Avec Bernard Hourcade, Directeur de recherche émérite au CNRS dans l’UMR « Mondes Indiens et Iraniens », grand spécialiste de l’Iran, et auteur du récent Géopolitique de l’Iran, nous abordons le rôle de l’Union Européenne dans l’Accord nucléaire, le problème de l’euro dans les sanctions internationales, et des élections iraniennes. L’entretien a été réalisé le 10 mai 2017.
Avec Bernard Hourcade, Directeur de recherche émérite au CNRS dans l’UMR « Mondes Indiens et Iraniens », grand spécialiste de l’Iran, et auteur du récent Géopolitique de l’Iran, nous abordons le rôle de l’Union Européenne dans l’Accord nucléaire, le problème de l’euro dans les sanctions internationales, et des élections iraniennes. L’entretien a été réalisé le 10 mai 2017.
De la négociation de 2003 au JCPOA
Les premières négociations sur le nucléaire iranien ont été menées au niveau européen par Javier Solana en 2003. Néanmoins, ces négociations n’ont abouti à un accord qu’en 2015, grâce à l’action américaine. Est-ce là le signe de l’absence de géopolitique européenne, ou bien au contraire un premier exemple de « politique étrangère européenne » ?
La question iranienne est la première et seule question après la Palestine que l’UE a gérée de manière collective. L’UE a en effet établi un dialogue « critique » dès le début des sanctions iraniennes, après la fin de la guerre Iran-Irak. Cela a permis de créer un débat entre universitaires, entre think tank, entre ministres, afin de résoudre les innombrables problèmes qui existaient alors. L’affaire Rushdie a mis un terme à ce dialogue critique, faisant passer les iraniens pour des personnes non fréquentables. Ensuite, lorsque Khatami est arrivé au pouvoir en 1997, le dialogue, de critique, s’est fait politique. Ce dialogue politique s’est interrompu avec l’arrivée d’Ahmadinejad.
L’Europe s’est donc manifestée assez tôt par son refus de placer l’Iran hors du monde, et avait développé, à cette occasion, un dialogue de grande qualité.
En 2003, les USA envahissent l’Irak. Pendant ce temps-là, en Iran, on disait que l’Afghanistan était le petit déjeuner, l’Irak le déjeuner, et que l’Iran serait le grand dîner de gala des USA. La crainte d’une attaque américaine a suscité la démarche de Villepin pour résoudre le problème fondamental du nucléaire. Les ministres français et anglais (Dominique de Villepin et Jack Straw) ont demandé à Joschka Fischer (ministre allemand, farouchement antinucléaire) de se joindre à eux pour tenter une médiation avec l’Iran. Une très grande victoire diplomatique a été obtenue en quelques heures de discussion, et sans négociations préalables entre experts. Cette première négociation a lancé la voie vers le JCPOA, qui n’en est que l’ultime aboutissement. C’est une victoire de l’UE si l’on prend en compte cette première impulsion.
Mais sur le plan formel, de l’intelligence politique, il s’agit d’un échec, car la faiblesse européenne est réelle vis-à-vis des USA qui ont refusé l’accord de 2003. L’UE est capable de secouer une situation, mais si les Américains ne jouent pas le jeu, aucun problème ne sera résolu. On peut aboutir à cette même conclusion aujourd’hui : tant que les Américains ne respectent pas l’accord dans son esprit (car ils le respectent, grosso modo, dans sa lettre), l’accord est, sinon un échec, du moins inabouti.
Le JCPOA mis en échec par les Etats-Unis
Ainsi, vous soutenez que, sans la participation active des Etats-Unis, les négociations européennes sont vaines.
Oui, c’est pourquoi les Européens ont associé les Chinois et les Russes aux négociations, puis les Américains, pour former le fameux E3+3. Du point de vue européen, les membres de l’accord sont appelés « E3+3 » (les trois Européens qui lancent la négociation, et trois autres pays, rajoutés par la suite, par simple courtoisie). Tandis que, du point de vue américain, on appelle les négociateurs « P5+1 », c’est-à-dire, les cinq membres du Conseil de Sécurité, les cinq grands, et l’Allemagne qui s’est trouvée, de fait, embarquée dans les négociations.
Qui plus est, les USA ne respectent pas l’esprit du JCPOA (notamment en ce qui concerne les sanctions contre le terrorisme), ce qui bloque la reprise économique iranienne. Certaines entreprises s’interrogent sur le manque de réaction européenne, car si l’UE disait fermement aux USA : la Chine et la Russie sont d’accord, nous sommes d’accord, et vous empêchez la mise en œuvre de l’accord ; si l’UE tapait du poing sur la table, le président américain ne pourrait pas résister. Cette volonté, avec le Brexit, n’est pas opérationnelle, et l’on en reste à du wishful thinking.
