Belgrade. “Étant donné les preuves crédibles de l’utilisation d’une Zastava M21 (un fusil d’assaut) par des soldats camerounais pour exécuter deux femmes et deux jeunes enfants, la Serbie devrait suspendre l’approvisionnement en armes”. Les mots sont forts, signés Patrick Wilcken, chercheur en contrôle des armes à Amnesty International, mais ne constituent pas le premier signalement de ce type au Cameroun. D’autres vidéos diffusées dans le passé faisaient état d’actes similaires, commis eux-aussi avec des armes serbes (4).

Aussi petit exportateur d’armes qu’il soit en comparaison des grandes puissances, la Serbie n’en tire pas moins son épingle du jeu, grâce notamment à la production d’armes légères. La firme étatique Yugoimport SDPR est une habituée du forum Eurosatory de Paris et exporte dans de nombreux pays. Au Cameroun donc, mais aussi vers le Moyen-Orient, en particulier vers l’Arabie Saoudite. En 2016, les pays balkaniques dans leur ensemble auraient ainsi vendu pour près de 500 millions d’euros d’armes, dont 400 millions pour la seule Serbie (6). Entre 2012 et 2016, d’après un rapport du Balkan Investigative Reporting Network, et du Organized Crime and Corruption Reporting Project, 1,2 milliards d’euros d’armes auraient été envoyés vers le Moyen-Orient (1). Récemment, The Independent consacrait deux papiers à des armes serbes et bosniaques retrouvées dans les ruines de bureaux du Front al-Nosra ou d’al-Qaeda en Syrie. Des armes signées Zastava et Bnt-Tmih qui auraient transité par l’Arabie Saoudite (2, 3).

Le président serbe, Aleksandar Vučić, n’a jamais caché la volonté de son gouvernement d’augmenter le plus possible ses ventes d’armes, s’en félicitant publiquement il y a encore deux semaines : “Notre travail est de gagner le plus possible. Nous avons battu des records l’année dernière, et je crois que cette année, nous vendrons encore plus d’armes” (8). Des ventes record donc, qui ravivent les tensions avec son voisin kosovare : le ministre des affaires étrangères du Kosovo, Behgjet Pacolli, a accusé la Serbie de vendre (ou même de donner) des armes à des pays, pour les dissuader de reconnaître l’indépendance de son pays (5).Perspectives :

  • La Serbie voudrait se doter à terme d’une véritable industrie d’armement moderne, les usines actuelles étant vieillissantes. Pour ce faire, le parlement serbe a adopté au début du mois une loi visant à privatiser partiellement l’industrie de la défense, permettant notamment aux investisseurs étrangers d’acheter jusqu’à 49 pour cent des parts d’une entreprise d’armement.
  • Les autorités affirment que des capitaux privés sont nécessaires pour moderniser l’industrie de défense serbe, en introduisant de nouvelles technologies et de nouveaux équipements. Des mesures qui n’ont pas été bien accueillies par les travailleurs serbes, ceux de la firme Zastava s’étant mis en grève en mai dernier, exigeant une exemption de privatisation et protestant contre les mauvaises conditions de travail (7).

Sources :

  1. COSIC Jelena, Serbia PM Defends Lucrative Saudi Arms Sales, BIRN, 2 août 2016.
  2. FISK Robert, A Bosnian signs off weapons he says are going to Saudi Arabia – but how did his signature turn up in Aleppo ?, The Independent, 19 juillet 2018.
  3. FISK Robert, The Syrian war is a ‘shame to mankind’ says Serbia’s top weapons maker – but I found his instruction books in eastern Aleppo, The Independent, 20 juillet 2018.
  4. Rights group urges Serbia to stop selling arms to Cameroon, Journal du Cameroun, 23 juillet 2018.
  5. Pristina official : We know Serbia lobbies by selling weapons, N1 Info, 23 juillet 2018.
  6. Western Balkans arms exports exceed 500 million euros in 2016 – report, Reuters, 6 juillet 2018.
  7. RUDIC Filip, Serbian Workers Strike over Arms Company Privatisation, BIRN, 23 mai 2018.
  8. TANJUG, « So they saw a Serbian gun – I see American guns everywhere », b92.net, 25 juillet 2018.

Matthieu Caillaud