Que se passe-t-il en Italie ?

Depuis dimanche en Italie on compte au moins 152 cas confirmés de Covid-19 (COronaVIrus Disease 2019). L’Europe devient ainsi le second foyer mondial après l’Asie orientale. L’Italie est potentiellement le troisième pays le plus touché après la Chine et la Corée du Sud 1.

Au moins 50 000 personnes, dans deux régions, se trouvent dans un état de quarantaine. En Lombardie où il y a au moins 110 cas et en Vénétie où il y a au moins une vingtaine de cas. Cette quarantaine devrait avoir vocation à durer au moins deux semaines, soit le temps pour des personnes infectées de déclarer leurs symptômes.

Des mesures de restriction diverses touchent l’ensemble du Nord du pays : fermetures d’écoles, d’universités, annulations de matchs de football et de défilés de mode, notamment à Milan, et de manière très symbolique, du carnaval de Venise.

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Y a-t-il un développement exponentiel du COVID-19 ?

Il est particulièrement frappant de voir que le nombre de cas en Italie est passé de 3 jeudi soir à plus de 130 dimanche matin. Cela illustre la vitesse à laquelle évolue la situation, la difficulté à anticiper, et l’important recul à prendre vis-à-vis des informations qui nous parviennent, notamment des chiffres.

Coronavirus en Italie

Cela donne également l’impression, potentiellement particulièrement dangereuse, que le virus peut frapper n’importe où, vite, et un grand nombre de personnes. De fait une spirale de panique portée par certains média semble enclanchée.

Les enjeux d’une quarantaine contre le Coronavirus en Italie et au Wuhan

L’Italie a recours à l’armée et à la police pour faire respecter une quarantaine que l’on peut qualifier de restrictive dans la mesure où les personnes au sein de la zone sont « physiquement » contraintes d’y rester et ne sont ainsi plus totalement libres de leurs mouvements. En voyant les mesures prises par les autorités chinoises, qui ont mis la ville de Wuhan dans une quarantaine restrictive, on pouvait logiquement se demander si de telles mesures pourraient être prises dans une démocratie occidentale et nous sommes désormais confrontés à une telle situation.

Certes la ville de Wuhan comptait plus d’une dizaine de millions d’habitants tandis que la zone mise en quarantaine en Italie n’en compte que 50 000, mais le recours à l’armée et à la police pour faire respecter la quarantaine et ainsi restreindre la liberté individuelle de mouvements de citoyens au nom du « bien commun » est particulièrement lourd de sens et peut, selon la manière dont se déroule la situation, constituer un symbole fort, dans un sens comme dans l’autre. Si les cas venaient à se multiplier au sein de la zone et que certains tentaient de forcer la quarantaine, les éventuelles images de forces de l’ordre contraintes d’intervenir pourraient venir sonner comme un rappel des limites que notre instinct de survie fait peser sur notre volonté de sacrifice individuel au nom du bien commun. À l’inverse, si la quarantaine venait à se passer de manière apaisée et que les foyers d’épidémie en son sein venaient à s’éteindre, cela pourrait venir illustrer la puissance de la synergie des valeurs communes qui soudent nos sociétés européennes et tout le potentiel de résolution de crises majeures qui y réside.

Coronavirus Wuhan soldat chinois vérifie température conducteur Wuhan

Doit on craindre une pandémie COVID-19 sur le sol Européen ?

Tout dépend de la manière dont on définit une « épidémie de grande ampleur ». Si l’on songe à quelque chose qui touche des millions de personnes à l’instar de la grippe espagnole, comme dit précédemment, il faut rester prudent et ne rien exclure, mais cela semble peu probable.

Ce qui semble plus réaliste est un autre scénario. L’épidémie pourrait s’étendre dans la durée sur plusieurs mois, elle serait caractérisée par l’apparition brutale de foyers hétérogènes de cas allant de quelques-uns à quelques dizaines voire plusieurs centaines, avec une redescente soudaine du nombre de cas. On peut à ce titre noter que sur les 18 cas français, 1 touriste chinois âgé de 80 ans est décédé mais 1 seule personne reste hospitalisée à ce jour et 10 patients sont considérés comme guéris.

