Djouba. Les rues de la capitale soudanaise ont été le théâtre de scènes festives depuis l’accord de paix signé entre le président du pays, Salva Kiir Mayardit, et Riek Machar, son ancien vice-président et actuel opposant. Le Sud-Soudan, touché par un conflit sanglant depuis 2013, a connu l’opposition de l’Armée populaire de libération du Sud-Soudan (Spla) et de son aile d’opposition, le Mouvement populaire de libération du Sud-Soudan (Splm) (1). Il y a une forte connotation ethnique dans cette opposition, mais ce n’est pas le seul facteur du conflit. La gestion des ressources pétrolières, concentrées surtout à la frontière avec le Soudan, ainsi qu’une situation de violence généralisée due à un marché des armes florissant, qui n’a pas permis de définir clairement les formations sur le terrain, et un facteur étatique qui a influencé le tragique scénario de guerre, sont également très importants. Cette pacification ne conduira à long terme qu’à une résolution structurelle de l’urgence humanitaire dans le pays : selon le Département d’État américain, le conflit a fait plus de 400.000 victimes depuis le début des hostilités (2). Selon les États-Unis, l’accord de paix ne répond pas clairement aux besoins de la population en termes de couloirs humanitaires et, en général, en termes de protection des droits de l’homme, dans le cadre de la réintégration dans la société civile des anciennes milices, notamment des enfants soldats. Tout cela s’inscrit dans le contexte de l’évolution ds attitudes politiques régionales et mondiales en ce qui concerne la situation à Djouba.

La période coloniale a imposé une division du Soudan en une région septentrionale, à majorité musulmane et sous le co-dominium anglo-égyptien, et une partie méridionale, principalement animiste et sous contrôle anglais exclusif. Le référendum de juillet 2011, qui a sanctionné l’indépendance du Sud-Soudan, a conduit à la fin de la répression, commencée dans les années 80 et définie par les États-Unis comme un “génocide”, répression menée par Khartoum dans les provinces du Sud (3). L’opposition entre deux les ethnies majoritaires dans le pays ont déclenché une lutte pressante pour le pouvoir, qui a explosé avec un conflit civil, à partir de juillet 2013 : à l’opposition anthropologique entre les Dinka, une société hiérarchique et centralisée, et les Nuer, acéphale et “segmentaire”, s’ajoute la fragilité du projet pour construire des institutions nationales fortes. Le compromis qui a conduit à la présidence d’un Dinka, Salva Kiir Mayardit, et à la vice-présidence d’un Nuer, Riek Machar, dont la démission/expulsion représentait le casus belli, a échoué, car il a immédiatement été confronté à la réalité d’un pays fragmenté, très pauvre et incapable d’exploiter ses nombreuses ressources. Cela a favorisé la désintégration des camps, créant rapidement une situation de violence généralisée, caractérisée par l’utilisation massive du recrutement d’enfants soldats des deux côtés et aggravée par une crise humanitaire. Cette situation insoutenable a poussé les parties à négocier un premier accord de paix, signé en août 2015 à Addis-Abeba, qui a rapidement échoué (4). La fragilité de cet accord est due à l’absence totale d’un plan humanitaire pour l’ensemble de la population et d’une feuille de route vague pour la reconstruction de la souveraineté des États. Ce premier traité a été violé en peu de temps, à la fois à cause des violations du cessez-le-feu par certains dissidents des deux parties, et à cause de la famine qui a affecté l’agriculture locale entre 2015 et 2016, du mécontentement croissant de la population et des nombreuses migrations de populations. L’accord de 2015 représente le déclin de la mission Unmiss, opérationnelle depuis 2011, qui a été dépassée par l’Union africaine, l’Igad (Autorité intergouvernementale pour le développement) et surtout par les acteurs régionaux (et avant tout l’Ouganda et le Soudan), principaux promoteurs de l’accord de 2018 (1).