Est-ce que l’UE manque de moyens d’action contre les Etats-Unis ?
Les moyens sont là. Les USA ne peuvent pas se mettre en guerre économique contre l’UE. Mais l’UE n’a pas envie d’une confrontation. Les échanges entre la France et la Belgique sont de 30 milliards de $, et de 500 millions avec l’Iran. L’Iran est un pays très beau et intéressant, mais pour la France, c’est un soixantième de la Belgique.
Cela ne vaudrait donc pas une confrontation diplomatique ?
L’exportation française n’est pas l’essentiel du débat. Mais l’Iran ne vaut pas une guerre économique. En revanche, la guerre en Syrie rend impossible de négliger l’Iran à l’international. Néanmoins, les débats actuels, pour les élections françaises, montrent que l’Europe n’a pas le vent en poupe pour négocier de manière forte et originale, en tant qu’Europe, avec l’Iran. Peut-être le résultat de l’élection française changera-t-il quelque chose, mais c’est très hypothétique.
La levée des sanctions à Vienne le 16 juillet 2016 est-elle donc purement symbolique ?
Non, car les sanctions européennes sont de fait levées, et l’on peut investir en Iran. C’est néanmoins extrêmement compliqué, en raison de la menace américaine (avec le spectre de la BNP). Il y a une peur des Américains qui empêche les investisseurs. Investir en Iran demande beaucoup d’avocats et de conseillers. Il est extrêmement compliqué de vendre un stylo bille à l’Iran. Pour Airbus, cela peut en valoir la peine. Mais même la vente d’avions est compliquée, ce qui fait que l’Iran n’achète pas mais loue simplement des avions.
Et pourtant, l’Iran semble respecter les termes de l’accord.
En effet, et d’ailleurs, l’administration américaine constate elle aussi que l’Iran respecte l’accord nucléaire. Néanmoins, trois jours après, Trump contredit son administration en critiquant violemment l’Iran et le JCPOA.
Le vide européen : l’euro ne concurrence pas le dollar
Les entreprises européennes ne peuvent pas commercer avec l’Iran car la grande majorité des transactions passent par le système financier américain (car elles sont faites en dollars). Cela montre que l’échec géopolitique de l’UE est, sur le plan économique, un échec de l’Euro comme monnaie qui reste, en dépit de la puissance économique de l’UE, dépendante du dollar pour les transactions internationales.
Quand on commerce avec l’Iran, pas un sou ne doit passer par un circuit américain. Tout pourrait se passer en Euro, bien entendu, mais il n’existe pas de mécanisme pour que cela fonctionne. De même, le Brexit éloigne la City londonienne de l’UE (elle s’est polarisée). On pourrait imaginer une bourse à Francfort ou au Luxembourg, mais il n’y a pas de politique européenne. Les entreprises demandent à ce qu’il existe une chambre de compensation européenne en euro, pour passer par elle afin de commercer avec l’Iran (il n’y aurait aucun problème dans ce cas). Aucun pays européen ne s’y met. Il n’y a pas de structure économique envisagée.
L’Iran et les nations européennes
Est-ce que les hommes politiques iraniens reconnaissent l’Europe comme un tout, ou bien suivent, dans leurs relations diplomatiques comme dans leur vision géopolitique, un schéma essentiellement jacobin, fondé sur la prééminence de l’État ?
Les iraniens ne reconnaissent pas l’Europe. Ils ont des relations avec les Français, les Anglais, les Allemands, les Russes. Ils connaissent également bien l’ONU, la FAO, et toutes les organisations internationales : tous les États sont là, et l’Iran y a sa place. En revanche, l’Iran a du mal avec les institutions multiétatiques.
Mogherini avait prévu d’ouvrir une ambassade européenne en Iran, le principe avait été accepté, mais rien n’a suivi. Les Iraniens préfèrent jouer les Allemands contre les Français, les Français contre les Anglais, mais pas négocier avec tous ces acteurs à la fois. Même lors du dialogue critique, ils n’ont jamais fait vraiment confiance à l’UE. Il n’y a jamais eu, il faut dire, du côté de l’UE, de ministre des affaires étrangères disposant d’une grande influence. En revanche, les Iraniens étaient très contents lorsque les trois ministres des trois grandes puissances européennes, en 2003, ont débarqué à Téhéran à 8h du matin après un vol de nuit. Alors que le commissaire européen, pour eux, est un simple fonctionnaire sans intérêt. Trois ministres de grandes puissances historiques, ça, ça satisfait l’ego iranien ! Cela tient aux Européens, mais aussi aux Iraniens qui ont une vision très bilatérale des relations internationales. Ils respectent les Etats, et ont une logique très jacobine.
