Que sont les métaux rares ? Des ressources peu connues mais essentielles au fonctionnement de l’espace mondialisé. Insérées au cœur de tout appareil électronique, sans elles aucune de nos technologies numériques n’existerait. Composant également la plupart de nos technologies vertes (éoliennes, panneaux solaires ou voitures électriques), leurs modes de production laissent toutefois perplexe sur leur capacité à s’établir comme alternatives durables aux énergies fossiles. La pollution ne serait pas réduite mais simplement délocalisée… essentiellement en Chine où 95 % des terres rares sont produites. Un chiffre qui par ailleurs devrait nous alarmer sur la situation de dépendance à la Chine dans laquelle le reste du monde -dont l’Europe- se trouve depuis les années 1980. Guillaume Pitron nous présente une enquête de six ans, dont les résultats sont à retrouver dans son livre La guerre des métaux rares.


Que sont les métaux rares ?

Dans la croûte terrestre il y a des métaux abondants, que tout le monde connaît : le fer, le plomb, le zinc, l’aluminium, l’or, l’argent, le cuivre etc. A ces métaux abondants sont mélangés des métaux plus rares. Ils sont associés naturellement à la croûte terrestre : le cobalt, le gallium, les terres rares légères ou lourdes, le tungstène, le graphite ou l’indium.
Ils ont 3 caractéristiques qui les différencient des métaux abondants :

  • Ils sont mélangés à eux mais dans des proportions beaucoup moindres. Par exemple, le sol recèle 1 200 fois moins de néodyme et 2 650 fois moins de gallium que de fer. Ça vous donne un ratio de la proportion du sol entre métaux abondants et métaux rares.
  • Les marchés de ces métaux rares sont réduits. On produit 130 000 tonnes de terres rares par an contre 2 milliards de fer, soit 15 000 fois moins.
  • Ils sont chers. 1 kilogramme de gallium vaut 150 dollars, c’est-à-dire 9 000 fois plus que le fer.

Pourquoi le prix des métaux rares est si élevé ?

A cause de leur coût d’extraction et de raffinage. Comme ils sont présents dans la couche terrestre dans des proportions moindres, les procédés d’extraction coûtent cher. Par ailleurs on n’utilise pas un métal à l‘état brut, il faut le transformer pour arriver à un métal relativement purifié. C’est ce dernier qu’on va utiliser, et c’est là que se situe la différence entre le minerai et le métal. Le minerai, c’est la matière brute qui sort du sol. Le métal c’est l’aluminium qui entoure votre téléphone portable, celui-ci a été purifié. Cependant purifier de l’aluminium est plus simple que purifier un métal rare, car il y a beaucoup plus d’aluminium dans une roche. Les processus de purification sont plus nombreux et requièrent plus d’énergie, donc cela coûte plus cher. En plus, comme leur nom l’indique, ce sont des métaux qui sont rares, pour lesquels il y a une forte demande, ce qui influence leurs prix à la hausse.

Aujourd’hui on ne pense pas notre transition énergétique sans une convergence des greentechs et du numérique. Les deux vont ensemble, ce qui veut dire que les métaux rares sont doublement indispensables pour la transition énergétique.

Guillaume Pitron

Aujourd’hui, de quelle manière nos sociétés développées dépendent des métaux rares ?

Elles dépendent des Métaux rares pour les « greentechs » (les technologies vertes) et le numérique. On ne peut pas faire d’éolienne ou de batterie de voiture électrique sans métaux rares. Ils sont donc indispensables au développement des technologies vertes, mais aussi à celui de nos ordinateurs, de nos smartphones et de toute technologie numérique.

Par ailleurs aujourd’hui on ne pense pas notre transition énergétique sans une convergence des « greentechs » et du numérique. Les deux vont ensemble, ce qui signifie que les métaux rares sont doublement indispensables pour la transition énergétique.

Qui est le premier producteur mondial de métaux rares ?

C’est la Chine. Non pas parce qu’elle a toutes les réserves, car on trouve en fait des métaux rares sur toute la planète : en Europe, en Afrique, aux Etats-Unis etc. Seulement, à partir des années 1980, les pays développés qui exploitaient des mines de métaux rares ont décidé de ne plus en assumer l’extraction pour des raisons écologiques : elles étaient trop polluantes. Ils ont donc préféré laisser ce fardeau à des pays pour lesquels l’extraction de minerais, bien qu’extrêmement sale, ne posait pas de problème.