Ce tableau du Sud-Soudan peut être contextualisé dans le cadre d’une géopolitique régionale et mondiale renouvelée. L’administration Trump aux États-Unis a poursuivi sur la voie de l’isolement progressif du Sud-Soudan, déjà entamé avec Obama, en imposant d’abord un embargo aux différents ministres du gouvernement, puis sur la vente d’armes dans le pays, comme base d’une interdiction totale par les Nations unies (5). Outre la valeur fortement symbolique de la résolution de la question humanitaire, ce geste est géopolitiquement important : suite à la montée au Soudan, en 1989, du Front national islamique d’Omar Al-Bashir, le Sud-Soudan est devenu un petit pilier de la politique américaine dans la région, tant pour appuyer le régime de Khartoum que pour surveiller les nouveaux dirigeants dans les Grands Lacs (notamment au Rwanda et en Ouganda) (3). De facto, la politique de l’Ouganda et du Kenya, avec Museveni et Kenyatta, envers le Sud-Soudan a essentiellement suivi la ligne de Washington. Avec la présidence Bush, ces deux pays ont maximisé leur soutien militaire et économique à la Spla, dans le cadre de la “lutte contre le terrorisme” post-11 septembre. Ces dernières années ont connu un important bouleversement : l’ouverture progressive de Washington à Khartoum a jeté les bases d’une approche moins hostile de la part de Kampala, favorisant indirectement la médiation des deux pays pour l’accord du 10 septembre 2018. Selon la vision américaine, le Sud-Soudan n’est plus un pilier de sa diplomatie sur le continent africain, notamment en raison de la rupture des relations diplomatiques du Soudan avec l’Iran. Un changement important d’échiquier, qui laisse cependant une série de questions en suspens, et notamment celle des dynamiques exogènes qui affectent le développement du conflit. Le traité de paix, qui devrait conduire à la formation d’un gouvernement de coalition et à l’unité nationale au cours de l’année prochaine, laisse dangereusement ouverte une série de scénarios imprévisibles.

Perspectives :

  • Décembre 2018 : Conférence des Nations Unies à Marrakech (Maroc) pour un “pacte mondial” sur les flux migratoires. Le Sud-Soudan devient une cible spéciale en raison des mouvements d’émigration, en particulier vers les Grands Lacs et l’Éthiopie. L’Ouganda, le pays qui compte le plus grand nombre de réfugiés dans le monde, par le biais de son National Risk Assessment (Nra), considère les migrants du Sud-Soudan comme une menace potentielle pour la sécurité nationale. Le document indique que l’enrôlement des réfugiés constitue la principale source de subsistance, avec le trafic illicite des ressources primaires, des milices actives sur le territoire (Adf et Lra, surtout).
  • Le rétablissement de la paix entre l’Érythrée et l’Éthiopie constitue la base d’un sommet conjoint en 2019 pour résoudre la question somalienne. Le Sud-Soudan est considéré comme moins important dans cette affaire, du moins pour l’intérêt national éthiopien. L’Éthiopie, après avoir joué un rôle de premier plan dans l’accord de 2015, s’est désengagée à la fois pour des questions internes (agitation des Oromo) et pour une diplomatie plus axée sur le front oriental et l’Erythrée. Il est donc difficile de dire comment le processus de stabilisation dans la Corne de l’Afrique peut affecter le scénario soudanais.

Sources :

  1. South Sudan president signs peace deal with rebel leader, Al Jazeera, 12 septembre 2018.
  2. South Sudan : War Deaths estimated at 400000, CajNews Africa, 28 septembre 2018.
  3. TAVARELLI Rino, Il Sudan è di nuovo tra i buoni, Limes- Rivista italiana di geopolitica, novembre 2017.
  4. UNMISS.org, Agreement on the resolution of the conflict in South Sudan, Intergovernemental Authority on development, 17 août 2015.
  5. US Department of State, US arms restriction on South Sudan, 2 février 2018.