Cité du Vatican. Comme l’écrit dans un tweet le vaticaniste Iacopo Scaramuzzi, “la Viganiade est la continuité d’une même série d’attaque -mêmes protagonistes et soutiens, même source américaine, mêmes ressorts homophobes (…) Dommage que des thèmes aussi lourds, sur lesquels le pape et l’Eglise sont sommés de progresser, soient ainsi instrumentalisés au profit de basses manœuvres de pouvoir ecclésial” (4). La “Viganiade” s’inscrit en effet dans la longue liste des complots régulièrement ourdis au Vatican pour fragiliser des papes : des Vatileaks qui avaient empoisonné le pontificat de Benoît XVI, aux “Dubia” déjà dirigés contre François, la liste en est longue.

En effet, Mgr Carlo-Maria Vigano est l’homme par lequel avait éclaté les premiers “Vatileaks”, les fuites, sous Benoît XVI. C’est lui, à l’époque Gouverneur de la Cité du Vatican, qui avait révélé que le sapin de Noël et la crèche installés chaque année en décembre place Saint-Pierre étaient facturés entre 300 000 et 600 000 euros à la Cité du Vatican. Il voulait en informer le pape pour dénoncer la corruption de l’IOR, la banque vaticane, et s’était vu écarté de Rome par le Secrétaire d’État de l’époque, le cardinal Bertone, un homme aujourd’hui à la retraite, mais dont ce monsignor se venge ouvertement encore aujourd’hui dans ses nouvelles révélations en le plaçant au coeur du “lobby gay” qu’il dénonce. Envoyé aux États-Unis comme nonce à Washington, un poste qu’il n’occupe plus à ce jour, c’est toujours depuis ce pays qu’il écrit.

La suite fut doctrinale : quatre cardinaux – dont deux décédés depuis- avaient été les instigateurs des “dubia”, les doutes doctrinaux mettant en cause les préconisations du pape François sur la famille contenues dans son exhortation apostolique Amoris Laetitia de 2016. Les “doutes” étaient eux aussi apparus par voie de presse, signés des quatre cardinaux. L’américain Raymond Burke, un cardinal de la curie romaine que le pape François avait écarté de son mandat à la Congrégation pour les évêques, se trouvait aux avant-postes de la manoeuvre. Cet homme incarne aujourd’hui encore l’opposition idéologique la plus radicale au pontificat de François, une opposition qui passe par les États-Unis, par son Église ou par les soutiens les plus conservateurs d’une partie de ses troupes. Les “dubia”, auxquels le pape a choisi de ne pas répondre, en contestation des méthodes utilisées, ont débouché ensuite sur la “correctio”, une correction doctrinale formelle au parfum de menace de schisme.

On arrive ainsi, comme en suivant un fil rouge pourpre, à la Conférence Épiscopale américaine, la USCCB. Les nominations du pape François au sein de la puissante – et très riche – USCCB mettent cette instance à cran. Sa nomination dès 2014 à Chicago, le 3ème plus grand diocèse du pays, du “libéral” Mgr Blase Cupich, en remplacement du cardinal Francis E. George, en est le symbole le plus visible. Cette nomination a déstabilisé l’aile conservatrice de l’USCCB en enflammant toute la blogosphère catholique américaine. “Je mourrai dans mon lit, mon successeur mourra en prison et son successeur mourra à son tour martyrisé sur la place publique. Mais, après celui-là, un autre évêque recueillera les restes d’une société en ruine et aidera lentement à reconstruire la civilisation…”, commentait le cardinal George en laissant les clés de son évêché à Mgr Cupich (2).

Tous les questions soulevées indiquent la réalité de la “question américaine” pour le pape François (3). L’historien Massimo Faggioli a postulé que Jean-Paul II avait un problème d’Ostpolitik, et Bergoglio de Westpolitik.

Les néo-conservateurs américains ont été les premiers à sortir de l’ombre en traitant le pape François de marxiste, une accusation qui fait sourire quand on connaît le parcours de Jorge Mario Bergoglio, mais qui se focalise sur sa vision du libéralisme, de l’argent roi, des problèmes d’emploi ou même aussi d’écologie, alors que cette question divise profondément la vie politique aux États-Unis et les intérêts économiques qui la sous-tendent. Une partie de l’Amérique blanche, catholique et républicaine n’a dès le début de son règne pas supporté ce pape argentin, favorable à l’accueil des migrants hispaniques, ouvert aux mouvements populistes de l’aile gauche latino-américaine, et dont on sait aussi aujourd’hui avec certitude que c’est lui qui avait incité Barack Obama à pactiser avec Raúl Castro, à Cuba, pour aboutir au rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays fin 2014. Ces conservateurs américains lui reprochent en outre de ne même pas s’être exprimé contre l’avortement lors de son intervention devant le Congrès américain, en septembre 2015. Ils lui reprochent bien sûr aussi ses récentes nominations d’évêques : des hommes, comme Cupich, qui s’abstiennent d’aller prier devant les cliniques américaines pratiquant des IVG tandis qu’ils militent publiquement contre la peine de mort ou qu’ils affichent parfois des opinions ouvertement pro-LGBT. Tellement “clivantes” que certains parlent désormais de risques de schisme.

Pour Iacopo Scaramuzzi, dans l’Amérique de Donald Trump, celle de Steve Bannon, proche du cardinal Raymond Burke, la voie serait actuellement de construire une sorte de Tea party global et souverainiste de l’Occident judéo-chrétien (The Movement). “Des objectifs évidemment à l’opposé de la fraternité cosmopolite défendues par ce pape prêt à dialoguer avec toutes les périphéries, les non catholiques, les non chrétiens” précise-t-il. Les évêques qui se sont mobilisés contre l’Obamacare, et sont partis en guerre contre l’avortement et la question gay, et auxquels ce pape demande maintenant de se taire rejoignent ces bataillons. À ceux-ci s’ajoute le mouvement de Rod Dreher (1), favorable au retour à une époque quasi médiévale de petites communautés chrétiennes contre-culturelles. Ils sont rejoints par toutes les fanges néoconservatrices partisanes d’une Église immuable, idéalement pré-conciliaire.

L’une des premières conséquences directes de la Viganiade est l’arrêt de financement de riches contributeurs américains à l’Église du pape François : “Legatus”, ou encore la “Papal Fondation” ont annoncé avoir arrêté des versements qui auraient dû s’élever cette année à 40 millions de dollars. La preuve de l’instrumentalisation et du succès de cette attaque anti-François ?

Sources :

  1. DREHER Rod, Comment être chrétien dans un monde qui ne l’est plus – Le pari bénédictin, Éditions Artège, 2017.
  2. MAGISTER Sandro, Journal du Vatican / L’arrière-plan de la nomination à Chicago, L’Espresso, 30 septembre 2014.
  3. SCARAMUZZI Iacopo, Anche il Papa ha i sovranisti in casa, Pagina 99, 9 septembre 2017.
  4. SCARAMUZZI Iacopo, profil personnel Twitter, tweet du 28 septembre 2018.