Nous étions à une époque où la Chine n’avait pas le même niveau de développement économique qu’aujourd’hui. L’impact écologique de cette extraction était pour elle moindre que l’avantage économique qu’elle en tirait.

La Chine à elle seule produit 95 % des terres rares mondiales.

GUILLAUME PITRON

A cette époque nous avons donc laissé la Chine récupérer le monopole de l’exploitation d’un tas de terres rares (gallium, graphite, tungstène), à telle enseigne qu’aujourd’hui elle a le monopole général de leur production. Or ce monopole est pour nous occidentaux bien plus inquiétant que celui de l’Arabie Saoudite sur le pétrole, par exemple.

En tant qu’européens, nous serions autant dépendants de la Chine pour l’accès aux terres rares que nous le sommes envers les pays du Golfe pour l’importation de pétrole ?

Oui, voire bien plus. Beaucoup plus même. L’OPEP, qui est représentée par 14 pays, représente 43 % de la production de pétrole mondiale. La Chine à elle seule produit 95 % des terres rares mondiales. On est dans une situation de dépendance bien plus grave. Un spécialiste que j’ai interrogé, Dudley Kingsnorth, appelle ça “une OPEP sous stéroïdes”…

Les différentes terres rares et leur producteurs. Source  : Commission Européenne

L’extraction des terres rares est-elle plus contraignante que celle du pétrole ?

Il y a pour l’extraction des terres rares une contrainte temporelle qu’il n’y a pas pour celle du pétrole. Le temps minier est très long, il faut 15 à 20 ans entre le moment où vous avez trouvé une mine et celui où vous commencez à l’exploiter.

Le problème qui se pose est que nous ne pouvons pas attendre 20 ans pour sortir de cette dépendance à la Chine.

A quel moment les pays européens ont-ils pris conscience de cette dépendance, et de l’impossibilité d’en sortir à court-terme ?

Il y a eu un coup de tonnerre dans le monde des métaux rares en septembre 2010. A cette date a été agencé un embargo informel de la Chine contre le Japon, mais également contre les Etats-Unis.
La dépendance des pays européens existait déjà mais n’était connue que du petit monde des métaux rares, constitué principalement d’industriels. Cet embargo ayant été très médiatisé, elle s’est accrue pour enfin sauter aux yeux du monde, et à ceux des politiques notamment.

La Chine profite-t-elle de ce monopole pour faire basculer des rapports de force géopolitiques en sa faveur ?

Tout Etat qui, dans l’histoire, a détenu un monopole sur une ressource stratégique, en a toujours abusé – ou a été tenté d’en abuser. En 1930 les américains qui avaient le monopole de l’hélium, un gaz indispensable au vol des ballon dirigeable Zeppelin utilisés par les nazis, ont décidé d’imposer un embargo sur l’Allemagne. De même avec les très célèbres embargos de l’OPEP dans les années 1970, ou lorsqu’en 1979 le président américain Carter gelait l’exportation de 17 millions de tonnes de céréales à destination de son rival soviétique, après que celui-ci avait envahi l’Afghanistan.

A chaque fois, l’Etat qui dispose du monopole d’une ressource en abuse en imposant un embargo, pensant qu’il servira ses intérêts géopolitiques. C’est ce qu’il s’est passé avec la Chine, elle s’est servi du monopole sur les terres rares. Elle s’en sert pour peser dans ses négociations commerciales.
Par rapport au Japon, le différend était à propos des îles Senkaku. Les deux pays se disputent les îles depuis des décennies, donnant lieu à un véritable imbroglio juridique, légal et diplomatique. Pour faire simple, la Chine convoite les Senkaku car le sous-sol de leur Zone économique exclusive renferme de gigantesques réserves d’hydrocarbures.

En septembre 2010 c’est un incident diplomatique autour d’un chalutier chinois, dont le capitaine a été arrêté par les autorités japonaises dans cette même zone, qui déclenche l’embargo.

Auriez-vous un autre exemple d’utilisation de ce monopole par la Chine à des fins géopolitiques ?

La Chine n’a réellement opéré qu’un embargo, celui de 2010. Au-delà du Japon celui-ci a aussi touché les Etats-Unis, avec qui la Chine n’avait pas de différend particulier à ce moment-là.

