Berlin. Berlin entreprend de riposter aux investissements chinois. Mercredi 1er août, le gouvernement allemand a décidé d’interdire l’achat du fabricant de machines Leifeld Metal Spinning par Manoir Industries, la division française du conglomérat chinois Yantai Tahai Group (1). Avec cette décision, qui, selon le gouvernement allemand, est motivée par des raisons de « sécurité nationale », l’État a pour la première fois utilisé la possibilité d’empêcher un investisseur étranger d’acheter des actions d’une société allemande que lui confère la loi de 2004 sur l’intérêt national. En outre, l’affaire Leifeld s’est produite quelques jours après que le gouvernement allemand a acheté, par l’intermédiaire d’une banque publique, 20 % du fournisseur d’électricité 50 Herz pour l’enlever à China Grid, qui s’était porté acquéreur (5).
Cette succession témoigne d’un activisme sans précédent de la part de Berlin pour mettre fin aux investissements chinois dans des secteurs stratégiques qui, ces dernières années, ont atteint des sommets remarquables : au cours des dix dernières années, les FDI de Pékin en Europe ont atteint le montant de 38 milliards d’euros, dont un tiers en Allemagne. En outre, les investissements ont connu une croissance exponentielle au cours des deux dernières années, notamment en ce qui concerne les entreprises technologiques et innovantes (4).
Cet afflux de capitaux, provenant très souvent d’entreprises en orbite publique, s’inscrit dans un plan géopolitique précis de Pékin : prendre possession de technologies avancées dans des secteurs stratégiques afin de réduire l’écart avec les États-Unis. C’est ce qui explique la tentative d’acquisition de Leifeld, qui fabrique des machines pouvant être utilisées dans l’industrie aéronautique et militaire. La crainte d’une reprise agressive du savoir-faire stratégique semble avoir surmonté les réserves traditionnelles de l’Allemagne à l’égard de l’intervention de l’État dans l’économie. En cela, favorisé par le soutien des entrepreneurs et de l’industrie, qui se plaint depuis des années de la différence de traitement subi par la Chine et de la quasi-impossibilité d’investir dans le pays pour les entreprises européennes, appelant haut et fort à un rééquilibrage.
La décision de Berlin semble ouvrir une nouvelle phase dans les relations économiques entre les deux pays, marquée par une plus grande agressivité. Cette situation contraste avec les déclarations d’amitié et de proximité des deux dirigeants Merkel et Li Keqiang à Berlin, dans lesquelles l’Allemagne et la Chine semblaient pouvoir se rapprocher en réponse aux menaces douanières de Donald Trump (2). Les raisons stratégiques opposées que nous avions déjà signalées il y a quelques semaines dans la Lettre (3) semblent cependant avoir prévalu pour l’instant. Dans les mois à venir,nous saurons s’il s’agit d’un changement à long terme et quel impact il peut avoir sur l’avenir des relations entre l’Europe et la Chine.
Perspectives :
- La proposition de Trump d’introduire un droit supplémentaire de 25 % sur 200 milliards de dollars d’importations en provenance de Chine, ainsi que la réduction temporaire de la pression sur l’Europe, pourrait être à l’origine de la perte d’intérêt de l’Allemagne pour la constitution d’une alliance stratégique avec la Chine.
- L’attention accrue accordée par les pays d’Europe occidentale aux investissements chinois pourrait amener Pékin à investir davantage dans les pays d’Europe centrale et orientale, les 16+1.
Sources :
- Chinese takeover of German firm Leifeld collapses, BBC, 1 aout 2018.
- Merkel, Li affirm belief in free trade as they sign cooperation ventures, Global Handelsblatt, 10 juillet 2018.
- L’étrange cas des constructeurs automobiles allemands dans la guerre commerciale, La Lettre du Lundì, Edition 12, 24 juin 2018.
- TARTAR Andre, ROJANASAKUL Mira & SCOTT DIAMOND Jeremy, How China Is Buying Its Way Into Europe, Bloomberg, 23 avril 2018.
- ZUGEHÖR Daniel, Bund sperrt China bei 50Herz aus, Energate Messenger, 27 juillet 2018.