Tripoli. En réponse à une représentation très limitée des pays limitrophes de la Libye à la conférence de Berlin, les ministres des Affaires étrangères de la Tunisie, de l’Algérie, du Soudan, du Niger, du Tchad, du Mali et de l’Égypte se sont rencontrés à Alger pour discuter des principaux points concernant une contribution possible à la stabilité de la Libye1. Dans ce scénario, la politique étrangère et la diplomatie se mêlent inévitablement à la sécurité intérieure, conformément à l’esprit selon lequel « la paix en Libye signifie la paix dans nos pays ». La vérité, cependant, c’est que les différents pays font face au scénario libyen suivant des perspectives très différentes : si la Tunisie et l’Algérie ont un fort retard en Libye, pour l’Égypte et le Tchad, c’est une question historique de contexte stratégique et de maintien du statu quo interne. Le sommet d’Alger est le symbole de l’évolution du continent en Libye : par exemple, Yoweri Museveni, président de l’Ouganda, a vivement critiqué l’inactivité de l’Union africaine face à la mission de l’OTAN contre Kadhafi en 20112.

Le Sommet d’Alger, organisé et vivement souhaité par le président algérien nouvellement élu, Abdelmadjid Tebboune, vise à donner une voix aux appels lancés à la communauté internationale pour une solution pacifique et structurelle de la question libyenne, source de tension et d’inquiétude depuis près de 10 ans. Cette initiative s’inscrit dans le contexte de la nécessité pour Alger d’établir de nouvelles relations diplomatiques avec ses voisins et les acteurs méditerranéens, qui seraient plus constructives et davantage axées sur la coopération et la médiation. L’Algérie joue donc son jeu dans un scénario où, cependant, les politiques des autres acteurs régionaux sont beaucoup plus assurées : on connaît le rôle de l’Égypte, historiquement hégémonique en Cyrénaïque, dans le soutien à Khalifa Haftar. La présence des Frères musulmans en soutien à certaines filières pro-Serraj à Misurata et Tripoli est la principale raison pour laquelle le Caire considère la Libye comme un problème existentiel, pour la résistance du régime Al-Sisi, et non comme un simple dossier de sécurité intérieure3. De même, le Tchad, adversaire historique du nationalisme et du centralisme politique libyens, a utilisé le Fezzan et les régions du sud comme arrière-plan stratégique, poussant souvent les mouvements d’opposition à la frontière nord avec la Libye. Le rôle peu clair des mercenaires du Tchad et du Soudan montre à quel point le conflit en Libye est une affaire transsaharienne, et donc subsaharienne, loin de se restreindre à l’aire méditerranéenne. 

Les récents développements ont donc apporté une vague inhabituelle d’activisme et d’engagement parmi les diplomates continentaux, même ceux qui sont géographiquement plus éloignés. La République du Congo, dans la bouche de son ministre des Affaires étrangères, M. Gakosso, avait invité toutes les parties africaines à « parler d’une seule voix » lors de la conférence de Berlin. À cet égard, le sommet de Brazzaville, ouvert le 30 janvier4, est très important. Le Comité de l’Union africaine pour la Libye a été créé en 2011, au lendemain de la chute de Kadhafi, et Denis Sassou-Nguesso, président du Congo, le préside. En 2017 déjà s’était tenue une réunion sur la Libye dans la capitale congolaise, sans aucune implication pratique. Les limites structurelles et politiques demeurent, mais l’interconnexion croissante de la dynamique de la guerre dans différents territoires (Sahel occidental, Sud-Soudan et Libye) et l’ingérence étrangère pourraient convaincre les diplomates africains de définir une politique claire sur l’avenir de l’Union africaine dans l’État qui a le plus contribué à sa fondation5

Un appel sincère vient de Kampala, où le président ougandais Yoweri Museveni a fermement condamné et critiqué la passivité de l’Union africaine face à l’intervention de l’OTAN en Libye en 2011 : cette critique intervient quatre ans après une lettre de condamnation et de critique adressée à l’Europe pour la mission contre Kadhafi, qualifiant cette opération d’invasion contre un État du continent6. Les propos de Museveni, qui a eu de forts désaccords avec Kadhafi (à l’occasion de la seconde guerre du Congo, par exemple), veulent attirer l’attention sur la capacité politique et opérationnelle de l’Union africaine mais aussi attirer l’attention sur certains points d’ombre, à éclaircir dans les mois qui viennent. Au mois de février, le sommet annuel se tiendra à Addis-Abeba, au cours duquel sera élu le nouveau président de l’Assemblée des chefs d’État et de gouvernement de l’Union7. Selon la coutume de rotation, le président égyptien, nommé pour 2019, devrait céder la place à un représentant de l’Afrique australe, probablement Cyril Ramaphosa, le président de l’Afrique du Sud, déplaçant ainsi le centre de gravité de l’Union vers l’Afrique centrale, puis les Grands Lacs, l’Angola et enfin la côte swahilie. La position de Président de l’Union africaine n’est pas fondamentale, surtout face à d’autres dynamiques (régionalisme fort, tentatives de réforme, solipsisme entre les pays membres), mais d’un point de vue politique et diplomatique, il pourrait y avoir quelques reculs dans la participation de l’Union à la table des négociations sur la Libye. 

Perspectives :

  • 30 janvier 2020 : Ouverture du Sommet de l’Union africaine sur la Libye à Brazzaville ;
  • Le sommet d’Addis-Abeba a débuté le 21 janvier, avec l’Assemblée des représentants diplomatiques de l’Union. L’Assemblée des chefs d’État et de gouvernement est prévue pour les 9 et 10 février.