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mai 2025

De 19:30 à 20:30

École normale supérieure

45 rue d'Ulm - 75005 Paris

Langue

FR

Philosophie

Enquêtes, politique, paranoïa — qui contrôle qui ? 

Fabrice Arfi
Fabrice Arfi
François Sureau
François Sureau
Camille Vigogne Le Coat
Camille Vigogne Le Coat

Mardi du Grand Continent à l’École normale supérieure, avec Fabrice Arfi, François Sureau et Camille Vigogne Le Coat, modéré par Mathéo Malik.

Citations à retenir

Fabrice Arfi
J'aime bien être un petit artisan du réel. Pour cela, on produit des informations, que ce soit sur des petites histoires locales ou des grands scandales d'État. Le seul moyen que les artisans du réel que sont les journalistes connaissent pour ce faire, c'est rencontrer des gens, trouver des documents, puis contextualiser à l’écrit, vérifier si c'est d'intérêt général, le confronter aux personnes concernées, le publier, l’historiciser au besoin et l'assumer, y compris devant les tribunaux.
Fabrice Arfi Co-responsable des enquêtes à Mediapart
François Sureau
Il n'y a pas de vérité judiciaire. C'est la raison pour laquelle les systèmes judiciaires civilisés proscrivent l'appel.
François Sureau Académicien, écrivain, avocat
Camille Vigogne Le Coat
La troisième raison qui peut expliquer le peu d'impact que peuvent avoir certaines enquêtes, est un problème d'éducation civique.  S’agissant des délits évoqués, on a parfois du mal à avoir le sentiment que cet argent nous est dérobé à nous, en tant que citoyens. Demain, si on vous vole votre vélo dans votre local à vélo, vous serez le premier à réclamer de la sévérité. En revanche, quand Marine Le Pen prend 4,1 millions d'euros au Parlement européen, beaucoup de Français ont l’impression que ce n'est pas pris directement dans leur porte monnaie.
Camille Vigogne Le Coat Grand reporter au Nouvel Obs

Comme les séances précédentes, ce mardi partira d’un extrait du dernier volume papier du Grand Continent, L’Empire de l’ombre. Nous discuterons le texte du documentariste Adam Curtis, prétexte pour aborder les liens entre enquête et politique, mais aussi la paranoïa, la mise en récit et l’influence que peuvent avoir les publications, les réflexions ou les recherches sur la construction des politiques.

Dans son texte assez bref, Adam Curtis formule une thèse à première vue assez étonnante : « Vous ne le savez peut-être pas encore, mais nous sommes tous devenus Richard Nixon. » Cette métamorphose a une signification assez précise : comme Nixon, nous serions affectés par une étrange forme de paranoïa.

Pour ceux d’entre vous qui ont la chance de ne pas connaître Adam Curtis — une chance, dans la mesure où vous pouvez encore le découvrir et passer des centaines d’heures à regarder ses documentaires — c’est un documentariste au sens le plus littéral du terme. Ses films partent la plupart du temps d’images d’archives brutes. Il travaille pour la BBC et a accès à toute une passionnante base de données d’archives. Ses films sont en général assez longs, composés simplement d’images d’archives avec un texte lu en voix off.

La brève fable ou parabole qu’il compte décrit une mutation profonde qui nous a semblé bien résonner avec notre actualité, notamment depuis le 20 janvier et la prise de pouvoir de Donald Trump. Comme beaucoup d’éléments du travail d’Adam Curtis, c’est un texte assez provocateur, qui peut être lu à plusieurs niveaux — j’espère que ce soir sera aussi l’occasion d’avoir plusieurs points de vue sur ce texte. 

L’une des lectures qu’on pourrait avoir est la suivante : il existe une continuité entre la paranoïa du président Nixon qui l’a poussé aux écoutes du Watergate, révélé à l’époque par des journalistes du Washington Post, et l’état de paranoïa ou de défiance généralisée dans lequel semblent plongées les sociétés à l’ère de l’information et des réseaux sociaux en Europe, aux États-Unis et ailleurs. L’aboutissement spectaculaire de cette métamorphose est manifeste, et le parallèle avec Nixon nous le souffle assez évidemment : c’est la présidence de Donald Trump, à la fois imperméable aux enquêtes et complotiste. 

La vérité n’est plus vraiment un sujet dans le monde de Donald Trump. Une sorte de paranoïa permanente est entretenue par une forme de transe, où la matérialité des faits et le réel n’ont plus beaucoup d’importance. Le débat de ce soir vise à comprendre comment nous sommes arrivés à ce renversement, à partir de la figure de l’enquêteur et du journaliste d’investigation. Comment ce renversement agit-il sur la politique ? Quel est l’avenir de l’enquête dans une époque où le statut même de la vérité est en train de changer ?

On peut penser à la génération de textes et d’images par des intelligences artificielles qui produisent des contenus qu’il est de plus en plus difficile d’authentifier. Une autre question sous-jacente dans une ère caractérisée par la méfiance est : comment faire encore de la politique ?

Nous avons la chance et le plaisir d’accueillir : Fabrice Arfi, co-responsable des enquêtes chez Mediapart, auteur de nombreux ouvrages, dont La troisième vie (2024) ; Camille Vigogne, grand reporter au service France du Nouvel Obs et autrice des Rapaces, une enquête sur la mafia varoise de Marine Le Pen ; François Sureau — faut-il encore vous présenter — académicien, écrivain, avocat, auteur de nombreux ouvrages de littérature, et je signale la dernière parution d’un roman de la facture des romans policiers classiques, Les Enfants perdus (2025), à propos duquel vous avez accordé au Grand Continent un entretien que je recommande.

Pour commencer les réflexions autour de ce texte, j’aimerais donner la parole en premier à Fabrice Arfi, l’une des figures les plus centrales aujourd’hui du journalisme d’investigation en France. Les enquêtes que vous avez menées avec Médiapart ont conduit à des révélations ayant eu des conséquences politiques majeures — on pense évidemment à l’affaire Cahuzac, au volet Woerth de l’affaire Bettencourt, à l’affaire du supposé financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy. Une question à laquelle le texte d’Adam Curtis fait écho, et un des phénomènes que vous avez eu l’occasion de pointer est qu’il arrive que ces nombreuses enquêtes et révélations, en France comme aux États-Unis, qu’elles conduisent ou non à une condamnation judiciaire, n’aient pas d’effet dans les urnes. 

Le cas Trump est assez emblématique de ce phénomène. Dans l’affaire du Watergate, Nixon espionnant en plaçant des micros dans l’immeuble de ses opposants à la présidentielle, conduit à une procédure d’impeachment, qui fait démissionner Nixon le 6 janvier. On pourrait penser autrement plus grave l’assaut du cœur de la démocratie américaine par les hordes MAGA de Donald Trump. Pourtant, Donald Trump est réélu en 2024. Comment expliquez-vous ce renversement ? Il y a comme une forme d’immunité à la révélation et à la vérité. Comment est-ce que vous l’intégrez dans votre travail, qui consiste à déceler et à révéler la vérité lorsqu’elle est d’intérêt public ?

Fabrice Arfi

Fabrice Arfi

J’espère que vous avez quatre ou cinq heures devant vous pour répondre à cette question !

Pour commencer, je compose avec, mais je ne me reconnais pas dans l’appellation de « journaliste d’investigation ».

C’est une terminologie que je que récuse parce que je crois qu’il y a un journalisme d’information d’une part, un journalisme de commentaire d’autre part, et qu’il peut bien sûr y avoir des porosités entre les deux — pour la simple raison que chacun fait absolument ce qu’il veut.