Il n’y a en revanche pas que les embargos, mais aussi les quotas qui sont en fait des “embargos light”. Il ne s’agit pas d’arrêter l’exportation d’une ressource, mais de la diminuer ; de resserrer le goulot d’étranglement sans pour autant le refermer.

L’embargo de 2010 n’a été que le point de cristallisation d’une politique systématique de Pékin, qui consiste à limiter ses exportations de métaux rares [par des quotas]

GUILLAUME PITRON

Or les quotas d’exportation des terres rares de la Chine appliqués à ses voisins sont nombreux. Des actions des pays occidentaux contre la Chine ont d’ailleurs été menées devant l’OMC.

L’embargo de 2010 n’a été qu’un point de cristallisation d’une politique systématique de Pékin, consistant à limiter ses exportations de métaux rares. Depuis des années les quotas qu’elle imposait n’étaient de manière générale pas contestés.

Où se situent les sites de production de métaux rares chinois ?

De fait il y en a dans toutes les provinces de Chine. Il y a cependant deux sites d’extraction principaux. Le premier se situe en Mongolie intérieure, dans la ville de Baotou. Le deuxième se trouve près de la ville de Ganzhou, dans la province du Jiangxi située à 1500 km au nord de Pékin.

Quelles sont les conséquences environnementales de l’extraction des terres rares ?

Désastreuses. La Chine a inondé le reste du monde en terres rares depuis les années 1980, et pendant longtemps à bas prix. Nous, les occidentaux, avons été très contents d’acheter des terres rares à des prix défiant toute concurrence, car cela nous permettait de faire baisser le coût des nouvelles technologies. Toutefois cela s’est réalisé à deux conditions désavantageuses pour la société chinoise. Au prix d’un dumping social car le salaire de la main d’oeuvre chinoise chargée de l’extraction était très bas ; et d’un dumping environnemental car les coûts de traitement de l’extraction des minerais n’ont pas été intégrés aux coûts de production. C’est même l’ensemble du processus d’extraction et de raffinage qui n’a pas été traité d’un point de vue écologique. Aucune norme environnementale n’a été respectée par les chinois, dont le but était de satisfaire la demande internationale en terres rares au coût le plus bas possible.

Cette course vers le bas a généré des désastres environnementaux colossaux au niveau de l’extraction et du raffinage des minerais. Parmi les plus graves des dommages que j’ai pu constater en voyageant en Chine, il y a les “lacs” de rejets toxiques qui se trouvent autour de Baotou. On y trouve plusieurs “villages du cancer” où les gens meurent à petit feu, à cause de l’importante concentration du sol en métaux lourds.

De ce fait trouve-t-on dans ces villages des mouvements écologistes qui militent contre l’extraction des métaux rares ?

En Chine il y a environ 8000 ONG environnementales (ONGE) actives qui militent sur des sujets divers : de la préservation des pandas aux terres rares, en passant par la pollution de l’air dans les grandes villes et autres. Une infime partie de ces ONG communique autour de la gravité de l’impact environnemental de l’industrie minière chinoise. Je pense notamment à celle du très célèbre environnementaliste Ma Jun, “l’Institut des affaires publiques et environnementales”.

En France il y en a également. “Les Amis de la Terre” par exemple, qui est très au point sur la question des métaux rares et critique -à raison- la politique d’obsolescence programmée. Une de leurs campagnes vise à réduire les déchets électroniques, en les recyclant ou les rendant plus durables. L’objectif est de réduire l’extraction des métaux rares et la pollution qui en résulte.

N’est-ce pas le Japon qui a essayé de prendre une longueur d’avance dans le recyclage des terres rares contenues dans les appareils électroniques ?

Le Japon est un archipel qui n’a pas un gramme de métaux rares dans son sous-sol ; d’une manière plus générale son sous-sol est très pauvre en minerais. Il est donc complètement dépendant de l’importation de toutes sortes de ressources minières. En plus, paradoxalement, c’est un des pays qui est le plus dépendant de la consommation de terres rares. Dans le mode de vie de ses habitants, mais aussi dans son industrie : l’industrie high-tech du Japon représente une part considérable de son économie.