On pourrait penser, d’une part, que l’Angleterre étant l’ennemi héréditaire de l’Iran, le Brexit pourrait contribuer à l’amélioration des relations UE/Iran. On pourrait, à l’inverse, considérer que le Brexit fragilise l’unité Européenne, et donc, les liens entre l’UE et l’Iran. Qu’en est-il ?
Le Brexit ne change presque rien. Le Brexit peut être un inconvénient pour les Anglais, car ils pouvaient se cacher derrière l’UE pour critiquer l’Iran, et se défendre contre ses éventuelles attaques. Par exemple, en 2011, l’ambassade anglaise est saccagée. Là, l’Union Européenne a joué à fond, il y a eu une solidarité européenne en béton ! Néanmoins, cette solidarité existera, avec ou sans UE.
L’attitude française vis-à-vis de l’Iran
Lorsqu’on lit les récits des négociations nucléaires par Villepin ou Fabius, on a l’impression que la France, et notamment le Ministre en charge des opérations, est à l’origine de la plupart des réussites, à la source des propositions les plus audacieuses. Qu’en est-il ?
C’est vrai pour Villepin et pour Chirac (qui était plus à l’écoute des services secrets sur la réalité iranienne). En revanche, il y a également le problème de l’ego national. Si Fabius a réagi lors du JCPOA, c’est avant tout par orgueil national (les Américains avaient tout négocié seuls sans consulter ni même informer les Européens). Il n’a pas accepté de signer un papier négocié sans sa participation. L’accord a certes été amélioré durant l’année supplémentaire de négociation, mais le délai supplémentaire a donné du crédit aux sceptiques, en repoussant la fin des sanctions à la fin du mandat d’Obama (ça ne lui laissait pas le temps de lui donner de l’ampleur).
Le fond de l’accord, c’est que l’accord est un accord politique, qui dit que « l’Iran est un pays convenable ». Or la dimension politique de l’accord a pâti du délai supplémentaire imposé par Fabius. On est repassé du dialogue politique au dialogue critique, en quelque sorte. Cela a également justifié la méfiance vis-à-vis de l’Iran. Or le problème, avec l’Iran, ne se situe pas au niveau des menaces objectives, mais de la confiance réciproque.
Du point de vue français – et il s’agit là d’une question qui va se poser d’ailleurs après les élections – le personnel diplomatique sous Sarkozy et sous Hollande, est le même (les cadres du quai d’Orsay). La méfiance génétique vis-à-vis de l’Iran risque d’être maintenue. Ce qui va donner des arguments à Trump pour dire « regardez comme les Iraniens sont méchants, si même les Français s’en méfient ». Sur le dossier iranien, le fait que les diplomates français restent méfiants vis-à-vis de l’Iran va empêcher que l’UE se dote d’une capacité politique pour traiter sérieusement avec l’Iran.
L’élection de Trump est à nouveau ambivalente pour les relations UE/Iran. D’une part, Trump agite à nouveau la menace de sanctions imprévisibles à l’égard de l’Iran, ce qui devrait dissuader les entreprises européennes de s’y installer. D’autre part, cette même imprévisibilité pourrait conduire l’Iran à se tourner vers l’Europe, qui deviendrait la puissance de référence par sa stabilité.
Du point de vue de la sécurité, l’Iran se porte vers la Russie (ils y vont, car cela leur permet de prendre un certain pouvoir de l’Afghanistan à la Syrie). Du point de vue économique, les USA refusant à tout citoyen américain de travailler en Iran, cela ouvre une porte immense à l’UE. D’autant plus que les Iraniens veulent des technologies européennes. Or les Russes n’exportent pas de technologie, et les Chinois en exportent, mais il s’agit de technologies de facture européenne. L’UE ne sera crédible politiquement que le jour où il y aura une présence européenne économique en Iran. Si les entreprises européennes s’installent de manière durable, cela recréera une situation de confiance réciproque.