Pour ma part, j’aime bien être un petit artisan du réel.

Pour cela, on produit des informations, que ce soit sur des petites histoires locales ou des grands scandales d’État.

Le seul moyen que les artisans du réel que sont les journalistes connaissent pour ce faire, c’est rencontrer des gens, de trouver des documents. Puis de contextualiser l’écrit, vérifier si c’est d’intérêt général, le confronter aux personnes concernées, le publier, l’historiciser au besoin et l’assumer, y compris devant les tribunaux, puisque nous sommes responsables de ce que nous écrivons devant la loi.

Je trouve merveilleux cette loi qui, en France, depuis le 29 juillet 1880, nous donne une responsabilité pénale vis-à-vis de ce que nous écrivons. Ce n’est pas le premier amendement à l’américaine.

Pour répondre à votre question, je vais — j’espère que vous n’en prendrez pas ombrage — commencer par nuancer néanmoins le propos.

Je crois bien sûr que vous mettez le doigt sur quelque chose de vertigineux. Mais n’oublions pas que Nixon a été, après les premières révélations du Washington Post qui datent de juin 1972 sur le Watergate, réélu en 1973. Il est réélu en dépit des investigations, en dépit des enquêtes ouvertes, y compris du FBI — d’une façon similaire à Trump. C’est en 1974, après sa réélection, que les institutions de la démocratie américaine se sont mises en branle pour prendre le relais des révélations de Bob Woodward et Carl Bernstein, provoquant la chute de Nixon.

Les journalistes lèvent des lièvres et la société s’en saisit — ou pas. C’est ce qui s’est passé avec le Watergate.

Vous avez raison sur le statut de ce que vous avez appelé la vérité. Moi, je ne sais pas ce qu’est la vérité. Je ne suis ni curé, ni imam, ni rabbin, ni philosophe : je ne sais pas ce que c’est la vérité.

En revanche, quand on fait profession de journalisme, la plus journaliste des philosophes plane au-dessus de nous, qui s’appelait Hannah Arendt et qui parlait des « vérités de fait ». Les vérités factuelles, comme des petits cailloux qu’on met les uns à côté des autres, comme les pièces d’un puzzle, qui décrivent quelque chose d’assez compliqué à saisir : le réel.

Ce que nous a enseigné Hannah Arendt, ayant ausculté les deux plus grands totalitarismes qui ont déchiré le XXᵉ siècle, le nazisme et le stalinisme, est d’une actualité folle. Comme le disait Arendt, le danger n’était pas le nazi convaincu ou le stalinien convaincu. Le danger était celui de l’effacement de la frontière entre le vrai et le faux, qui crée un gouffre dans lequel toutes et tous, y compris de bonne foi, nous sombrons et devenons tous fous.

C’est là où le journalisme, de mon point de vue, est d’autant plus requis. Car le journalisme est l’un des lieux — ce n’est pas le seul — de la construction du savoir.

Il s’inscrit dans une urgence particulière qui est celle du temps présent. Mais c’est l’un des lieux où on offre une grammaire factuelle au grand public, quels que soient les cheminements, les pensées, les convictions des gens qui nous lisent. C’est la grammaire qui permet de faire société, c’est le fait d’être d’accord sur ce qu’est un fait.

Depuis quelques années — vous savez qu’il est entré en 2014 dans le dictionnaire d’Oxford — le concept de « post-vérité » sature le débat public.

La post-vérité, c’est l’idée selon laquelle, si je le résume à gros traits, la vérité n’est plus qu’une opinion comme une autre. On détruit les mots, on détruit le réel et du coup, la conversation est impossible.

Ce que je veux dire dans ce propos liminaire, c’est que les journalistes ne sont pas là pour offrir des faits, pour que tout le monde soit d’accord — au contraire.

Si l’on regarde ce verre, on est d’accord que c’est un verre. Il y a plusieurs façons de le regarder, et on peut ne pas avoir la même interprétation sur la qualité de ce verre, mais on est au moins d’accord sur le fait que c’est un verre. Quand on enlève cela, on enlève tout. C’est comme cela que le pire advient.

Pour terminer, je citerai une phrase d’un auteur que nous sommes quelques dizaines de millions à avoir lu sur la planète, George Orwell, dans 1984 — cette dystopie qui n’est justement pas qu’une critique du stalinisme mais va bien plus loin que cela. Dans une préface, restée non publiée pendant 50 ans, pour lutter contre ce qu’il appelait l’esprit de gramophone, on trouve le personnage central de Winston Smith. 

Winston Smith a un métier très étonnant : il travaille au ministère de la Vérité avec un grand V. Son travail est d’effacer les archives de la presse. Parce que dans la dictature dans laquelle il vit au service de Big Brother, si vous effacez le passé, vous contrôlez le présent et si vous contrôlez le présent, vous êtes maître du futur.

Dans ce magnifique roman d’anticipation, Winston Smith fait quelque chose de parfaitement illégal : il a un journal intime. Dans son journal intime, il écrit cette phrase qui pour moi est la plus belle définition du journalisme : « La liberté, c’est la liberté de dire que deux et deux font quatre. Qu’on nous l’accorde, et le reste suivra. »

C’est ce que j’essaie de dire vis-à-vis de la production des vérités factuelles sans lesquelles, comme le dit Arendt, les opinions ne sont qu’une farce.

Il est vrai que nous sommes dans un moment critique, de Trump à Poutine en passant par des populismes libéraux qui déchirent la planète et même des démocraties qui ont des libidos illibérales et autoritaires. De ce point de vue-là, la France n’est pas une île isolée du monde. 

Dans ce contexte, les journalistes sont d’autant plus requis et je crois que — c’est une petite philosophie personnelle, je suis un sombre optimiste — c’est quand ça va mal qu’il faut espérer. Nous avons donc beaucoup de raisons d’espérer.

François Sureau, dans votre dernier livre, votre héros enquêteur s’appelle Thomas More et vous dites dans un très bel entretien avec Florent Zemmouche, que vous aviez entre autres, choisi ce nom parce que vous voyez dans l’auteur de L’Utopie le précurseur des écrivains antitotalitaire. Fabrice Arfi vient de parler d’Hannah Arendt, je vous cite : « Le détective qui porte son nom fait ce qu’il a à faire. Révéler la vérité sans usure, pleine place qui n’est pas la sienne. Juger à la place de Dieu, ce que la plupart des juges font sans le savoir ou en le sachant. » Il y a une distinction très intéressante entre révéler la vérité et juger, qui est une piste à suivre. 

Peut-être que ce qui est dangereux est cette confusion entre le fait de dire ce qui est, de dire la matérialité des faits, et de soudainement porter un jugement, qui soit démultiplié selon des modalités qu’on ne contrôle pas toujours. Comment faire revivre cette distinction que vous appelez de vos vœux avec votre personnage de Thomas More ?

François Sureau

François Sureau

En effet, à force de tracer des pistes et d’ouvrir des chemins, on va rapidement se trouver dans la forêt de Brocéliande ! Ce dont vous parlez pose en fait quatre ou cinq problèmes de nature entièrement différente.

D’abord, je voudrais dire que je suis entièrement d’accord avec Fabrice Arfi sur la révérence qu’il fait à Orwell. J’ai été très sensible à l’idée qu’Orwell a eu à cœur la reprise de la création de la Ligue du fait, à une époque où effectivement, ce fait n’était pas partagé par tout le monde. J’y suis sensible parce que je viens d’une époque où 30 % de mes concitoyens pensaient qu’il n’y avait pas de goulag en Union Soviétique tout de même ! Cette idée de la Ligue du fait m’a absolument fasciné. 

