Le charbon européen, programmation d’une mort annoncée
Bien que la France ait annoncé vouloir sortir du charbon d’ici à 2022 1, cela reste avant tout une décision symbolique, le charbon ne représentant que 1,85 % du mix énergétique français, et demeurant minoritaire, même en Europe. Il faut ainsi noter que le charbon est toujours bel et bien présent sur le continent européen et qu’il représente localement une part majoritaire du mix énergétique de certains États membres. Si les pays de l’Europe de l’Est tels que la Pologne attirent la plus grande attention des médias, c’est l’Allemagne qui détient le plus grand nombre de centrales à charbon d’Europe (71 sur 280) 2, représentant près de 45 % de son mix électrique.
Cependant, la baisse significative de rentabilité de ces centrales (notamment à cause des renforcements des normes de qualité de l’air, l’augmentation des certificats d’émissions et baisse du coût de l’électricité grâce aux renouvelables) et les pressions politiques, notamment de la part de l’Union européenne où 22 des 27 membres ont récemment annoncé leur volonté d’atteindre la neutralité carbone en 2050, pourraient être de véritables leviers pour aider l’Europe à fermer la plupart ou même l’ensemble de ses centrales. Pour le moment, ce sont seulement 8 des 27 pays membres qui se sont engagés à sortir du charbon d’ici à 2030 (la France en 2022, l’Italie et l’Irlande d’ici 2025, le Danemark, l’Espagne, les Pays-Bas, le Portugal et la Finlande avant 2030) 3. Cela n’est cependant pas suffisant pour respecter les engagements pris dans l’accord de Paris, mais des améliorations sont encore possibles. En effet, les récentes évolutions de la politique européenne notamment avec le très attendu Green Deal de la nouvelle présidente de la Commission Européenne Ursula von der Leyen et la hausse des ambitions en matière de réduction des émissions de CO2 (de 50 % à 55 % par rapport à 1990) pour 2030, sont des messages affirmatifs.
De plus, les centrales à charbon ne feront bientôt plus sens sur le plan économique. Selon une étude de Carbon Tracker, dès 2030, “il sera moins coûteux d’avoir recours aux nouvelles sources d’énergie solaire et aux éoliennes que de maintenir en fonction 96 % des centrales à charbon [dans le monde]” 4. D’après cette étude, la compétitivité économique du renouvelable par rapport au charbon est donc possible en termes de coût du MWh. Se pose maintenant la question de la bonne intégration de ces énergies intermittentes, et du rôle du stockage de l’électricité dans le réseau.
La situation contrastée entre Europe de l’Ouest et de l’Est exige cependant une prise de position juste et équitable afin d’éviter toute fracture transformant le “rideau de charbon” en nouveau “rideau de fer” 5. C’est pourquoi le Fonds pour une transition juste (qui prévoit notamment l’utilisation d’une partie des fonds levées par l’ETS à des mesures d’accompagnement de régions dépendante de l’exploitation des énergies fossiles, par exemple avec des mesures d’ajustement du marché du travail) est une annonce-clé pour aider les pays les plus dépendants à éliminer progressivement le charbon. En effet, plus qu’une question économique, les mines et le charbon représentent souvent l’unique industrie, et donc le principal pourvoyeur d’emplois dans certaines régions et villages comme en Silésie en Pologne ou en Allemagne de l’Est. La transition énergétique doit ainsi s’accompagner d’un véritable bouleversement social et la mise en place d’une société “après-charbon” 6.
Le rehaussement des ambitions climatiques allemandes, qui prévoient pour l’instant de sortir du charbon seulement entre 2035 et 2038, serait également un signal important selon le Commissaire au Climat et à l’Énergie M. Cañete 7. Selon lui, “il est assez clair que les combustibles fossiles n’ont pas leur place dans une économie neutre en carbone”, un principe aujourd’hui soutenu par 25 des 27 États membres. Si conjoncture financière et visions politiques se conjuguent, les conditions seront favorables pour enfin sonner le glas du charbon en Europe.
Le Charbon, ou l’addiction des pays d’Asie
Bien qu’il soit remis en cause en Europe, il est important de garder à l’esprit que le charbon est un moteur incontournable de l’économie mondiale, et qu’une bonne partie de notre mode de vie actuel en Europe lui est dû. Le développement exceptionnel de la Chine depuis plusieurs décennies s’est notamment fait grâce à cette même source d’énergie, largement disponible et peu chère dans le pays et qui constituait en 2016 encore près de 60 % de son mix électrique 8. Le charbon est en forte croissance dans de nombreux autres pays d’Asie, comme l’Inde, l’Indonésie et le Vietnam, et il représentait 59 % de la production d’électricité en Asie-Pacifique en 2014 selon la Banque mondiale.