Une carte sur la dimension mondiale d'une pandémie potentielle

La panique est-elle le risque principal ?

« La seule chose dont nous avons à avoir peur, c’est la peur elle-même ». Ces mots de Franklin Delano Roosevelt à propos de la Grande Dépression résonnent particulièrement aujourd’hui. La majorité des morts liés au coronavirus sont des personnes âgées ou immuno-déficientes, et même s’il est indéniable que l’on ne peut balayer d’un revers de main les milliers de morts chinois dus au Covid-19, on ne peut pas non plus nier qu’à ce jour les intempéries ont fait plus de morts en France que le coronavirus. La première chose à craindre est donc probablement la panique que pourraient causer les diverses craintes liées au virus. Cette panique pouvant se manifester par des pénuries de divers produits de première nécessité ou médicaments car les gens en accumulent en anticipation d’une éventuelle quarantaine, un usage irraisonné de médicaments, ou encore de manière plus tragique par des violences xénophobes. Des cas d’agressions de personnes d’origines asiatiques ont été rapportés, notamment aux États Unis et en France, et il faut espérer que l’on en reste là car ce type de violences pourrait rapidement causer des dégâts bien plus préoccupants que le virus lui-même si elles venaient à se répandre.

Quarantaine en Lombardie

Pourquoi y a-t-il un risque d’implosion politique ?

A moyen terme il paraît désormais certain que le COVID-19 produira des conséquences économiques significatives et certains secteurs ou certaines entreprises déjà en difficulté pourraient être frappés de manière particulièrement forte. Cette instabilité économique pourrait s’articuler à un risque politique et social plus profond.

En effet l’épidémie pourrait cristalliser une défiance au caractère proto-insurrectionnel envers l’autorité de l’État et ses dirigeants déjà particulièrement forte et vive dans de nombreux pays d’Europe. En France, l’embrasement pourrait notamment se faire sous deux axes : l’hôpital public et les forces de l’ordre. Si un foyer de cas venait à se déclarer dans une zone où le ou les hôpitaux publics sont à bout de souffle et où l’ensemble du personnel soignant en grève dénonce le manque cruel de moyens pour pouvoir soigner dans des conditions acceptables, submergeant rapidement ce ou ces hôpitaux, le ressentiment des populations touchées envers les pouvoirs publics pourrait créer des situations extrêmement tendues. Par ailleurs si les autorités françaises venaient à devoir instaurer une zone de quarantaine et que certains tentaient de la forcer, dans le climat actuel de débat extrêmement tendu des deux côtés sur la proportionnalité de la force employée dans le maintien de l’ordre, la situation pourrait très rapidement dégénérer.

COVID-19 photo lores coronavirus

Y a-t-il un risque de mutation du COVID-19 ?

Censure, autocensure, concentration autocratique des pouvoirs et peur de la diffusion de la moindre information qui pourrait être perçue comme négative en Chine, crise de l’hôpital public, défiance envers les gouvernants et les élites, xénophobie et volonté de repli, équilibre entre liberté individuelle et solidarité envers les autres membres de la société, et entre maintien de l’ordre et liberté de manifester protester circuler et défier le pouvoir en Europe, le coronavirus souligne et amplifie de nombreuses problématiques de fond déjà présentes dans nos sociétés.

Il y a encore un risque sanitaire qui semble à ce stade assez faible mais n’est pas totalement non plus à exclure : une mutation voire dans le pire des cas une mutation récurrente du coronavirus.