Je ne sais pas si vous vous souvenez du procès du dissident soviétique Kravchenko. Il se réfugie en France et dit « l’Union soviétique, c’est mal ». Aussitôt, le PCF l’assigne en diffamation. Il y a un procès absolument fantastique — qui m’a vacciné contre l’élite nationale de droite ou de gauche pendant à peu près les 50 ans qui ont suivi. Ce procès est défendu par un très grand pénaliste qui s’appelle Georges Izard. Toute la bonne société française défile pour accabler et condamner à la mort civile Kravchenko. Quand je dis la bonne société, c’est les Langevin, Curie, Cassou, tous les prix Nobel, la moitié du Collège de France : tout le monde vient expliquer que ces types se trompent et que l’Union soviétique est le paradis sur terre. En face, il n’y a que Margarete Naumann qui sort du camp de Karaganda, et trois pauvres types qui viennent expliquer qu’en fait, le goulag, c’est assez pénible.

J’ai fait cette petite remarque pour dire que la première question que pose à mon avis le texte — dont je ne suis pas sûr de l’avoir entièrement compris — est qu’il me paraît révéler un travers de l’époque contemporaine : tout serait « nouveau ».

Il ne se passe pas d’élections dans un sous-groupuscule partisan sans qu’on la qualifie d’historique. Une chanson à la flan, on la qualifie d’historique. Tout est devenu historique et nous vivons dans une époque où on dit que les fake news, la vérité alternative etc., c’est totalement nouveau. 

Personnellement, j’ai choisi mon camp. Je ne suis pas convaincu qu’il y ait quoi que ce soit de nouveau là-dedans.

Je me souviens que, alors que je revenais de traîner mes guêtres en Yougoslavie pendant la guerre, j’ai eu l’occasion de dîner avec Baudrillard. Je ne sais pas si certains d’entre vous se souviennent de qui était Baudrillard, que le vent a probablement emporté, mais il venait d’écrire des tas d’articles, dans Le Monde ou ailleurs, sur le caractère « virtuel » de la guerre. Forcément : le mec regardait la télé. S’il avait été sur place, il n’aurait pas été frappé par le caractère virtuel, mais par les conséquences de l’explosion de tirs de 88 mm sans recul. Cela me paraissait extrêmement français comme attitude.

De même, juste après, on parle du monde virtuel introduit par les nouveaux modes de transactions financières, Wall Street etc. Moi, benoîtement, je venais de relire l’Argent d’Émile Zola. J’ai dit : ce que vous êtes en train de décrire, c’est simplement le fonctionnement du marché à terme, c’est-à-dire vendre une option sur quelque chose dont la réalisation physique n’est pas encore avérée. Cela existe depuis 1840. Donc en quoi est ce totalement nouveau ? 

Il y a une exagération de ce qui se passe de nouveau à l’heure actuelle. Je vais en dire un mot à propos du statut de la vérité. Ensuite, je suis inquiet de cette exagération pour une raison très simple : j’observe, sans être pour autant complotiste, à quoi elle sert.

Par exemple, l’idée que les réseaux sociaux sont quelque chose d’absolument fascinant a servi en France, depuis dix ans, à tenter de restreindre la liberté d’expression en encadrant de manière pénale ce qu’on appelle les « fake news ». Dès lors qu’on emploie un mot vague, et qui plus est étranger, pour définir quelque chose qui existe, c’est à dire quelque chose qui est faux ou mensonger, et qu’on s’en sert pour réduire les libertés classiques nécessaires à la formation de la société politique qu’est la liberté d’expression, il y a des raisons de s’inquiéter. 

Je prends un autre exemple, certainement Poutine essaie d’influer sur l’élection en Roumanie. Cela dit, quand on connaît un peu l’Europe centrale, ce qui malheureusement est mon cas, on se rend compte que l’élection en Roumanie prend place dans une série historique qui commence en 1912, à peu de chose près, et qui obéit à des déterminants pratiques historiques qui n’ont pas cessé d’exister.

L’élection de Trump n’est pas uniquement liée au fait que des débiles à casquette gorgés de bifteck et buvant de la bonne vieille du matin au soir se sont répandus en boucle sur des réseaux sociaux qui ne convainquent jamais que ceux qui lisent les productions du silo dans lesquelles ils ont eu la mauvaise fortune de s’inscrire. Il y a d’autres raisons à l’élection de Trump.

Ce sont des raisons qui d’ailleurs parcourent l’histoire politique américaine, qui existaient déjà au moment de la célèbre correspondance entre Jefferson et Hamilton. Ce sont des raisons qui existaient au moment de la rédaction de ce texte majeur qu’on appelle le Federalist. 

Ces choses existaient, et sont aggravées par le fait que désormais nous sommes dans un café planétaire — les conneries que dans ma jeunesse, on entendait simplement au café, on peut maintenant les entendre partout avec plein de vues. Mais je ne peux pas penser cinq secondes que cela puisse prévaloir sur la réalité. 

Deuxième point : j’en viens au problème de la vérité. Je suis totalement d’accord avec ce que disait Fabrice Arfi tout à l’heure. On ne sait pas ce que c’est que la vérité. 

Il y a le fait, il y a l’interprétation. Mais la vérité, on ne le sait pas. Je prends un exemple tiré de l’univers de la justice pénale, que j’ai fréquenté pendant 40 ans. On parle de la vérité judiciaire, mais il ne peut pas y avoir de vérité judiciaire.

Imaginons que quelqu’un tue quelqu’un d’autre et il est condamné à 20 ans de prison en première instance. Cour d’assises. Il fait appel. Il va devant une autre cour d’assises, différemment composée, avec un président différent. Trois magistrats professionnels. Les faits sont les mêmes, le prévenu est le même, les indices sont les mêmes. Rien n’a changé. Il a pris 20 ans en première instance, il prend 5 ans en deuxième instance.

Quelle est la vérité ? Il n’y a pas de vérité. 

Il n’y a pas de vérité judiciaire, absolument aucune. C’est la raison pour laquelle les systèmes judiciaires civilisés — ce n’est pas le système français, à aucun titre — proscrivent l’appel. La proscription de l’appel dans les systèmes anglo-saxons est nécessaire à l’établissement d’une vérité judiciaire. 

Vous avez été condamné par un juge, en Angleterre comme en Amérique, l’appel n’est possible qu’à partir du moment où il y a eu une sorte de vice de procédure — les magistrats ont été mal nommés, les gars n’ont pas pu s’expliquer, etc. Un juge indépendant vient autoriser ou non l’appel — un appel qui ressemble assez largement à une cassation en France. Pourquoi ? Parce qu’il est absolument nécessaire que la vérité existe et que, pour que cette vérité existe, elle ne soit pas sujette à caution. 

Ce qui est fascinant, c’est que dans un univers aussi réglé et aussi procédural que la justice, la structure même de la décision de justice vient annuler l’effet de la vérité. 

Un dernier mot sur la question des théories du complot. 

De façon générale, j’estime qu’on ne peut pas penser la politique sans deux éléments au minimum : une idée du salut futur et un mécanisme explicatif. 

La politique en Occident a été dictée par ce qu’on appelait les religions séculières. C’est la transposition à l’univers politique de l’idée de salut théologique. Ceci a complètement disparu — après les deux guerres mondiales, la Shoah. 

En réalité, nous ne sommes plus du tout optimistes en politique. 

Personne ne pense que nous pourrions faire advenir demain, à part trois mabouls amis de Chavez, le règne de la justice sur cette terre. Personne dans le corps politique ne le pense sérieusement.