La question du recyclage des métaux rares se pose donc de manière fondamentale. Il faut bien trouver des minerais quelque part ; soit en contournant le monopole chinois et en développant des mines alternatives -ce qu’il a par ailleurs fait en Australie ; soit en recyclant les centaines de milliers de tonnes de métaux rares qu’on trouve dans ses décharges électroniques, aussi appelées “mines urbaines”. Ainsi le Japon développe des technologies de récupération des métaux rares dans les déchets électroniques, mais aussi de réutilisation de ces métaux dans de nouveaux appareils. C’est ce qu’on appelle des procédés d’économie circulaire : on laisse les minerais dans une boucle de consommation où aucun minerai n’est jeté mais réemployer.

Le processus utilisé pour séparer les métaux rares et les réutiliser étant extrêmement complexe et énergivore, il est très coûteux. […] Il s’avère qu’il est encore moins cher pour un industriel japonais d’acheter des terres rares à la Chine, que de recycler ses propres terres rares.

GUILLAUME PITRON

Cependant ces procédés ne sont pas pleinement appliqués. Cette politique de recyclage est appliquée pour un certain nombre de métaux tels que l’aluminium, le cuivre, l’or ou l’argent, mais peu pour les métaux rares. Pour ces derniers le recyclage est plus difficile, car ils n’interviennent jamais à l’état pur dans des appareils. Ils sont toujours mélangés à d’autres métaux tels que le fer. Ils font l’objet d’un alliage, donc lorsque vous les recyclez il faut les désallier, les séparer. Or le processus utilisé pour séparer les métaux rares et les réutiliser est extrêmement complexe et énergivore, donc très coûteux.

Techniquement c’est possible, mais économiquement ce n’est pas rentable. Il s’avère qu’il est encore moins cher pour un industriel japonais d’acheter des terres rares à la Chine, que de recycler ses propres terres rares. Il n’exploite donc pas ce potentiel de recyclage, faute d’un modèle économique adéquat.

Concernant l’économie circulaire, la Chine est-elle en avance dans ce domaine ?

La Chine dispose d’immenses volumes de déchets électroniques stockés de manière désastreuse dans ses décharges électroniques, notamment car de nombreux pays lui en ont revendu des tonnes. Ils ont participé à faire de la Chine une véritable poubelle électronique, c’est ce qu’on appelle une “e-poubelle”.


Potentiellement elle pourrait faire des économies d’échelle en les recyclant, grâce aux grands volumes dont elle dispose. Toutefois bien qu’elle recycle, elle ne recycle pas de métaux rares. Toujours en raison des procédés complexes et ruineux.

Vous parliez des investissements japonais dans des mines australiennes. Il y aurait une controverse mêlant ces deux pays à la Malaisie, où seraient raffinées les terres rares extraites en Australie. Cela paraît bien géopolitique, que se passe-t-il exactement ?

La Malaisie a déjà dans les années 1980 extrait et raffiné des terres rares pour le compte des pays occidentaux. C’était déjà le même schéma qu’avec la Chine : les pays occidentaux ne voulaient pas de la pollution liée au raffinage des terres rares sur leur territoire. Ils ont donc préféré laisser les pays dont les standards environnementaux étaient moindre faire ce sale boulot à leur place. La Malaisie comme la Chine étaient à l’époque trop contentes de se développer pour se préoccuper d’un désastre environnemental. Dans le cas de la Malaisie on parle du “désastre de Bukit Merah“.

Aujourd’hui le groupe australien Llinas cherche à reproduire ce modèle-là, et comme le dit l’adage “l’histoire se répète. Une première fois sous forme de tragédie et une deuxième sous forme de farce”. Là cela devient une farce. L’Australie veut bien extraire le minerai mais pas le purifier, parce que c’est sale. Elle laisse donc un pays dont les standards environnementaux sont moindres faire le travail de purification à sa place.

En termes géopolitiques on est dans une logique de délocalisation de la pollution. Les états développés délocalisent systématiquement leur pollution.

GUILLAUME PITRON

En termes géopolitiques on est dans une logique de délocalisation de la pollution. Les Etats développés délocalisent systématiquement leur pollution. C’est ce qu’a par exemple fait la France avec ses déchets nucléaires : elle a exporté en Sibérie les déchets de ses centrales. C’est à la Russie également que la France confie une partie du traitement de ses déchets électroniques.

