Ces journées d’études auront pour visée d’élaborer quelques points de repères à partir de l’oeuvre et de l’action d’Alexandre Kojève, afin de mieux situer le travail de construction de l’Europe dans l’espace et dans le temps, dans une perspective stratégique, au-delà des seules injonctions du présent. Elles poseront ainsi la question de la possibilité et des conditions d’exercice d’une puissance publique européenne.
Il y aura bientôt cinquante ans, le 4 juin 1968, Alexandre Kojève mourait soudainement à Bruxelles lors d’une réunion du Marché commun à laquelle il participait comme représentant des autorités françaises. Il fut enterré au cimetière de Bruxelles. Ainsi s’achevait la période, qu’il avait dit adorer, de fonctionnaire à la Direction des Relations Économiques Extérieures (DREE) et de représentant français dans des négociations internationales et européennes en matière commerciale et douanière, de 1945 à 1968. Né à Moscou en 1902, il avait quitté la Russie en 1920, étudié à Berlin et Heidelberg puis à Paris. De 1933 à 1939, lors d’un séminaire à l’École Pratique des Hautes Études devenu mythique, il avait introduit à Hegel plusieurs des plus brillants esprits français du XXe siècle. Celui que Jacques Lacan nomma « mon seul maître », dont Raymond Queneau publierait le séminaire et s’inspirerait pour son oeuvre, celui qui marqua des personnalités aussi diverses que Raymond Aron, Georges Bataille, Alexandre Koyré, Maurice Merleau-Ponty, Leo Strauss, ou Raymond Barre, avait en effet choisi après 1945 de travailler dans l’administration française, et non de suivre une carrière universitaire. L’action accompagnerait la pensée, et la pensée l’action, d’une manière inédite. Ce double parcours, oeuvre théorique comme pratique de celui qui fut négociateur en semaine et « philosophe du dimanche » (selon la formule de Queneau reprise par Marco Filoni) mérite d’être rappelé et exploré. Ne pourrait-il nous aider à décaler notre regard de l’actualité pressante, à enrichir notre vision de l’Europe, voire à ouvrir quelques pistes afin de traverser les crises présentes de l’Union européenne ?
Alors que l’Europe est en proie aux incertitudes d’un monde bouleversé, aux peurs générées par les guerres à ses frontières et agitées par les populismes, aux doutes qui en résultent sur sa capacité de réponse et
son avenir, ne trouverait-elle pas profit à se poser quelques questions issues de la pensée et de l’action de Kojève ? Nombreuses seraient les conversations et réflexions à mener en Europe à partir de l’oeuvre d’Alexandre Kojève. Par exemple la notion de « fin de l’histoire » (empruntée à Kojève et popularisée par Francis Fukuyama après la chute du bloc soviétique), souvent mal comprise, ne trouverait-t-elle pas une certaine force opératoire à l’heure de la mondialisation et dans un contexte de changements majeurs ? Celle d’« État universel et homogène » qui situe ladite mondialisation dans une perspective non seulement économique, mais aussi juridique et politique, ne seraitelle pas riche de potentiel pour mieux situer l’Europe dans les évolutions du monde, et ainsi permettre de renforcer sa construction ? Ces notions riches, complexes et parfois provocantes, à quelles conditions pourraientelles contribuer à enrichir les outils et politiques de construction de l’Union européenne ?