Cette idée a disparu, et avec elle, une autre idée qui était l’explication causale des mécanismes politiques à l’œuvre. Cela peut être des explications de type marxiste classique, qui sont d’ailleurs assez communes avec celles de Hayek, ou cela peut être des explications d’une autre nature, mais ces explications ne fonctionnent plus dès lors que l’univers politique paraît insusceptible d’assurer une finalité désirable et qu’en même temps le mécanisme interprétatif fait totalement défaut.

Il est alors évident que le complotisme s’infiltre partout, puisque les gens ont besoin d’une raison pour savoir pourquoi ces choses se sont passées ainsi. 

Dès lors qu’ils n’ont pas d’explication générale, ils tombent dans l’explication particulière. Ce souci, en revanche, me paraît être un phénomène nouveau. Mais ce n’est pas un phénomène qui date des réseaux sociaux. C’est un phénomène qui a à peu près 50 ans.

Camille Vigogne, vous avez publié Les Rapaces, et plus généralement, vous avez enquêté sur le Rassemblement national. Il est difficile de ne pas penser à la condamnation en première instance de Marine Le Pen, dont le calendrier judiciaire va être très discuté. C’est un cas assez symptomatique où des enquêtes portent sur des sujets ayant une conséquence directe sur la politique. Pourriez-vous revenir d’abord sur ce que vous avez pu observer dans votre travail d’investigation — je ne sais pas si, comme Fabrice Arfi, vous récusez ou non le terme — sur le Rassemblement national et sur ce qui se joue en France, mais peut-être aussi ailleurs, dans le lien entre ce travail de recherche, l’établissement des faits, ses conséquences, et sa traduction politique ?

Camille Vigogne Le Coat

Camille Vigogne Le Coat

C’est une vaste question, mais c’est une façon assez polie et sympathique de nous demander si l’on sert à quelque chose. 

C’est évidemment une question que je me suis souvent posée. 

On me dit souvent : « J’espère que cela aura des conséquences. J’espère qu’ils vont tomber, qu’ils vont payer, etc. » C’est souvent très compliqué d’expliquer aux lecteurs qu’on rencontre, et qui pensent vous faire un compliment, que les conséquences politiques du travail d’enquête qu’on a mené sur tel et tel dossier ne sont pas notre affaire. En tout cas, cela peut l’être comme journaliste, mais nous ne sommes pas acteurs politiques de ce dossier-là.

Quand je travaille sur David Rachline à la mairie de Fréjus, mon but n’est pas de faire tomber David Rachline, mais c’est de pouvoir raconter une histoire avec le maximum de faits, de précision, d’éléments qui sont de nature à établir une réalité locale, à l’expliquer et à amener des éléments de compréhension aux lecteurs qui les amèneront à prendre des décisions politiques — ou pas. 

Dans tous les cas, ce n’est plus « mon affaire » et c’est important de le préciser et de ne pas mélanger les choses et les catégories. 

L’image du journaliste absolument neutre, au-dessus de son histoire personnelle, de ses convictions, est évidemment un mythe qu’il est impossible d’atteindre. Mais cela peut être un objectif. On peut se placer dans une autre démarche que celle de la démarche partisane. 

Force est de constater qu’effectivement, parfois, ces affaires ou ces révélations peuvent avoir assez peu d’écho ou peu d’impact politique. Je pense qu’il y a plusieurs raisons à cela. 

Tout d’abord, quand on s’intéresse et qu’on écrit sur un candidat par nature populiste, ce qui est le cas pour la formation de Marine Le Pen sur laquelle j’ai beaucoup travaillé, on est face à un récit politique qui a tendance à opposer le « nous » et le système, les élites et le peuple — et dans lequel les médias, les journalistes vont inexorablement être classés parmi ces élites.

Cela explique la difficulté d’avoir un impact sur la fabrique de l’opinion quand, par nature, il existe une défiance généralisée envers la caste que vous représentez et qu’on vous classe dans le « système ». 

Cela rejoint un deuxième point très fort — selon moi de plus en plus fort, même si cela a toujours existé — que sont les bulles cognitives.

Aujourd’hui, quand on achète un journal, la plupart du temps, c’est pour se conforter dans l’idée qu’on a déjà, et avoir de nouveaux arguments. Quand on achète un livre ou une enquête, c’est pour avoir de nouveaux éléments qui nous confortent dans l’idée de la détestation qu’on a pour telle formation politique, ou de l’adoration qu’on a pour tel candidat. 

On cherche assez rarement à penser par soi même. C’est un phénomène vieux comme le monde et comme la presse, mais qui est renforcé aujourd’hui par les algorithmes, qui peuvent créer des bulles, et par le fait que les grands médias dominants — je pense, par exemple, aux 20h de TF1 de France 2, qui pendant longtemps drainait une énorme majorité de Français — ont aussi perdu beaucoup de parts de marché médiatique. Aujourd’hui, on peut s’informer exclusivement dans sa bulle, et donc passer son temps à être renforcé dans ses idées. 

La troisième raison qui peut expliquer le peu d’impact que peuvent avoir certaines enquêtes, est un problème d’éducation civique. 

S’agissant des délits évoqués, on a parfois du mal à avoir le sentiment que cet argent nous est dérobé à nous, en tant que citoyens. Demain, si on vous vole votre vélo dans votre local à vélo, vous serez le premier à réclamer de la sévérité, afin qu’on vous rende votre vélo, qu’on vous mette un cadenas plus fort, etc. En revanche, quand Marine Le Pen prend 4,1 millions d’euros au Parlement européen, beaucoup de Français ont l’impression que ce n’est pas pris directement dans leur porte monnaie, parce que c’est de l’argent public qui était déjà destiné à payer des assistants parlementaires et qui ne vise pas forcément l’enrichissement personnel. 

Il y a donc un problème sur la façon dont on pense la délinquance financière et les délits politico-financiers en France. On a globalement du mal à mesurer en quoi cela nous concerne tous et que ce n’est pas de l’« argent magique », ou de l’argent abstrait, qui se trouve au centre de toutes ces affaires.

Ce n’est pas pour autant que les enquêtes n’ont pas d’impact. 

C’est souvent déconcertant quand la justice se saisit d’affaires qui sont révélées par la presse, parce que les temps judiciaires sont extrêmement longs, et parce qu’il n’existe pas de vérité judiciaire. Il existe un travail d’enquête judiciaire, qui dure souvent cinq ans ou dix ans, voire parfois plus, après le surgissement aux yeux du grand public de l’affaire en question. Cela traduit l’impact qu’ont les enquêtes et en même temps ce temps long, permet de les dé-monétiser. 

Parfois, on se rend compte qu’on touche un véritable sujet de société, et que la société s’empare de cette enquête. Cela est extrêmement gratifiant.

Personnellement, je n’avais pas du tout mesuré cela en travaillant sur le département du Var. Je reçois des centaines et des centaines de messages, de lettres au journal, à la maison d’édition, parfois chez moi — je ne sais pas comment ils font pour trouver mon adresse — étant des témoignages de personnes qui m’interpellent sur la réalité d’un département où le phénomène corruptif est massif, où il touche tout le monde, où il est palpable au quotidien pour les citoyens, sans être révélé par par les médias et notamment par la presse locale.

C’est pour cela que je n’étais pas vraiment d’accord avec le texte d’Adam Curtis. Il dit notamment qu’avant il y aurait eu un bon journalisme d’enquête qui aurait fait rêver, qui aurait révélé des enquêtes très graves et nécessaires ; tandis qu’aujourd’hui, il n’y aurait qu’un mauvais journalisme d’enquête, qui participerait à la défiance généralisée envers le politique.

