Cité du Vatican. Entre le voyage du pape en Corée du Sud à l’été 2014 et cette accélération soudaine des événements en provenance de Pyongyang, bien d’autres petits pas ont été discrètement accomplis par le Saint-Siège afin de placer l’Église sud-coréenne au coeur du processus de paix, de réunification, mais aussi de dénucléarisation de la péninsule coréenne (2). Or c’est bien cette action qui commence à prouver ses résultats.
Encouragés par la visite du pape en Corée du Sud, les contacts avec les autorités ecclésiastiques locales n’ont ensuite cessé de se resserrer. Ils sont facilités par la présence de l’ancien secrétaire personnel du pape, le Maltais Mgr Xuerels, un homme clé placé à dessein à la Nonciature de Séoul, la représentation diplomatique du Saint-Siège.
Des missions de l’Église sud-coréenne ont tout d’abord commencé à se déployer au Nord, un pays dans lequel la liberté religieuse est théoriquement garantie par la constitution, mais où, dans les faits, toute activité religieuse se trouve interdite hors du cadre de quelques structures officielles, des “associations catholiques” totalement sous contrôle.
De 55 000 catholiques nord-coréens au moment de la guerre de Corée (1950-1953), leur nombre est aujourd’hui estimé à 4 000, avec une seule église pour les accueillir : la cathédrale Changchung de Pyongyang, cette capitale dite autrefois “la Jérusalem de l’Est”. Pour la Corée du sud, le nombre de catholiques atteint 5,8 millions, soit 11 pour cent d’une population de 51,8 millions d’habitants.
Depuis 2015, des délégations de prêtres sud-coréens sont chaque année autorisées à rencontrer les membres de ces structures catholiques “officielles” nord-coréennes et les échanges religieux et humanitaires se multiplient. Quant à l’encyclique du pape François sur l’écologie Laudato Si’ de l’été 2015, elle a concouru à amplifier les voix de l’ensemble des instances catholiques dans cette partie de l’Asie, en accentuant leur poids dans les débats politiques, économiques ou sociaux, et également sur les questions de sécurité (1).
Mais c’est avec l’élection, en mai 2017, du très catholique Moon Jae-un, prônant une politique de dialogue et de réconciliation avec Pyongyang que le rôle de l’Église catholique sud-coréenne s’est encore spectaculairement renforcé. Sitôt élu, le nouvel hôte de la Maison bleue a en effet désigné effet Mgr Hyginus Kim Hee-Joong, l’archevêque président de la Conférence des évêques catholiques de Corée (CBCK), comme l’émissaire spécial de son programme de paix. En septembre 2017, dans une période de grandes tensions succédant à des tirs de missiles balistiques dont certains, au-dessus du Japon, c’est cet archevêque de 70 ans qui fut chargé de se rendre à Rome pour porter une demande de médiation officielle au Saint-Siège. La volonté sud-coréenne de réconciliation entre les deux Corée et de dénucléarisation de la péninsule a trouvé un relai idéal en la personne du pape François et l’émissaire en est revenu comblé, en exprimant “la très grande connaissance” et “l’intérêt très vif du pape” pour ce dossier (3).
Sa venue à Rome fut d’autant plus pertinente qu’elle est intervenue après la première audience du Président Trump avec le pape François, en mai 2017. L’axe de la médiation du Saint-Siège entre les deux Corées inclura donc Washington, c’est donc du moins ce que l’on commençait à comprendre. Donald Trump a alors pris congé du Souverain pontife sur une énigmatique promesse : “je me souviendrai de ce que vous m’avez dit”.
Que cette promesse ait concerné la Corée du Nord – en plus de Cuba et de l’accord sur le nucléaire iranien sur lequel le Vatican redoutait une marche-arrière américaine- et qu’elle ait débouché, quelques mois plus tard à peine, sur les progrès de cette détente aujourd’hui effective entre les deux leaders américains et nord-coréen est une hypothèse hautement probable.
Début juillet 2018, ce fut au tour de Mgr Richard Gallagher, le Secrétaire de la section des rapports avec les États de la Secrétairerie d’État du Vatican, son “ministre des affaires étrangères”, de se rendre à son tour en Corée du sud. Il y a effectué une mission de six jours, avec un déplacement dans la zone démilitarisée située à la frontière avec la Corée du Nord. L’agenda de cette tournée est loin d’être anodin : elle intervient quelques jours à peine seulement après l’historique rencontre entre Donald Trump et Kim Jong un, le 20 juin 2018 à Singapour.
Et lorsque Mike Pompeo est ensuite arrivé dans la capitale nord-coréenne, le 8 octobre dernier, il a finalement obtenu l’accord de Kim pour l’envoi d’inspecteurs internationaux à la fois sur les sites de tests nucléaires expérimentaux et sur les sites de lancements de missiles balistiques, c’est à dire les garanties jugées essentielles pour vérifier la dénucléarisation effective de la Corée du Nord (4). Mais à Pékin, qui est bien sûr l’allié de Pyongyang dans cette négociation avec les Américains, et où le Secrétaire d’État américain achève sa tournée asiatique, le climat restera glacial, envenimé par la guerre commerciale. Kim, grâce au pape, pourrait-il donc jouer aussi un rôle précieux entre Pékin et Washington ?
Perspectives :
- L’invitation faite au pape de se rendre à Pyongyang, dans ce climat de détente, intervient peu après la signature de l’accord du 22 septembre 2018 entre le Saint-Siège et la Chine sur le règlement des nominations des évêques chinois, ce qui laisse même espérer à certains la possibilité d’un voyage pontifical nord-coréen comprenant une escale à Pékin. Deux destinations auprès de deux pays alliés qui marqueraient un succès de la diplomatie vaticane extrême-orientale en ces temps de fragilisation du pape François, en pleine tourmente depuis l’affaire Vigano l’intégrant aux mécanismes de dissimulation des scandales pédophiles dans l’Eglise.
- Pour l’Osservatore Romano, le journal officiel du Vatican, les avancées de la paix sur le 38ème parallèle contiennent aussi un autre signe de renforcement de la sécurité régionale à travers l’axe Moscou-Pyongyang. C’est ce dont atteste au yeux du Saint-Siège la rencontre des deux vice-ministres des affaires étrangères russe et nord-coréen à Moscou le 9 octobre dernier et leur signature commune d’un accord de coordination. Elle laisserait aussi envisager une possible première visite de Kim Jong-un dans la capitale russe, une visite confirmée par le Kremlin.
Sources :
- Quel rôle pour le pape François dans la réconciliation coréenne ?, Églises d’Asie, 02 juin 2017.
- L’enthousiasme de Séoul après le 3e sommet intercoréen, Églises d’Asie, 21 septembre 2018
- Des responsables religieux de Corée du Sud reçus par le pape François, I.Media, 1 septembre 2017.
- Kim prêt à accepter des inspecteurs internationaux, Osservatore Romano, 9 ottobre 2018.
Constance Colonna Cesari