À l’heure actuelle le virus semble assez stable d’un point de vue génétique et la séquence des virus responsable des cas en Europe très proche de celle responsable des premiers cas en Chine. À court terme, cela facilite beaucoup le diagnostic voire la recherche de traitement médicamenteux et, à moyen ou long terme, le développement d’un vaccin. Si le virus venait à muter, voire à muter de façon récurrente, cela pourrait venir fortement compliquer tout cela et bouleverser tous les pronostics. Des mutations pourraient venir rendre le virus présent sur le sol européen plus contagieux, plus mortel 2, compliquer le diagnostic d’infection, voir le rendre plus mutagène.

COVID-19 modélisation chaîne protéines ACE2 PDB 1r42

Pourquoi pas ? (accrochez vous c’est un peu technique)

Le coronavirus est à ce stade beaucoup moins propice à muter que d’autres virus comme le VIH ou influenza, et cela peut s’expliquer par des raisons propres à sa structure biologique. Pour simplifier, on peut dire que l’enzyme responsable de la réplication du génome (le « plan » de tout organisme vivant) du VIH est particulièrement enclin à faire des erreurs en recopiant le génome dont il se sert comme référence, ce qui fait qu’à chaque réplication, le génome recopié est porteur de différences avec le génome original.

Ces différences, dues à des « erreurs faites en recopiant », sont appelées mutations. Le taux d’erreur de cet enzyme étant très élevé et le VIH se répliquant abondamment comme tout virus, cela donne au sein d’un même hôte un large spectre de virus tous porteurs de mutations que l’on nomme « quasi espèce ». Certaines de ces mutations vont rendre le virus moins efficace, d’autres plus efficace, et d’autres enfin ne le rendront ni plus ni moins efficace mais lui permettront d’éviter d’être détecté, par le système immunitaire ou par certaines méthodes de diagnostic développées dans les premiers temps de l’épidémie (les méthodes actuelles testent un large panel d’éléments viraux très conservés entre les différentes formes du virus et sont donc particulièrement sensibles).

Influenza, le virus de la grippe, a quant à lui un génome dit « segmenté » en plusieurs éléments. Ainsi lorsque plusieurs virus infectent une même cellule, de nouveaux virus dont le génome est composé d’éléments appartenant à plusieurs virus peuvent voir le jour, créant en somme des mutations à plus large échelle. Si le virus présent sur le sol européen venait à présenter des mutations, touchant par exemple son enzyme de réplication et le faisant ainsi muter de manière beaucoup plus fréquente, cela pourrait avoir de très lourdes conséquences. Heureusement à l’heure actuelle il n’y a pas d’éléments qui laissent à penser que de telles mutations se soient produites.

La Diffusion du coronavirus, cas dans le monde le 26 janvier 2020
Cas de COVID-19 confirmés il y a un mois

Pourquoi le COVID-19 continue sa propagation malgré toutes les mesures prises ?

Nous pouvons maintenant estimer que le déni initial des autorités locales chinoises concernant le coronavirus et le retard qu’il a entraîné dans la réponse lui ont permis de circuler et de contaminer suffisamment de personnes dont un certain nombre se sont assez déplacées pour qu’il puisse continuer de se propager et de s’étendre au-delà des zones de quarantaine mises en place.

Outre la question des zones de quarantaine, se pose également celle de la saturation de la capacité d’investigation. Une des mesures les plus efficaces pour lutter contre la propagation d’une épidémie est de reconstituer l’ensemble des trajets des personnes dont on a confirmé l’infection, ainsi que les contacts qui ont eu lieu avec ces personnes. Cela permet d’isoler et de diagnostiquer préventivement toutes ces personnes, et de reconstituer petit à petit les chaînes de transmission du virus et de contamination. C’est cette méthode qui a permis lors de l’épidémie de SRAS en 2003 d’identifier « l’hôtel M » de Hong Kong comme foyer majeur de transmission du virus et ainsi d’isoler et diagnostiquer préventivement toutes les personnes y ayant séjourné. Mais autant cette méthode est applicable jusqu’à plusieurs dizaines voire à la rigueur plusieurs centaines de cas, autant elle ne peut être efficacement déployée sur plus de 70 000 cas, même pour le Parti communiste chinois et son super état technopolicier.