Méfiance du Quai d’Orsay vis-à-vis de l’Iran
La politique de méfiance qui existe au quai d’Orsay tient un double discours : allez en Iran, c’est un beau et grand pays ! Mais d’un autre côté, observons la carte des « risques » que le Quai montre aux voyageurs :
Or, en Iran, il y a une bonne sécurité, sauf si vous voulez acheter de l’héroïne au Baloutchistan [NDLR : le Baloutchistan est la région du Sud-Est qui jouxte le Pakistan et l’Afghanistan – le trafic de drogue y est très important]. Mais « l’Iran est un pays terroriste ». D’après la carte du Quai d’Orsay, on ne peut presque pas aller à Persépolis ! Quand une entreprise veut aller en Iran, les dirigeants ont peur d’aller à Chiraz : nos ingénieurs ne seront-ils pas en danger ? Ces cartes, même les cartes de Téhéran (qui montrent certains quartiers dangereux) sont physiquement fausses.
D’ailleurs, l’Iran est encore aujourd’hui jugé en partie responsable du 11 septembre : 1,5 milliards ont été gelé par le tribunal de New York, car un certain nombre de familles de victimes considèrent que le coup a été fait par des Iraniens. Les juges ont estimé que, tant que l’on n’aurait pas prouvé que les Saoudiens n’étaient pas en fait des Iraniens déguisés, les avoirs restent gelés.
Tout cela crée un contexte. Les entreprises ont peur du discours ambiant. Les gouvernements passent, la méfiance demeure. Il faudra voir si le prochain ministre a une politique un peu forte, mais la notion d’« Iran threat » demeure.
Les élections françaises
Comment les Iraniens perçoivent-ils les élections françaises ?
Ils les suivent de près. La France a joué un rôle assez positif durant la guerre Iran-Irak. Qui plus est, la France est le seul pays européen au Conseil de sécurité (depuis le Brexit) ; ce qui, pour les Iraniens qui sont très à cheval sur les principes du droit international, est très important. De même, la politique française, concernant la Palestine, la Syrie, contre Daesh, est appréciée. En Syrie, les forces spéciales françaises travaillent avec des Iraniens et des Kurdes (cela se fait au niveau des capitaines et non des généraux). La politique française, l’engagement français est pris en considération par les Iraniens. Il y a une réalité militaire de collaboration.
Les élections iraniennes
Pouvez-vous nous présenter les différents candidats ?
[Cet entretien a été réalisé avant que Qalibaf et Djahangiri se désistent]
Ebrahim Raïssi. On le connaît en France comme le procureur d’Evin. Il est responsable de la boucherie de 1988 [à l’été 1988, à la fin de la guerre Iran-Irak, la République islamique fait exécuter environ 30.000 prisonniers politiques]. Ces massacres ont créé beaucoup de divisions dans le clergé dominant. Mais, en Iran, dans les discours des deux débats télévisés, on a eu tendance à dire « 1988, c’est loin ». Puis il est monté dans la hiérarchie. Raïssi est un enturbanné, il est du clergé d’appareil d’État (il n’a pas même un master de théologie). Il avait 20 ans au début de la révolution. Il représente le clergé en tant que corps social et non en tant qu’idéologie. Il est le président de l’Astaneh Qods [organisation religieuse extrêmement riche], ce qui a choqué beaucoup de musulmans plus traditionnalistes, puisque d’habitude on place un vieil homme religieux très savant à la tête de cette institution. Il a néanmoins désormais une légitimité électorale.
Qalibaf. Technocrate efficace. Assez réactionnaire et volontaire, chef de la police. Tous les technocrates jacobins votent pour lui.
Mirsalim, ancien ministre de la culture, ancien ingénieur francophone. Je l’ai bien connu : il dirigeait un centre de recherche en histoire, tandis qu’il était ministre sous Rafsandjani. Lui c’est un religieux ! Il croit en Dieu (on ne sait pas si c’est le cas de Raïssi). C’est plutôt un modèle janséniste.
Djahangiri, réformateur résolu, et leader des débats électoraux. Il est le lièvre de Rohani, il court devant et l’entraîne, un peu comme un sparring partner. Si Rohani gagne, il va être obligé de reconnaître l’apport de Djahangari. Il n’est pas encore prévu que Djahangari se désiste, mais si les sondages sont serrés, il est possible qu’il se désiste (afin d’éviter un second tour qui risquerait d’aboutir à un affrontement des conservateurs et des réformateurs).
Qalibaf et Raïssi sont tous deux du même parti. Il y a néanmoins un antagonisme farouche entre les deux logiques qu’ils représentent : Qalibaf représente les gardiens de la révolution ; Raïssi les mollahs. Rappelons l’hostilité légendaire des gardiens de la révolution à l’égard de Rafsandjani. Les votes conservateurs sont divisés en trois, ce qui ouvre un boulevard, en principe, à Rohani.