Au-delà des apparences et habitudes, l’Europe reste en effet largement
à comprendre et encore bien davantage à construire. Penser-et-agir,
penser-pour-agir, voilà qui semble évident, quel « décideur » ne se prévaudrait pas d’une telle méthode ? Mais c’est en leur articulation effective que gît la difficulté. Elle peut se muer en impossibilité quand la pression des urgences accumulées (des « crises » migratoire, économique, financière ou environnementale, du terrorisme,…) et le règne de la communication généralisée, font renoncer à situer les questions de l’heure dans un cadre spatial et temporel à la hauteur des enjeux structurels pour l’Europe (dans sa triple dimension de continent, de civilisation et d’institution) au profit du primat des annonces et de gestes rapidement affichables. C’est cette articulation qui sera l’objet du travail de ces journées. Il sera nécessaire à cette fin d’entendre et de créer les conditions d’un échange entre acteurs venant d’horizons variés : des responsables publics français et européens, des intellectuels et universitaires, des analystes en prise avec les discours. Alors que la tâche de construire l’Europe peut sembler parfois presque impossible, n’y a-t-il pas lieu en effet de mettre en présence des représentants des professions que Freud nommait les trois « métiers ˝impossibles ˝ dans lesquels on peut d’emblée être sûr d’un succès insuffisant » (éduquer, gouverner, analyser) : enseignants et chercheurs connaisseurs de Kojève comme de l’Union européenne, responsables publics européens au double plan politique et administratif, psychanalystes ? Il s’agira de les entendre et de les faire échanger sur les enjeux de l’Union européenne à partir de l’oeuvre et de la pratique de Kojève. Mettant en discussion certaines des notions développées par Kojève, il s’agira d’interroger les désirs et les discours en Europe aujourd’hui, ce qu’ils conditionnent, autorisent ou limitent, dans les rapports entre individus, opinions publiques, institutions et gouvernements. Ces journées auront pour visée d’élaborer quelques points de repères à partir de l’oeuvre et de l’action d’Alexandre Kojève, afin de mieux situer le travail de construction de l’Europe dans l’espace et dans le temps, dans une perspective stratégique, au-delà des seules injonctions du présent. Elles poseront ainsi la question de la possibilité et des conditions
d’exercice d’une puissance publique européenne.
Parlementaires européens soutenant ces Rencontres :
JEUDI 7 JUIN 2018
1 DU DÉSIR AU DISCOURS : PARCOURS KOJÉVIENS ENTRE PENSÉE ET ACTION
8h15–9h00 — Accueil et enregistrement des participants
9h00–9h15 — Ouverture
Antoine CAHEN, Marco FILONI, Eric LAURENT : Quelques mots de bienvenue
9h15–10h30 — Un séminaire séminal pour la pensée française et européenne
Marco FILONI : Le facteur K. Un maître inconnu du XXe siècle
Massimo PALMA : La machine à mythes. Kojève et l’invention de Hegèl
Jamila M.H. MASCAT : Qu’est-ce que la philosophie à la fin de l’histoire ? Kojève et la « mise à jour » du discours philosophique
Juan Pablo LUCCHELLI : Pour Kojève qui fut mon maître (vraiment le seul)
10h30–12h00 — Comment comprendre « la fin de l’histoire » et « l’Etat
universel et homogène » ?
Jean-Francois KERVÉGAN : La fin de l’histoire et l’advenir de la sagesse
James H. NICHOLS, Jr. : The Necessity and Significance of Kojève’s End of History / La nécessité et la signification de la fin de l’histoire selon Kojève
Boris GROYS : Becoming a Sage / Devenir un Sage
Eric LAURENT : La fin de l’histoire et le dandysme de la pulsion
12h00–13h00 — Figures du savoir et du pouvoir : le Sage et le Tyran
Laurent BIBARD : L’action et la pensée selon Kojève et Strauss, et la question des genres
Massimo PALMA, Docteur en philosophie à la Scuola Europea di studi Avanzati et professeur de philosophie du droit à l’Université Suor Orsola Benincasa de Naples
Alexandre STEVENS : Collectivité idéale ou addition de solitudes
2 DES DISCOURS À L’ACTION S’ORIENTER ET AGIR DANS LE TEMPS ET L’ESPACE EUROPÉENS
14h00–15h15 — Désirs et discours à l’heure des populismes, Autorité et politique
Vincent PEILLON : Les figures de l’autorité : le tyran, le sage et le pédagogue
Luuk van MIDDELAAR : L’Europe politique entre « Juge » et « Chef » – Penser l’autorité de l’Union européenne avec Alexandre Kojève
Laurent BIBARD : La Fin de l’Histoire, déjà et pas encore : la douleur du presque accompli
Miquel BASSOLS : Pouvoir de la parole, autorité du désir
15h15–16h30 — Négocier : le Sage en action dans les enceintes internationales et à Bruxelles
Témoignage de Raymond PHAN VAN PHI, ancien collaborateur d’Alexandre Kojève à la DREE, Directeur général honoraire à la Commission européenne
Marco FILONI : Le nommé Dimanche : Kojève et le libre jeu du négociateur
Danilo SCHOLZ : Kojève et le « problème britannique » : l’exemple de Association européenne de libre-échange (1957–1963)
Pierre VIMONT : L’art de la négociation : entre stratégie et tactique
16h30–18h00 — L’Europe, la mondialisation et l’« État universel et homogène »
Pascal LAMY : L’Europe, un précurseur de l’État universel ?