Je pense que la défiance envers les politiques n’a pas attendu le travail des journalistes pour exister. 

En l’occurrence, dans la communauté d’agglomération de l’Est Var, tout le monde savait qu’il y avait des problèmes de corruption — pour avoir une période de plage il faut donner un billet, pour avoir un logement social il faut avoir des connexions, etc. Ces choses n’ont pas attendu la presse pour être connues, et ne sont pas révélées dans la presse locale — cela soulève une autre question, parce qu’il n’y a pas cette indépendance de la part du média local qui au contraire nourrit énormément la défiance envers les politiques.

Il ne faut donc pas se tromper, prendre la poule pour l’œuf ou l’œuf pour la poule, en pensant que ce seraient les journalistes qui, en faisant ce travail d’enquête sur ces phénomènes, notamment des délits politico financiers, contribuent à la défiance. 

Je pense que c’est l’inverse : quand on n’écrit pas sur ces sujets, cela nourrit le sentiment qu’il existe une classe dominante qui se protégerait mutuellement, grâce à la connivence des journalistes qui ne voudrait pas voir ni enquêter sur ce qui existe et qui est sous les yeux de beaucoup de Français. 

Fabrice Arfi, il est assez accablant de constater le nombre d’éléments, factuellement établis, qui peuvent être retenus contre Trump, qui ne l’ont pourtant pas empêché d’arriver au pouvoir ni de l’exercer. Pour poser la question de manière directe — bien que j’imagine que vous allez me répondre qu’on ne fait pas des enquêtes pour « faire tomber des gens » : existe-t-il une révélation qui pourrait faire tomber Trump ?

Fabrice Arfi

Fabrice Arfi

Je sens que vous êtes très inquiet, à juste titre, de ce qui menace notre époque et du fait qu’il faut trouver une solution urgente pour mettre fin à tout cela. 

Pour ma part, je rejoins très largement l’idée selon laquelle tout cela n’est pas nouveau. On est le spécimen sociologique de soi même, donc évidemment, on considère que notre époque est plus historique que la précédente.

Je suis, quitte à vous décevoir, dans l’incapacité absolue de répondre à votre question sur le fait de savoir s’il existe une révélation qui peut faire tomber Donald Trump ?

Je ne crois pas du tout que c’est ainsi que cela doit fonctionner. Au contraire, je crois profondément que la démocratie est un muscle compliqué — un muscle atrophié à maints égards aujourd’hui.

Pour poursuivre ce que disait Camille Vigogne sur ce qu’on appelle les « affaires », les atteintes à la probité, il s’agit d’une géographie de travail qui me passionne. Cela fait 25 ans que je fais ce métier, qui me passionne absolument, parce que je crois que ce lieu est un laboratoire de la catastrophe. 

Il n’y a pas de désir de sorte de passions tristes qui se trouve derrière tout cela, contrairement à ce que certaines et certains voudraient faire croire. Nous ne sommes pas des procureurs qui ne s’assument pas, des Torquemada, des Savonarole, des Robespierre mus par le désir de couper des têtes et jouer au ballon avec des gens connus, dans le seul but de savoir s’ils vont s’en sortir ou s’ils vont tomber.

À ce propos, évidemment que la vérité judiciaire n’est pas la vérité. Il y a un proverbe bantou que j’aime beaucoup, disant : la vérité judiciaire est à la vérité ce que le margouillat est au crocodile. 

Il me semble qu’il y a un drame français vis-à-vis de notre profession qui est de juger la qualité du journalisme à l’aune de la décision judiciaire.

Il est vrai que la justice est une fiction — la démocratie aussi est une fiction. 

La justice n’est pas immanente mais elle est performative. On devient coupable à partir du moment où des juges ont décidé de vous déclarer coupable. C’est comme un mariage d’une certaine manière.

Par conséquent, nous devons, les journalistes entre autres, donner une immense autonomie intellectuelle au plus grand nombre pour pouvoir juger — non pas judiciairement — collectivement, personnellement et démocratiquement des réalités qui parfois se dérobent sous nos pieds et nous font perdre absolument tous nos repères.

Je m’intéresse particulièrement à ces affaires d’atteinte à la probité, de corruption — même si on ne parle pas toujours du délit de corruption. Appelons ça l’esprit de la corruption. Par définition, la corruption, c’est la rencontre du pouvoir et de l’argent. Il y a assez peu de corruption chez les nécessiteux. Par conséquent, les personnes mises en cause sont des gens qui ont des moyens politiques, financiers, médiatiques. 

Il est passionnant de constater que les mêmes personnes qui, toute la journée, demandent une tolérance zéro vis-à-vis de la délinquance de droit commun, quand les flammes judiciaires se rapprochent de la délinquance de leur milieu, ont la capacité que d’autres n’ont pas, de s’inviter au journal de 20h pour faire croire que le problème dans leur histoire, ce ne sont pas les faits qui leur sont reprochés, mais c’est la justice. 

S’agissant de l’affaire dite « Bismuth », c’est par exemple une grande victoire du narratif de l’avoir appelée l’affaire « des écoutes ». Cette dénomination fait croire que le problème dans cette affaire, ce sont les écoutes. Cela existe pour certaines affaires, quand des écoutes sont illégales ou non contrôlées. C’est par exemple l’affaire des écoutes de la cellule antiterroriste de Mitterrand — à Médiapart, on en sait quelque chose puisque Edwy Plenel est celui qui a été le plus écouté par la cellule de Mitterrand. Mais dans l’affaire de corruption Bismuth, les écoutes ont seulement été un moyen d’enquête, comme une perquisition ou une garde à vue. Pourtant on ne dit pas, dans d’autres dossiers, l’affaire de la perquisition ou l’affaire de la garde à vue.

Il m’est déjà arrivé de participer à des débats où la question qui m’était posée après une condamnation dans l’affaire Bismuth était : faut-il supprimer le PNF ? 

Je propose un petit conseil pour faire face aux affaires de délinquance en col blanc. Quand vous en entendez parler à la radio ou à la télé, il s’agit de déporter ce dont il est question sur une autre délinquance. Imaginez qu’on saisisse 100 kilos de cocaïne : va-t-il y avoir un débat sur BFM TV pour savoir s’il faut supprimer la brigade des stups ? Non. 

S’il y a de plus en plus de cambriolages dans cet arrondissement, on va dire qu’on a un problème d’insécurité avec les cambriolages. En revanche, quand il y a de plus en plus d’affaires de corruption ou d’atteinte à la probité, on se demande si les juges ne sont pas un peu militants, ambitieux, ou si les procureurs ne sont pas mus par un autre intérêt. Je ne prétends pas que les magistrats soient par nature absolument parfait, mais ce déport de la conversation me paraît absolument passionnant. En disant cela, je ne dis rien de nouveau. Quiconque a lu Cicéron sait que la bataille des récits, comme la bataille de la corruption, existait sous la Rome antique. 

C’est pour cela que dans mon milieu social, dans un journal qui revendique des valeurs progressistes, je n’ai aucune difficulté à enquêter sur aucun clan politique — de madame Chikirou et monsieur Mélenchon à madame Le Pen, en passant par la gauche socialiste sous François Hollande ou Nicolas Sarkozy qui, c’est vrai, est un peu un crush professionnel depuis un certain nombre d’années. Il faut dire que Nicolas Sarkozy laisse une empreinte, notamment judiciaire, dans l’histoire de ce pays qui n’est pas banale comme dirait ma grand-mère ! 

