Cité du Vatican. Le communiqué du Saint-Siège diffusé ce samedi avertissant que « ni les abus sexuels, ni leurs couvertures ne seront tolérés », est assorti de l’annonce d’une « enquête approfondie » sur les dysfonctionnements internes ayant pu permettre le maintien du cal McCarrick à ses plus hautes charges si longtemps dans l’Eglise (1). Ce dimanche 7 octobre est également parue une lettre ouverte du cardinal-préfet de la Congrégation pour les évêques, en réponse à Mgr Vigano, contestant le bien fondé de ses attaques (2).

L’ampleur de la crise est perceptible partout à Rome. Tombée alors que le pape se trouvait en plein Congrès mondial sur la Famille, à Dublin, devant une Eglise irlandaise laminée par les affaires de pédophilie ayant éclaté dans ce pays depuis plus de vingt ans, la lettre de Vigano (la « Viganiade » comme on l’appelle désormais), a provoqué un tsunami sans précédant dans l’Eglise. Et son onde de choc semble sans fin. Elle fragilise le pape François , en survenant au pire moment pour lui, dans un contexte déjà empoisonné par le scandale du prêtre chilien Ferdinando Karadima couvert par sa hiérarchie. Le pape lui-même a reconnu s’être trompé à l’occasion de son voyage catastrophique au Chili, en janvier 2018. Elle coïncide d’autre part avec la publication du rapport de l’Eglise en Pennsylvanie faisant remonter près de mille actes de pédophilie commis par 300 prêtres en soixante-dix ans, ou celui de l’Eglise allemande atteignant de semblables proportions. Et d’Argentine a éclaté depuis une autre affaire : celle d’un prêtre que ses victimes avaient tenté d’attaquer en justice, mais dont la défense aurait été supervisée par la Conférence épiscopale argentine de l’époque, dont l’archevêque de Buenos Aires et futur pape François, le cardinal Bergoglio, était alors le Président (3).

Cette succession d’affaires mettant directement en cause le chef de l’Eglise catholique, en déclenchant de ce fait la plus grande crise qu’elle ait jamais eu à affronter dans son histoire, soulèvent différentes questions, tout comme elles conduisent à des conclusions de toute nature. S’agissant des réponses du Vatican, ou plus encore du pape lui-même, elles paraissaient jusqu’à à ce jour insuffisantes. Car dans un premier temps, le pape avait averti ne pas vouloir répondre à Vigano.

Seules réactions de l’institution : « La Lettre au peuple de Dieu » publiée au retour de Dublin, la destitution de son statut clérical du père Karadima annoncée fin septembre, ou peu avant cela, dans l’été, la suppression du cardinal McCarrick de la liste des membres du Sacré-Collège des cardinaux, puis la décision du pape de convoquer en février prochain, à Rome, les Présidents de l’ensemble des conférences épiscopales du monde pour un point global sur les procédures judiciaires et le travail de chaque Eglise, localement, avec les autorités judiciaires, dans tous les pays, pour chaque crime sexuel de ce type. Or chacun sait qu’il en surviendra d’autres, y compris dans des contrées dans lesquelles aucun n’aurait encore été recensé. Par exemple en Afrique ou jusqu’à présent, un tabou total entoure ces sujets. Cette bombe à retardement menacerait l’Eglise pour les décennies à venir, avertissent le plus pessimistes. Et certains d’expliquer que si d’Europe et des Etats-Unis, des victimes ont commencé à parler, ce n’est que grâce au travail de la presse, des associations de victimes ou plus généralement des avancées des opinions publiques qu’elles ont pu le faire. Il reste beaucoup de régions où ces relais sont inexistants et dans lesquelles le statut social des prêtres ou des évêques empêche encore qu’on ose les attaquer. Mais jusqu’à quand ? 

Perspectives :

  • « La Viganiade » met publiquement le pape et toute l’Eglise au pied du mur sur la question du traitement de ces affaires de pédophilie, et en premier lieu de leur traitement judiciaire. S’attacher tout d’abord aux victimes et à leurs légitimes désirs de justice et de réparation, tel est le défi crucial face auquel l’Eglise se trouve confrontée. Le réflexe de protection d’un corps, qui se trouve au fondement du droit canon, n’est tout simplement plus toléré ; c’est la leçon de cette crise et la raison de sa gravité. Elle atteint l’Eglise en son point de faiblesse la plus évidente. Elle ne sera également résolue qu’à certaines autres conditions doctrinales, par exemple la redéfinition claire et nette de ce qui autorisé, interdit ou tacitement admis concernant la vie sexuelle du clergé. Car l’autre attaque contenue dans le document de Vigano vise les pratiques homosexuelles de ce qu’il appelle « le lobby gay » du Vatican. Le risque que des scandales à la mode #metoo surviennent bientôt dans les alcôves des Palais apostoliques, ou que l’on assiste demain à des coming-outs de Monsignors et cardinaux, n’est pas à écarter…
    D’où l’intérêt pour le pontificat du pape François de s’attaquer très sérieusement aussi à ce pan-là des affaires qui secouent régulièrement le sommet de l’Eglise, affectant tout son édifice. L’homosexualité a toujours été un sujet brûlant pour elle, il est remis à l’ordre du jour dans ce climat, et une clarification est d’autant plus impérative qu’il doit être distingué de la nature criminelle des actes de pédophilie.
    (4).
  • Mais avant toute ces incidences, « la Viganiade » doit être appréhendée pour ce qu’elle est : une opération de déstabilisation du pontificat de François émanant des rangs les plus conservateurs de l’Eglise américaine. A lire la semaine prochaine dans la Lettre du Lundi : « La Viganiade » (décryptage, suite.)

Sources

  1. Communiqué du Saint-Siège sur l’affaire McCarrick, Vatican News, 6 octobre 2018.
  2. Du sollst nicht lügen, Der Spiegel 39/2018, 22 septembre 2018.
  3. Lettre ouverte du cardinal Ouellet sur les récentes accusations contre le Saint-Siège, Vatican News, 7 octobre 2018.
  4. SCARAMUZZI Jacopo, Anche il papa ha i sovranisti in casa, Pagina 99, 9 septembre 2017.