Sébastien JEAN : L’Europe et la mondialisation, entre principes, règles et intérêts
Danilo SCHOLZ : Du colonialisme au tiersmondisme ? Kojève face aux pays en voie de développement (1945–1968)
Gilles GRESSANI : Éléments sur l’intuition géopolitique d’Alexandre Kojève
18h00–18h30 — Clôture par Pierre MOSCOVICI
Commissaire européen aux affaires économiques et financières, fiscalité et douanes
VENDREDI 8 JUIN 2018
9h00–9h30 — Présentation d’un extrait du film de
François LAGARDE : Alexandre Kojève, en connaissance de cause,
par Christine BAUDILLON
9h30–11h00 — L’Europe, la Méditerranée et « l’Empire latin »
James H. NICHOLS Jr. : The Necessity of Empire : The Roman Empire of Tacitus and the Latin Empire of Kojève / La nécessité de l’Empire : l’Empire romain de Tacite et l’Empire latin de Kojève
Wolf LEPENIES : The Mediterranean Union, Eurafrica and “Giving Colonialism” / L’Union méditerranéenne, l’Eurafrique et le « colonialisme donnant »
Richard MILLER, Député fédéral belge, Docteur en philosophie (Université Libre de Bruxelles)
Marion MESSADOR : La Méditerranée à l’aune des empires
11h00–12h00 — De la Russie à l’Europe et retour, à l’orient s’orienter
Marco FILONI : À l’Orient s’orienter
Boris GROYS : On Russian Concept of the West / Sur la conception russe de l’Occident
Alexis FILIPUCCI : Kojève et le bouddhisme : une religion sans Dieu pour une époque de dieux sans religion ?
Sabina TORTORELLA : Kojève interprète de Kandinsky : à propos de la peinture concrète
12h00–13h00 — Clôture
Jim CLOOS : L’Union européenne peut-elle rester postmoderne dans le monde moderne ?