J’ai participé récemment à une émission sur YouTube où un chroniqueur connu de gauche, Usul, m’a demandé si la corruption, ce n’était pas le fruit du capitalisme.

C’est intéressant de réfléchir à cela : dans un système qui met l’argent au cœur de tout, l’argent contient peut-être en lui-même les germes de la corruption. Cela peut favoriser ce dont nous parlons. 

Mais pour m’être intéressé avec mon dernier livre, La troisième vie, à la Roumanie de Ceaușescu, c’était extrêmement corrompu. Les républiques dites socialistes étaient très corrompues. La Rome antique était très corrompue. Évidemment qu’il y a un risque, encore une fois, de considérer que ce que nous vivons est inédit et plus grave que le passé. 

Pour répondre à votre question, je ne sais pas si une révélation de presse peut amener à ébranler un pouvoir comme celui de Donald Trump, mais je suis certain que si vous enlevez le journalisme, la situation serait pire. 

Nous sommes des agents de l’intranquillité. 

C’est ce qui me plaît le plus dans notre travail : nous créons par nos informations de l’intranquillité. D’une certaine manière, nous inquiétons le réel avec nos informations. 

Je rejoins totalement ce que disait Camille Vigogne : je ne crois pas que ce sont les opinions qui fassent les opinions. Quand vous lisez un édito dans un journal, il y a un phénomène de mécanique de la réassurance. Les faits ont des forces contraignantes qui remettent en cause vos convictions, les miennes. C’est ce qu’il y a de plus merveilleux. 

Je l’ai vécu à titre personnel à maints égards, à Médiapart. Sous Sarkozy, on disait qu’on était le journal anti-sarkozyste primaire. Quand on révèle l’affaire Cahuzac sous la présidence de François Hollande, les gens disent alors qu’on roule pour la gauche radicale et LFI. Puis on révèle l’affaire Chikirou, et on nous accuse de faire le jeu du Front national. Mais on révèle ensuite l’affaire des financements russes du Rassemblement national, et d’ailleurs les premières révélations sur les emplois fictifs du Parlement européen.

On ne le fait pas pour « faire tomber » les gens, mais parce que l’information est une créance vis-à-vis du grand public. 

Je crois qu’il y a quelque chose, notamment vis à vis des affaires, de très dangereux dans ce que nous sommes en train de vivre. C’est l’idée selon laquelle la démocratie, ce n’est que l’élection. On le voit d’ailleurs avec le débat autour de la peine d’inéligibilité qui accompagne la condamnation de madame Le Pen.

C’est insupportable parce qu’il ne faudrait qu’il n’y ait que l’élection pour défaire la légitimité et la souveraineté populaire. Bien sûr qu’on préfère la démocratie avec l’élection plutôt qu’avec le coup d’État. Mais la démocratie, c’est aussi la presse, c’est aussi la justice, c’est aussi les syndicats, c’est aussi vous, c’est aussi moi. C’est ce grand bordel qu’on essaie d’organiser de manière civilisée. Quand on nous enlève cela, on nous enlève tout.

Mais cela amène à interroger le lien entre l’enquête, la révélation, dont on parle depuis le début, et un autre élément qui est resté un peu un point aveugle de cette conversation : les institutions et leur rôle. 

C’est moins une question en tant que journaliste ou que faiseur de récit, mais plutôt en tant que citoyen. Le fait qu’on demande s’il faut supprimer le PNF après des révélations de corruption en est assez symptomatique.

François Sureau, dans l’entretien que vous avez accordé à la revue, vous expliquez que le héros de roman policier est intéressant précisément parce qu’il révèle des choses, mais qu’il fait le départ entre ce qui est son enquête et les institutions.

François Sureau

François Sureau

Ce n’est pas trop de son ressort : le vrai bon héros de roman policier n’est pas un justicier. 

C’est vrai que j’ai écrit ce livre aussi pour me changer la tête des institutions que j’avais côtoyé pendant 40 ans. Il y a un peu un tropisme personnel en voulant raconter l’histoire d’un gars qui veut rien avoir à faire avec ça.

Je vais quand même revenir, quitte à mettre un peu de désaccord entre nous, à Trump. C’est vrai que ce n’est pas du tout un type propre. Mais, si on avait appliqué les normes morales de la démocratie française, Churchill n’aurait jamais gouverné la Grande-Bretagne en 1940. Il a passé sa vie à être payé par Gulbenkian sur des contrats de fourniture de pétrole extrêmement douteux. Il est donc probable que le cours de la Deuxième Guerre mondiale aurait été sensiblement différent. Cela pose la question de l’autonomie du politique par rapport au jugement moral. 

D’ailleurs, l’une des raisons à mon avis trop peu commentée du retour en force de Trump, c’est qu’il s’agit d’une victoire de la politique — de la politique pure.

Trump dit : « Au diable ce que j’ai fait et qui je suis en tant que personne. Je veux virer tous les étrangers. Êtes vous d’accord avec ce point-là ? Si pour virer tous les étrangers, il faut accepter quelqu’un qui ne soit pas propre, qu’en dites-vous ? Vous, le peuple ? » Et le peuple répond : « On s’en fout que vous ne soyez pas propre, on veut virer tous les étrangers. »

C’est exactement la même chose qui se passe avec le Front National et l’extrême-droite. Vous aurez remarqué que les griefs de malpropreté, de corruption, etc. atteignent très fortement le personnel politique modéré de droite ou de gauche. 

Je ne suis pas convaincu du tout qu’ils aient un effet, quel qu’il soit, sur la décision de voter du bon peuple qui est décidé à les suivre. La vraie question, c’est : à les suivre pourquoi ? Parce qu’ils ont un désir, auquel les institutions sont susceptibles de répondre, d’action politique pure et de responsabilité politique. On touche là à la question institutionnelle qui me paraît absolument fondamentale. 

Il y a un déplacement de la politique vers la morale à mesure que l’action politique ne paraît plus produire d’effet dans le réel. C’est ce qui se passe en France depuis une vingtaine d’années. 

D’autre part, il y a un déplacement de la responsabilité politique vers la responsabilité judiciaire. Voilà plus de 20 ans que les mécanismes de la responsabilité politique en France ont totalement cessé d’exister. Je ne sais pas si vous vous en rendez compte.

Nous élisons tous les cinq ans un président qui peut ne pas s’en aller après un référendum perdu — je fais référence à Chirac. Il peut ne pas s’en aller après un référendum perdu, puis finalement, son successeur bidouille un truc qui est précisément ce que les Français ont rejeté. 

Ceci est l’une des grandes causes du populisme dans notre pays. 

Quand les historiens regarderont cette affaire, ils verront que c’est là l’origine de tout. Nous avons donc un président qui n’est responsable de rien. Il convoque un référendum, hérite d’un vote, sur lequel on peut s’interroger, mais dont la substance paraît quand même être, de la part des deux tiers de l’électorat, de dire, pour des raisons radicalement différentes d’ailleurs :  on ne veut plus entendre parler de vous. Le résultat est qu’il est toujours là, que son allié politique est Premier ministre, que son principal allié politique est président de l’Assemblée nationale et que son meilleur ami est président du Conseil constitutionnel. 

Quand on est habitué à et qu’on a le goût d’un régime parlementaire normal, on est quand même saisi. Il n’y a aucune responsabilité politique dans l’intervalle. 