Néanmoins, il manque un candidat, Ahmadinejad ! Le panel des candidats est à peu près complet, mais il manque le populisme d’Ahmadinejad, c’est-à-dire la représentation des ordinaires, des petites personnes. Au point de vue économique, ce populisme a échoué (il voulait distribuer le pétrole). Bien qu’en échec, cette force politique existe, et la population qui la compose risque de ne pas voter à nouveau pour Rohani (dont elle espérait beaucoup), et se reporter sur les conservateurs.
Mohammedd-Reza Aréf a également refusé de se présenter. Il était réformateur contre Rohani en 2013, et s’est retiré à son profit quelques jours avant le scrutin. Maintenant, il s’est abstenu de se présenter, après avoir énormément critiqué Rohani, pour ne pas diviser les voix (il y a plus de discipline électorale chez les réformateurs iraniens que dans la gauche française !).
L’existence d’un débat politique en Iran
Y a-t-il une carte électorale en Iran, où certaines régions se superposent, comme en France, à certaines tendances politiques ?
On ne connaît pas l’Iran. Les Iraniens refusent qu’on travaille dans le détail. Certains quartiers de Téhéran votent d’une façon, d’autres quartiers d’autres façons. L’Iran est une vraie « république ». Les votes local, clérical, militaire, des gardiens, des élites, sont mélangés. Les débats électoraux ont concerné tout le monde. La grand-mère ne vote plus selon les recommandations du mollah local. Les débats télévisés ressemblent d’ailleurs tout à fait aux débats « occidentaux ». Il y a en Iran un véritable débat politique, où des questions se posent, ce qui casse les tendances lourdes ethniques, religieuses, économiques.
On pourrait considérer que le régime est « entré dans la vie ». Jusqu’à une période assez récente, un grand nombre de personnes ne votaient tout simplement pas parce qu’ils considéraient que « de toute façon, c’est le guide qui décide ». En 2009, les gens disaient « où est mon vote ? » il y avait un véritable scandale (montrant par-là que le vote est pris en considération comme quelque chose d’important pour une grande majorité d’Iraniens).
Les grandes villes s’abstiennent énormément en Iran. Néanmoins, la plupart des iraniens qui n’ont pas voté pendant longtemps, constatent qu’il y a un progrès avec Rohani par rapport à Ahmadinejad. Le fait républicain s’enracine en Iran. On ne peut pas analyser les élections uniquement en pensant à la future élection du Guide. En effet, le président aura un rôle à jouer, si le Guide décède, mais ce n’est pas lui qui décidera en dernière instance. La politique iranienne existe, et continuera à exister après la mort de Khamenei. Qui plus est, Khamenei sera le dernier véritable guide (puisque le prochain guide, qui qu’il soit, n’aura probablement pas participé de manière active à la révolution, ou n’aura pas été proche de Khomeiny).
Les surprenantes réformes d’Ahmadinejâd
Était-il prévisible qu’Ahmadinejad voie sa candidature invalidée par le conseil de la révolution ?
Oui car le Guide l’avait mis en garde, et Ahmadinejad savait bien, de toute façon, qu’il aurait perdu. Il a été boycotté par tout le monde ! En 2005, Ahmadinejad était un bon casting : petit ingénieur venant de nulle part, n’ayant pas fait la révolution, militant du ministère de l’Intérieur, maire de Téhéran sans être un homme politique à proprement parler. Sur le papier, Ahmadinejad devait prouver que la révolution islamique était capable de créer une nouvelle génération d’hommes neufs. Il a aussi créé la TVA, et le revenu universel !
Le revenu universel ?
Eh oui ! Ahmadinejad voulait « mettre un baril de pétrole sur la table de chaque iranien ». Ainsi, tous les iraniens ont créé un compte en banque pour bénéficier des 50$ mensuels ! Cet argent-là a été donné en supprimant les subventions pour certains produits (essence et pain). Ce qui fait que l’économie devenait plus ouverte, avec intervention de l’État. Ça n’a pas été bien géré mais le projet a été populaire. Certains considèrent qu’il fallait poursuivre dans cette voie, pour libéraliser de manière plus complète l’économie.
Il suffirait donc de se débarrasser de la méfiance envers l’Iran ?
L’Europe a tout pour réussir, mais pour cela, il faut que les entreprises s’implantent suffisamment, économiquement, pour que les pays européens aient, par la suite, envie de défendre de manière plus virulente leurs intérêts politiques vis-à-vis de l’Iran. Les Allemands réussissent mieux à s’implanter grâce aux banques régionales de Hambourg et de Munich. Cela pourrait exister de même en France (avec des structures paraétatiques). Les capitaux sont là pour servir d’intermédiaires bancaires. Néanmoins, la méfiance demeure.