Philippe HERZOG : Rouvrir l’histoire en Europe. Communauté politique et puissance publique
Louis MICHEL, Ministre d’État, ancien Commissaire européen, Député européen
Alexandre STEVENS, Psychanalyste, membre de l’École de la Cause Freudienne et de l’Association Mondiale de Psychanalyse
Danilo SCHOLZ, Doctorant à l’EHESS (Paris)
et chargé de cours à Sciences Po (Paris)
Antoine CAHEN : synthèse des travaux
Miquel BASSOLS Psychanalyste à Barcelone, ancien président de l’Association mondiale de Psychanalyse (2014–2018)
Laurent BIBARD Professeur à l’ESSEC, département Management, titulaire de la chaire Edgar Morin de la complexité
Antoine CAHEN Fonctionnaire européen
Jim CLOOS Directeur général adjoint, Politique générale et institutionnelle, Conseil de l’Union européenne
Alexis FILIPUCCI Docteur en philosophie, chercheur et formateur à PhiloCité
Marco FILONI PhD en histoire de philosophie, a écrit plusieurs ouvrages sur Kojève, journaliste et éditeur de pages culturelles dans divers journaux et magazines
Gilles GRESSANI Président du Groupe d’Études Géopolitiques, École normale supérieure, Paris
Boris GROYS Professeur d’études russes et slaves, New York University, Professeur de philosophie et d’histoire de l’art, European Graduate Center, Saas Fee, Suisse
Philippe HERZOG Ancien député européen, président-fondateur de Confrontations Europe, ancien professeur des universités en sciences économiques
Sébastien JEAN Directeur du Centre d’Etudes Prospectives et d’Informations Internationales (CEPII)
Jean-Francois KERVÉGAN Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, a notamment dirigé « Alexandre Kojève face à Carl Schmitt », dir., Philosophie, numéro 35, septembre 2017, Les éditions de Minuit, Paris
Pascal LAMY Ancien Commissaire européen, ancien Directeur de l’OMC, Président d’honneur de l’Institut Jacques Delors-Notre Europe
Éric LAURENT Psychanalyste, ancien président de l’Association Mondiale de Psychanalyse
Wolf LEPENIES Sociologue et historien, ancien Recteur du Wissenschaftskolleg zu Berlin, ancien titulaire de la Chaire européenne du Collège de France (Paris), auteur de « Die Macht am Mittelmeer », München, Carl Hanser Verlag, 2016
Juan Pablo LUCCHELLI Psychiatre et psychanalyste à Paris, membre de l’Ecole de la Cause freudienne et de l’Association Mondiale de Psychanalyse
Jamila M.H. MASCAT Enseignant-chercheur à l’Université d’Utrecht, co-organisatrice du séminaire « Pratiques extra-philosophiques de la philosophie. Dialogues autour d’A. Kojève » au Collège International de Philosophie pour l’année 2018–2019 (avec S. Tortorella)
Marion MESSADOR Rédactrice en chef du GEG-Med, pôle Méditerranée du Groupe d’Études Géopolitiques, École normalesSupérieure, Paris
Louis MICHEL Ministre d’État belge, ancien Commissaire européen, Député européen
Richard MILLER Député fédéral belge, Docteur en philosophie (Université Libre de Bruxelles)
Pierre MOSCOVICI Commissaire européen aux affaires économiques et financières, fiscalité et douanes
James H. NICHOLS, Jr. Professeur, Claremont McKenna University, États-Unis
Massimo PALMA Docteur en philosophie à la Scuola Europea di studi Avanzati et professeur de philosophie du droit à l’Université Suor Orsola Benincasa de Naples
Vincent PEILLON Philosophe, ancien ministre, député européen
Raymond PHAN VAN PHI Ancien collaborateur d’Alexandre Kojève à la DREE, Directeur général honoraire à la Commission européenne
Danilo SCHOLZ Doctorant à l’EHESS (Paris) et chargé de cours à Sciences Po (Paris)
Alexandre STEVENS Psychanalyste, membre de l’Ecole de la Cause Freudienne et de l’Association Mondiale de Psychanalyse
Sabina TORTORELLA Docteur en philosophie, attachée d’enseignement et de recherche à l’Université Paris 2 Pantheon-Assas
Luuk van MIDDELAAR Philosophe et historien, professeur aux universités de Leiden et Louvain
Pierre VIMONT Ambassadeur de France, premier Secrétaire général exécutif du Service Européen d’Action Extérieure (SEAE), « Senior Fellow » à Carnegie Europe
Laurent Bibard, professeur à l’ESSEC, département Management, titulaire de la chaire Edgar Morin de la complexité
Antoine Cahen, fonctionnaire européen
Marco Filoni, PhD en histoire de philosophie, a écrit plusieurs ouvrages sur Kojève, journaliste et éditeur de pages culturelles dans divers journaux et magazines
Jean-François Kervégan, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Danilo Scholz, Doctorant à l’EHESS (Paris) et chargé de cours à Sciences Po (Paris).
Nina Kousnetzoff, nièce et ayant-droit d’Alexandre Kojève, a aidé à rassembler une documentation en vue des Rencontres.