Il ne faut donc pas s’étonner que la responsabilité politique se déploie vers la responsabilité judiciaire, et que le rôle proprement politique des journalistes révèle des choses dont l’institution judiciaire serait responsable. Ce rôle ne me paraît pas contestable du tout. Je suis un fanatique de la liberté de la presse, surtout sur les affaires de corruption dont vous parlez.

En revanche, cela pose un autre problème, institutionnel, que nous devrions tous méditer collectivement. Puisque nous ne croyons plus à la politique, à sa possibilité de changer la société de manière sérieuse, nous avons moralisé son exercice dans les conditions de sa répression — la répression judiciaire. Nous assistons alors à un phénomène, assez peu commenté, depuis dix ans, qui est la fusion de la responsabilité politique et de la responsabilité judiciaire.

Je prends un exemple très simple : madame Buzyn a fait l’objet d’une décision de la Cour de justice de la République. 

La mise en danger de la vie d’autrui et l’empoisonnement étaient les incriminations portées contre madame Buzyn. Toute personne qui a fait du droit pénal un peu sérieusement, sait que la mise en danger de la vie d’autrui, c’est de faire monter la grand tante à héritage sur une échelle, afin de balancer l’échelle. C’est pour cela que ça a été écrit. De même pour l’empoisonnement, c’est plutôt Sherlock Holmes dans la bande mouchetée. 

Ce n’est pas du tout madame Buzyn. Ce qu’elle a fait, comme tant d’autres responsables politiques, est d’avoir procédé à quelque chose qui est dans la nature même de l’action politique : un arbitrage. 

Le Covid, c’est exactement la même chose. J’étais très contre à l’époque et j’ai tonné comme une bête, mais les gens ont décidé d’enfermer la totalité de la population française. Le résultat en est un taux de suicide chez les moins de quinze ans qu’on n’a jamais connu avant, la croissance du taux de dépression, une augmentation du chômage, le creusement du déficit public, etc. Pour toutes ces choses-là, je pourrais également créer une incrimination pénale — je pourrais dire que c’est la mise en danger de la vie d’autrui, c’est la responsabilité civile de type classique, etc. Je pourrais le faire, mais je ne peux pas le faire, dans la mesure où la nature de l’homme politique est de rendre un arbitrage entre deux inconvénients et que cet arbitrage, d’une certaine manière, est toujours coûteux.

Si vous pouvez prendre simplement une des branches de l’alternative et déclencher l’action pénale, alors il n’y a plus d’action politique possible. Ce qui signe la disparition du politique, c’est véritablement l’usage de la technique pénale en dehors de la corruption — la corruption, en réalité, est classique dans ce domaine, et ne porte pas sur l’action politique elle-même.

L’usage de la technique pénale pour juger de l’action politique est devenu quelque chose d’absolument courant. Ceci est tout à fait anormal. 

En théorie, qu’est ce qu’on pouvait reprocher à madame Buzyn ? Le procès adéquat aurait dû être fondé sur la trahison des devoirs de sa charge, sur la forfaiture politique. Alors qu’elle était ministre de la Santé, il n’était pas question de tout quitter sur l’injonction du président de la République pour être candidate à une élection. C’est cela le vrai sujet. La Cour de justice se serait ensuite réunie, afin de dire si elle a eu tort ou pas.

De même, prenez le procès Sarkozy — et Dieu sait si cet homme a poursuivi sa vindicte naguère. Ce procès est absolument sidérant dans son énoncé même de « l’association de malfaiteurs ». Non, l’association de malfaiteurs, c’est pour les frères Guérini. À Nicolas Sarkozy, on reproche la forfaiture ou la haute trahison, l’ancien article 75. Il était ministre de l’Intérieur, il n’avait pas à se compromettre avec les représentants d’une dictature abominable. Quand Clémenceau, en 1917, a fait des procès à Caillaux et à Malvy, il n’est pas allé chercher l’association de malfaiteurs parce que Malvy avait touché une partie des fonds du bonnet rouge. 

Pourquoi est-ce qu’on le fait aujourd’hui ? Parce que dans les 20 dernières années, notamment à partir de la révision constitutionnelle de 2008, on a fait disparaître les délits politiques du vocabulaire de la répression pénale. Résultat, le moindre procureur vous explique que la seule manière qu’il a de s’y retrouver, c’est de prendre escroquerie en bande organisée. 

Tout le monde voit, s’agissant du procès de Sarkozy, qu’il s’agit de quelque chose de beaucoup plus grave que de l’escroquerie en bande organisée. Cette suppression du délit politique en lui-même, s’agissant des gouvernants, est encore un facteur aggravant du défaut de responsabilité des politiques.

C’est une chose sur laquelle extrêmement peu de gens réfléchissent, alors que cela me paraît être une question absolument centrale à l’heure actuelle. 

Un dernier mot sur la rapidité de la justice. 

Ce que disait Camille Vigogne est très juste : il y a un temps judiciaire particulier. Quand on lit les articles, on se dit que cela va être réglé, et puis dix ans après, ce n’est toujours pas réglé — pour une raison qui nous occuperait pour une soirée entière, à savoir que le système judiciaire français, totalement et entièrement, est radicalement dysfonctionnel.

Je vous en donne un exemple : on passe en moyenne cinq ans devant un juge d’instruction pour faire une instruction absolument totale. Puis on fait un procès. Le juge d’instruction n’est pas présent à la barre. C’est le seul qui connaît le dossier. Ensuite le président reprend la totalité, et refait l’instruction à la barre. C’est absolument surréaliste. 

Cette confusion des fonctions est propre au système français. 

Les parlementaires se prennent pour des juges d’instruction. Le procureur désormais peut juger puisqu’il peut passer des conventions judiciaires d’intérêt public. Le juge d’instruction est un juge d’instruction, mais ne sert à rien parce que son instruction sera refaite à l’audience. Cette confusion est extrêmement fâcheuse. 

Donc, si j’avais à plaider pour quelque chose d’utile en matière judiciaire, ce serait une réinsertion du délit proprement politique pour pouvoir juger de l’action des gouvernants — et d’autre part, une modification profonde du système judiciaire qui n’arrivera, je vous rassure, jamais. 

Le fait que cela ne se passe pas est très ennuyeux. La question fondamentale reste selon moi celle de l’irresponsabilité politique générée par toute une foule d’éléments de la Vème République finissante — la coexistence des durées de mandat, l’empiètement, la violation caractérisée et permanente du droit constitutionnel sans possibilité d’action. 

Il est clair, par exemple, que la décision de dissoudre du Président de la République a été prise en violation caractérisée des dispositions constitutionnelles. 

Cela n’aurait été possible, je pense, dans aucun autre pays européen. Dans l’article de dissolution, le Président est censé prendre l’avis du président du Sénat — prendre l’avis signifie non pas de lui téléphoner pour lui dire « je vais dissoudre », mais de lui dire « j’ai l’intention de dissoudre » et de le mettre en situation de formuler une opinion sur ce sujet. Ce n’est pas du tout ce qui a été fait. 

La Constitution a été violée de manière absolument continue à chaque fois que le président de la République est allé quelque part pour prendre la place, pas même de son Premier ministre ou d’un ministre, mais d’un sous directeur de l’administration centrale ou d’un chef de bureau des fruits et légumes. En réalité, il viole les articles 20 et 21 de la Constitution. 

S’il faut redonner un peu de substance à nos institutions, c’est au moins aussi grave que les histoires de corruption. Cela me paraît toucher à l’essence même du fonctionnement de la société politique, auquel nous sommes devenus raisonnablement indifférents.