Se pose également la question du diagnostic. Dans une série de cas, notamment liés au navire de croisière Diamond Princess en quarantaine dans les eaux japonaises, on a laissé partir des personnes contaminées, sans être à même d’effecteur un diagnostique adéquat. Là encore intervient la notion de masse critique. Il est relativement aisé pour un pays comme le Japon de tester et diagnostiquer quelques cas, mais face à plusieurs milliers de croisiéristes, le pays a vu ses capacités de diagnostic « submergées » selon les mots du ministre de la Santé japonais Katsunobu Kato.

Le pays ne disposait pas d’assez de kits de diagnostic « autonomes » c’est-à-dire directement utilisables sur le terrain sans avoir besoin d’envoyer des échantillons à des laboratoires et n’a ainsi pas pu initier une seule vague massive de tests de tous les passagers. La province chinoise de Hubei, au cœur de l’épidémie, s’est elle-même retrouvée en grande pénurie de kits de diagnostics « biologiques » testant directement la présence précise du coronavirus et certains médecins ont ainsi dû réaliser des diagnostics « cliniques » bien moins précis car pouvant déclarer positifs des personnes souffrant notamment de grippes ou d’autres infections pulmonaires en se basant sur des scanners de poumons. On peut ainsi aisément comprendre la volonté affichée par le nouveau ministre français de la Santé Olivier Véran de faire passer les capacités de diagnostic françaises de 400 échantillons par jour à plusieurs milliers.

COVID-19 Passager gare déserte Wuhan

La fenêtre d’opportunités se referme, que faire ?

On voit donc que la progression du nombre de cas rend inefficace un certain nombre de méthodes au cœur de la première ligne de défense contre l’épidémie, et c’est pour cela que le directeur de l’OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus a déclaré samedi (soit avant l’augmentation brutale du nombre de cas en Italie) qu’ « il existe encore une chance de contenir l’épidémie en dehors de Chine, mais la fenêtre d’opportunités se referme ».  

On doit aussi se poser la question de l’échelle à laquelle sont prises ces mesures et de l’existence de « maillons faibles ». Dit de manière moins élégante et politiquement correcte, de pays aux systèmes de santé plus faibles au sein desquels l’épidémie pourra continuer à se propager. Dans la situation précédemment évoquée d’une épidémie longue avec l’apparition récurrente de foyers régressant ensuite, ces pays pourraient être à l’origine de tels cas via des personnes y séjournant et revenant ensuite dans d’autres pays. Lorsque l’épidémie était circonscrite à la Chine il était possible pour certains pays (dont la France) de soumettre à une quatorzaine les personnes en revenant, voire pour d’autres pays de directement leur fermer leurs frontières. Plus l’épidémie se répand, plus il devient complexe d’appliquer de telles mesures à une liste exponentielle de pays.

Enfin se pose la question de la période d’incubation et du taux de détection de cas. Les autorités ont jusqu’ici opéré en considérant qu’une personne n’était contagieuse que pendant 14 jours au maximum, et ont fondé leurs mesures de confinement dessus. Si cette donnée venait à évoluer, en plus de compliquer très sérieusement les efforts de confinement de l’épidémie, cela pourrait en partie expliquer l’impression d’inefficacité de certaines mesures de quarantaine.

Sources
  1. Le navire de croisière en eaux japonaises Diamond Princess se situant devant l’Italie mais n’étant pas un pays, et étant maintenu en quarantaine par les autorités japonaises, on peut ne pas considérer ces cas comme étant à proprement parler sur le sol japonais
  2. Pour plus d’informations sur les paramètres clefs de dangerosité du virus voir mon article : 10 points sur le Coronavirus, Le Grand Continent, Url : https://legrandcontinent.eu/fr/2020/01/26/10-points-sur-le-coronavirus/