considère comme faisant partie intégrante de la Françafrique. Il sera très intéressant de voir comment, dans le contexte centrafricain, la politique russe se différenciera ou non de la politique française. Pour l’instant, dans les accords bilatéraux entre Macron et Poutine ce dossier n’est pas traité, sinon marginalement.
  • Un front intéressant est celui des côtes atlantiques sud africaines : d’une part, un accord de fourniture d’armes a été conclu avec l’Angola pour la période triennale 2019-2021 (qui concerne principalement l’aéronautique militaire), d’autre part, des accords pour le commerce des ressources agricoles sont définis avec la Namibie. Cela pose un défi à des pays comme l’Italie, qui a renforcé ses relations diplomatiques avec les deux pays, tant dans le domaine de la coopération militaire que dans le domaine énergétique.
  • Les sanctions contre la Russie sont le moteur géopolitique essentiel de la politique russe à l’égard du continent africain. Leur annulation ou leur renforcement ne semble pas affecter la politique de Moscou. Les sanctions, plus qu’un facteur économique, représentent une arme diplomatique qui peut être utilisée sur plusieurs fronts, par exemple au Conseil de sécurité de l’Onu. Ainsi, la Russie a été l’un des principaux partisans de la nomination de l’Éthiopie et de la Guinée équatoriale comme membres non permanents du Conseil.

Sources :

  1. ABRAMOVA Irina, FITUNI Leonid, Resources Potential of Africa and Russia’s National Interest in the XXI Century, Russian Academy of Science-Institute for African Studies, 2010.
  2. CAMPBELL John, Putin’s Russia and Africa, Blog Post in Council on Foreign Affairs, août 2015.
  3. CONLEY Heather A., The Kremlin Playbook : Understanding Russian Influence in Central and Eastern Europe, Center for Strategic and International Studies, 2016.
  4. KULKOVA Olga, Advancing Russia’s Interest in Africa, Valdaiclub, mars 2018.
  5. SIMONCELLI Marco, La mani di Mosca su Bangui, Nigrizia, mai 2018.

Alessandro Rosa