Il est difficile de reprendre un peu d’optimisme, mais on va quand même essayer avec un dernier tour de table. Camille Vigogne, vous avez fait un portrait assez sombre des institutions sur lesquelles on est censé reposer. Pour retourner un peu la question, est-ce que cet exercice de révélation des faits et de mise en récit pourrait nous aider à réparer les institutions ? C’est-à-dire non pas forcément à être dans la vindicte et à partir du présupposé que cela sert à faire tomber les gens, mais d’adopter une approche constructive ? Vous avez mentionné tout à l’heure la population locale justement, qui a été touchée par le fait que vous travailliez sur des réalités très sensibles …

François Sureau

François Sureau

C’est le sud de la Loire, c’est mon coin, je viens de Nice. Les deux tiers de la population locale sont ravis de la corruption. Ils vivent de cela, ils ne payent pas d’impôts. La vérité tombe des nues. Il y a un fait culturel effectivement fascinant. 

Je vais vous raconter une anecdote. À mes débuts comme avocat, je devais aller plaider devant le tribunal administratif de Nice. J’avais un oncle qui était maire d’un bled, je ne vous dirais pas lequel. Il m’a dit qu’il m’accueillait et qu’il allait inviter quelques amis à dîner. J’arrive à dîner : il y avait le président de la formation, le commissaire du gouvernement, le bâtonnier et le procureur. Montgolfier avait raison, et Montaigne le disait aussi. 

Je vais faire deux citations idiotes, l’une pour Fabrice Arfi qui pourra s’en servir à son prochain débat télé et l’autre sur le général. 

« La corruption du siècle se fait par la corruption particulière de chacun d’entre nous. » Ceci est particulièrement vrai au sud de la Loire. 

S’agissant de Nicolas Sarkozy, il a été question de lui retirer la légion d’honneur. À cette occasion, la Sarkozie entière est tombée sur un de mes très vieux amis, grand chancelier de la Légion d’honneur, François Lecointre. Cela m’a donné l’occasion de me replonger dans les textes et de trouver cette formule que je vous laisse en viatique, de Corneille : « C’est le crime qui fait la honte et non pas l’échafaud. » 

Camille Vigogne, vous avez la très difficile mission d’avoir le mot de la fin. 

Camille Vigogne Le Coat

Camille Vigogne Le Coat

Avec beaucoup de modestie, je ne pense pas qu’on puisse acter activement la chute politique d’un homme avec une enquête. Je ne pense pas non plus qu’on puisse réparer les institutions. Je pense, comme disait Fabrice Arfi, que les choses iraient certainement plus mal sans les journalistes. La question que cela pose surtout c’est : quel journalisme peut-on faire pour contribuer au fait que cela aille bien et qu’on fasse société ? 

Je viens du journalisme politique pur, qui fonctionne avec des rubriques, où chacun est au sein d’un service politique. Plus le journal est important, plus le service est spécialisé : on suit la gauche, la droite, le gouvernement, le parlement. Pendant très longtemps, j’ai suivi le Rassemblement national. 

En arrivant, au début, je me suis dit que mon travail allait être de chroniquer le Rassemblement national. Mais il y a aujourd’hui des partis politiques qui communiquent très bien tout seuls. Ils n’ont plus besoin de l’intermédiation des journalistes. Alors on va essayer de raconter le sous-texte, les coulisses, les jeux de pouvoir, les détestations. 

C’est passionnant, cela peut être très excitant et on apprend beaucoup, mais cela a ses limites aussi. Cela peut assez vite devenir un journalisme de cour où on ne va plus chercher l’info qui sans nous ne serait pas sortie — qui est celle aujourd’hui que modestement, j’essaie de chercher — mais l’info exclusive, qu’on trouve avant les autres.

Un des grands travers est de considérer qu’on a sorti quelque chose avant les autres, qui avait peut-être vocation à sortir plus tard. Cela peut être n’importe quoi : Marine Le Pen va faire une grande tournée, voici les dix villes dans lesquelles elle va s’arrêter. C’est quelque chose qui serait sorti à un moment, puisqu’elle allait publier les dix villes dans lesquelles elle allait faire ses dix grands meetings. 

On se retrouve alors assez vite dans une course à sortir l’info avant les autres, qui nécessite donc une très grande proximité avec ces sources qui n’en sont pas vraiment, mais qui sont en fait les deuxième ou troisième couteaux du parti, habilités à parler un peu en off, à raconter les à-côtés, etc.

Ce phénomène m’a semblé à un moment dangereux. 

J’ai pris conscience de tout ce que cela comportait de journalisme très, parfois trop, psychologisant, sur l’écume de ce que pouvait être la vie d’un parti politique. Mais j’ai aussi observé cette compétition très forte que cela fait naître entre les différents médias. On ne le dit pas beaucoup, mais on est on est très compétitif afin d’être le plus proche possible du pouvoir pour sortir les choses avant les autres.

Il y a un phénomène délétère à fonctionner comme cela. Une chose qui m’a aidé est que mes rapports avec Marine Le Pen étaient très mauvais. Très rapidement, elle a à peu près demandé à l’intégralité de ses cadres de ne plus me parler et cela m’a obligé à me décentrer du parti et à aller voir tous ceux qui tournaient autour, tous ceux qui avaient un pied dedans et un pied dehors. 

Aller vers d’autres sources d’information m’a amené à créer autre chose et à décentrer un peu la lunette de vue, c’est-à-dire à ne plus être le nez au cœur du parti qu’on doit suivre, mais à faire un pas de côté.

C’est ce pas de côté qui permet de regarder les choses d’une façon un peu différente. Cela permet de s’intéresser à quelque chose de très local ou un personnage très secondaire. On essaye de participer au fait qu’une information qui sorte, qui sans nous ne serait pas sortie, n’aurait peut être jamais vu le jour ni été portée à la connaissance des électeurs. 

C’est vers ce journaliste que j’essaye de tendre aujourd’hui.

C’est un cheminement qui ne se fait pas en un jour, et qui amène aussi à parfois quitter le politique pur, pour considérer que beaucoup de choses sont politiques — pas uniquement la vie partisane mais notamment le pouvoir financier. 

J’ai beaucoup travaillé récemment sur Vincent Bolloré et Bernard Arnault, ainsi que sur d’autres figures emblématiques du capitalisme français, qui, contrairement aux élus, ne rendent de comptes à personne, mais qui en revanche, ne se privent pas d’exercer leur influence politique sur les élus, sur le président de la République — pour avoir un impact sur la politique fiscale, ou dans le choix du Premier ministre par exemple. Ces choses très concrètes, que l’on chronique finalement assez peu parce qu’elles ne rentrent pas dans le prisme direct de ce qu’on considère être le journalisme politique, sont pourtant intrinsèquement politiques et seront peut-être plus sensibles que les questions purement politiques, parce qu’il est question de beaucoup d’argent.

Il s’agit de continuer à se focaliser sur la chose politique, mais en décalant un peu la lorgnette, en faisant le pas de côté qui permet de raconter autre chose que le suivi strictement partisan de la vie des partis politiques français.

Prochains événements

30 août

Bard · Conférence

L’Impero e le sue ombre : teologia e geopolitica nel mondo di Trump

De 16:15 à 22:00
Alessandro Aresu
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María Tadeo
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Alberto Melloni
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Olivier Roy
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Marc Semo
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Marc Lazar
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Alessandra Sardoni
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Gilles Gressani
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05 septembre

Paris · Conférence

Quelle diplomatie face aux géants de l’intelligence artificielle ? 

De 16:30 à 17:30
Anne Bouverot
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Martin Tisné
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Gilles Gressani
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Cassilde Brénière
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Marie-Laure Denis
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06 septembre

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