Paris. Du point de vue français, on retiendra deux choses du dernier sommet des Nations-Unies à New York. Premièrement, Donald Trump s’est encore prononcé contre la “dictature corrompue” qu’est selon lui l’Iran, demandant à la tribune qui lui était offerte d’isoler encore plus la République islamique. Deuxièmement, et dans une plus large mesure puisque les journaux français en ont fait leurs choux gras, on retiendra qu’Emmanuel Macron s’est évertué à défendre un “multilatéralisme chevillé au corps”, en réponse au discours dit souverainiste et unilatéral que Donald Trump avait tenu une heure plus tôt.
Mais de quel multilatéralisme Emmanuel Macron parle-t-il ? Dans une tribune parue dans Le Figaro jeudi dernier, Hadrien Desuin rappelait que multilatéralisme ne signifie pas gouvernement administratif mondial. “Le multilatéralisme est, par nature, un état d’anarchie dans lequel la plus forte des nations souveraines organise les rapports de puissances autour d’elle” (1). Le multilatéralisme nouvelle formule défendu par Emmanuel Macron ne serait donc finalement qu’un retour à la “diplomatie onusienne” de 1945 ?
Rien n’est moins sûr. Depuis son élection en 2017, Emmanuel Macron est apparu, en matière de politique étrangère, tantôt souverainiste (voire “souverainiste européen”), tantôt supranationaliste. Quitte à s’approprier les deux visions et n’en former qu’une seule, lorsqu’il déclare à la tribune de l’Assemblée générale que “nous vivons une crise profonde de l’ordre international libéral westphalien que nous avons connu, parce qu’il a échoué pour partie à réguler ses propres dérives financières, sociales, climatiques, qui n’ont pas trouvé de réponse à la hauteur” (4). Or, l’ordre westphalien est bel et bien mort. Dès le traité de Versailles, l’émergence et la prise en compte des nationalismes a précipité la dégradation du modèle westphalien. Puis, quand un droit de veto fut octroyé à cinq puissances au détriment des autres, quand le principe d’ingérence fut théorisé, aucun de ses critères n’est resté inviolé.
Si l’on doit trouver un sens à cette notion de “multilatéralisme macronien”, il faut l’aborder par le biais de la place de la France dans le monde et de l’idée que s’en fait le président français. “Jacques Chirac avait une conviction profonde, c’est que la France n’est grande que si elle est ouverte au monde ”, déclarait Emmanuel Macron en 2017 (2). Une ouverture au monde tout d’abord européenne puis internationale : la France, insérée dans l’Europe, doit être “une puissance médiatrice” (5), “la France doit permettre à l’Europe de devenir leader du monde libre” (3).
Cette “troisième voie” défendue mercredi dernier doit donc permettre à la France de recouvrer un statut international, alors que le pays n’a jamais su, au sein d’un monde post-1945, se remettre de la perte de son influence globale. Dans un sens, même s’il s’y oppose fermement, la position unilatérale de Donald Trump sert les desseins du chef de l’État français, puisque lui permet d’haranguer l’auditoire d’un discours universaliste au sein duquel la France redevient le centre du monde. Mais le temps des discours ne durera pas. Mercredi dernier, Xi Jinping et Vladimir Poutine n’étaient pas présents à New York, et ce n’est pas la proposition de réformer le G7 qui remettra Paris au centre de l’échiquier.
Perspectives :
- Sous la présidence de Donald Trump, les États-Unis tournent petit à petit le dos à une gouvernance mondiale fondée sur des institutions internationales. Que ce soit sur le nucléaire iranien, la guerre en Syrie ou encore le conflit israélo-palestinien, la France se penche de plus en plus vers une politique étrangère réaliste, en contradiction avec le mandat de François Hollande.
- L’augmentation de l’aide au développement et des crédits pour l’armée sont autant de signes qu’Emmanuel Macron souhaite imposer sa marque et redonner un rôle significatif à la France. Mais isolé pour défendre ce qu’il appelle le “multilatéralisme”, le chef de l’Etat français se retrouve coincé au sein d’une destinée qu’il avait lui-même tracée : peser sur les enjeux mondiaux au travers des institutions internationales.
- La position française des prochains mois, que ce soit vis-à-vis de l’Europe, ou du G7 qui se déroulera à Biarritz, devrait donner quelques pistes pour savoir si oui ou non l’Elysée redirige sa politique étrangère.
Sources :
- DESUIN Hadrien, « Le multilatéralisme de Macron n’existe pas », Le Figaro, 26 septembre 2018.
- Emmanuel Macron fidèle au « multilatéralisme » de Jacques Chirac, Le Point, 23 novembre 2017.
- NAY Catherine, La grandeur de la France, de De Gaulle à Macron, Europe 1, 9 septembre 2017.
- SEMO Marc, A l’ONU, Emmanuel Macron appelle à ne pas suivre « la voie de l’unilatéralisme », Le Monde, 25 septembre 2018.
- SEMO Marc, Syrie, Iran, Europe : Emmanuel Macron contraint à la lucidité, Le Monde, 28 août 2018.