Par ailleurs la délocalisation de la pollution se passe autour de phénomènes qu’on soupçonne moins, autour du développement des voitures électriques par exemple. Les autorités gouvernementales et celles des grandes villes encouragent les français à acheter des voitures électriques, dans le but de purifier l’air en France.

Or il s’agit là d’un véritable processus de délocalisation de la pollution ; certes ce type de voiture n’émet pas de CO2 dans l’atmosphère français, mais sa construction nécessite des métaux rares.
Ainsi la réduction de pollution en France se traduit par un supplément de pollution en Chine, où sont extraits ces métaux rares.

Notre politique actuelle qui consiste à dire zéro émission de carbone dans les grandes villes grâce aux voitures électriques, car les parisiens et parisiennes aisés veulent un ciel bleu tous les jours, signifie plus de pollution loin des regards, dans les mines chinoises de Mongolie intérieure et du Jiangxi.

Comment pourrait-on stopper ce processus de délocalisation de la pollution ?

En ouvrant des mines d’extraction dans les pays développés importateurs tout simplement. Comme je vous l’ai dit la plupart d’entre eux disposent de mines de métaux rares, et c’est le cas de la France. Seulement ça ne polluerait plus la Chine mais ces pays.

Cela dépend uniquement de décisions politiques. Or les politiques ne veulent pas assumer ce choix, face à une opinion publique qui elle-même refuse d’admettre les conséquences de notre mode de vie soi-disant plus vert.

Au regard des conséquences écologiques, les gouvernements de ces pays développés tentent-ils de développer des alternatives à l’extraction et l’utilisation de métaux rares ?

Quasiment pas. La question qu’il faut d’abord se poser est de savoir s’ils sont bien informés sur le problème ? Pas sûr.

Il est probable qu’à la fin de cette interview, vous soyez mieux informé qu’un paquet de monde au gouvernement dont le rôle est pourtant de prendre des décisions importantes et visionnaires sur cette question.

Une fois qu’ils seront informés, et pour ceux qui le sont déjà, prendront-ils les décisions qui s’imposent ? Non.

Peut-être s’en préoccuperont-ils dans 20 ans, quand la situation sera réellement inquiétante ?

La situation est peut-être déjà très inquiétante.

Par ailleurs dès que la voiture à moteur a commencé à se développer, avant même la deuxième guerre mondiale, on savait très bien que c’était sale. Simplement, par engouement on développait une nouvelle économie qui était prometteuse pour le progrès technique et économique.

On n’a pas voulu regarder les coûts environnementaux car on les considérait supportables, compte tenu des avantages que nous apportaient les avancées technologiques.

Dans les 30 prochaines années on extraira davantage de métaux pour nos besoins de tous les jours […] que ce que l’humanité n’a jamais extrait depuis 70000 ans.

GUILLAUME PITRON

De même, on sait très bien combien nous coûtent l’extraction des métaux rares en matière environnementale ; et qu’elle nous coûtera plus à l’avenir avec le développement du numérique et des greentechs.

D’après une estimation du CNRS, dans les 30 prochaines années on extraira davantage de métaux pour nos besoins de tous les jours, notamment pour nos besoins technologiques et notre croissance verte, que ce que l’humanité n’a jamais extrait depuis 70 000 ans.

Nous, les 8 milliards d’habitants de la planète, allons consommer entre 2018 et 2048 plus de métaux que ce qui a été consommé depuis qu’Homo Sapiens est Homo Sapiens.

Pour en revenir à la Chine, les dirigeants chinois s’inquiètent-ils de la pollution liée aux métaux rares ?

Beaucoup. C’est devenu un problème car la population chinoise ne supporte plus cette pollution désormais trop importante. Elle concerne l’eau et les terres, puisque les eaux qui servent à purifier les minerais sont rejetées telles qu’elles dans la nature, bien qu’elles soient chargées en produits toxiques. Les usines de minerais impliquent également des rejets dans l’air car les produits chimiques ressortent aussi à l’état gazeux.

Le niveau de vie d’une partie de la population chinoise s’étant élevé, elle aspire à un mode de vie plus confortable et ne veut plus assumer à elle seule le coût écologique du monde plus vert et plus connecté dont profitent les occidentaux.

Cela créé aujourd’hui en Chine des troubles : des manifestations dont le gouvernement de Pékin craint qu’elles ne deviennent ingérables. Ce dernier est donc contraint de changer sa politique industrielle, de prendre en considération des standards environnementaux jamais pris en compte jusque-là pour ne pas embraser ce foyer de tensions sociales. D’une certaine manière la légitimité des dirigeants du Parti Communiste Chinois est en jeu.

Auriez-vous un exemple de manifestation environnementale violente en Chine ?

Violente je ne sais pas, mais je peux citer celles de la ville de Chengdu, la capitale du Sichuan, qui se sont déroulées en décembre 2016. Des centaines de personnes avaient manifesté contre la pollution de l’air.

Le problème de la pollution en général est devenu un enjeu géopolitique majeur dans de nombreux endroits de Chine. 712 manifestations locales contre la pollution ont été recensées par les autorités depuis 2013, alors que du côté de certains organisateurs on parle de plusieurs milliers.

En 2016 on dénombrait en Chine plus de 8000 ONGE (Organisation non gouvernementale environnementale) contre seulement 9 en 1994…

GUILLAUME PITRON

Pour vous donner une idée du niveau de préoccupation de la population, en 2016 on dénombrait en Chine plus de 8000 ONGE (Organisation non gouvernementale environnementale) contre seulement 9 en 1994…

La Chine cherche-t-elle à délocaliser sa production de métaux rares ?

Le problème est qu’elle n’a plus assez de métaux pour elle-même. Elle produit la majeure partie de la production mondiale, mais malgré ça n’en n’a pas assez pour son propre développement. Son développement minier est moins rapide que le développement de ses besoins. Si elle veut pouvoir tenir la distance, et disposer d’assez de métaux rares pour sa transition énergétique et numérique, il va falloir qu’elle aille en chercher ailleurs.

C’est notamment ce qu’elle fait en étant présente, à des degrés divers, dans des opérations d’extraction minière en Afrique et en Amérique latine.
Est-ce qu’elle délocalise la pollution ? De fait elle la délocalise, lorsqu’elle va chercher du Cobalt dans les mines de République démocratique du Congo par exemple. Est-ce qu’elle le fait pour délocaliser sa pollution ? C’est moins certain.

Concernant le domaine militaire, les métaux rares sont utiles à la fabrication d’armes. Le monopole de la Chine dans la production des métaux rares est-il un avantage pour réaliser son objectif de devenir première puissance militaire mondiale d’ici 2049 ?

Le fait qu’elle détienne le monopole d’une ressource stratégique pour l’assemblage de missiles intelligents est bien évidemment un avantage. Cela place l’armée américaine -et celles de l’OTAN- dans une situation de dépendance, en tout cas théorique pour le moment, aux approvisionnements chinois.

Cependant aujourd’hui les besoins des armées occidentales en métaux rares est assez faible. Elles peuvent s’en procurer suffisamment pour leurs besoins. Mais si la Chine décide d’arrêter ses exportations, auront-nous les stocks permettant d’assurer la continuité de la production ? Ira-t-on chercher ces métaux sur le marché noir chinois ? Ces questions sont très prégnantes et se posent chez des institutions comme le Pentagone (le département de la défense des Etats-Unis) et la CIA.

En somme la Chine ne détient pas seulement le monopole des métaux nécessaires à la production de missiles intelligents. Elle a aussi récupéré les technologies d’aimant américaines à la fin des années 1990, et donc la connaissance des applications de ses métaux pour perfectionner ses armements.

Cela veut dire qu’aujourd’hui la Chine dispose d’une panoplie de missiles longue distance de haute précision, dont les qualités technologiques sont bien meilleures que si elle n’avait pas eu les métaux et les technologies qui vont avec.

Cela pose des problèmes aujourd’hui au niveau des tensions en mer de Chine. La Chine a aujourd’hui une stratégie de déni d’accès en mer de Chine méridionale, qui consiste à sécuriser ses côtes. Une stratégie contestée notamment par les Etats-Unis, car elle représente une atteinte à la liberté de navigation sur les mers.

Or la mer de Chine méridionale est une zone où il y a beaucoup de trafic, une bonne partie du pétrole mondial y circule. Si jamais la Chine dispose de l’armement adéquat pour repousser les porte-avions américains en mer de Chine méridionale, ça change les rapports de force.

Il y a donc un lien direct entre la production monopolistique de la Chine en métaux rares, et le rapport de force entre les deux pays dans cette zone.