Le récent appel du Secrétaire général des Nations unies aux pays d’Asie lors du sommet à Bangkok d’abandonner leur “addiction” au charbon reflète ce constat et est révélateur de l’énorme défi à venir. Le charbon a aussi un impact dévastateur sur la pollution de l’air. Selon Meng Gao et al., la production électrique générerait des particules fines PM2.5 (de moins de 2.5 µm) causant 500 000 morts par an en Chine et 300 000 morts par an en Inde 9.
Avec une demande d’énergie en croissance constante dans ces deux pays, “l’addiction” semble cependant difficile à sevrer. Le rapport spécial sur le charbon publié en 2018 par l’Agence Internationale de l’Énergie montre ainsi que la consommation de charbon a presque triplé pour la Chine entre 2000 et 2017 (passant de 955 à 2715 Mtce) et plus que doublé pour l’Inde (de 208 à 563 Mtce), avec des prévisions de stagnation ou au mieux de léger recul pour la Chine d’ici à 2023 10.
Cependant, comme le montre le graphique ci-dessus, le respect des accords de Paris (par la mise en œuvre des Sustainable Development Scenarios) donne comme condition sine qua non le désengagement massif du charbon, l’essentiel de cette réduction intervenant en Asie-Pacifique, c’est à dire principalement en Chine, en Inde et au Japon, ce qui contraste vivement avec les scénarios actuels.
Le dilemme de ces nations est simple ; poursuivre leur développement économique au prix de conséquences potentiellement très néfastes sur le long terme, avec des effets radicaux du changement climatique, comme des désertifications importantes et des déplacements massifs de populations, ou remettre en cause l’ensemble de leur modèle économique avec des conséquences très incertaines sur le court terme. Face à ce choix cornélien et à l’urgence climatique, il est essentiel de proposer de véritables solutions politiques pour sortir de cette addiction globale au charbon.
Les mesures à prendre pour véritablement éliminer la source la plus polluante d’énergie
Au vu de la dépendance de l’économie mondiale au charbon, on peut se questionner sur la faisabilité d’une réduction voire d’une sortie du charbon, et par quoi le remplacer. Si l’objectif est la sortie du charbon en elle-même pour une source relativement moins polluante, renouvelable ou non, la transition vers le gaz peut faire sens, car celui-ci produit une électricité deux fois moins carbonée. C’est ce que l’on observe aux États-Unis ainsi qu’au Royaume-Uni. L’exemple volontariste de ce dernier est particulièrement éclairant : grâce à un prix “plancher” du carbone en plus du marché du carbone européen, la part du charbon dans la production d’électricité est passée d’environ 35 % en 2013 à 5 % en 2018. Cette transition s’est opérée grâce au développement conjoint du gaz et de l’éolien. Le boom du gaz de schiste aux États-Unis est le principal facteur du déclin de l’industrie minière américaine, et cela, malgré les pressions politiques au niveau fédéral.
La réduction rapide du coût des énergies renouvelables avec stockage d’électricité sera également un facteur déterminant pour que les dynamiques de marché puissent “exclure” le charbon et ses centrales de l’équation de la rentabilité économique. De plus, le nucléaire aura aussi son rôle à jouer, comme l’a rappelé le président du GIEC début octobre 11. En effet, le nucléaire peut fournir une électricité décarbonée et pilotable alternative au charbon, tout en limitant la consommation de gaz. Enfin, la dernière solution technologique avancée notamment par les industriels est le captage du CO2 en sortie de centrale et le stockage en couches géologiques profondes. Cette solution, qui n’est pas encore appliquée à l’échelle industrielle est envisagée dans plusieurs scénarios du GIEC contraignant le réchauffement à 1.5°C, mais il est aussi un moyen de retarder la mise à l’arrêt des centrales. Selon Fatih Birol, directeur exécutif de l’AIE, “nous ne pouvons avoir le luxe de choisir notre technologie préférée” entre le nucléaire, les énergies renouvelables et les technologies comme le captage et le stockage du carbone 12.
Le désinvestissement et les risques financiers croissants à investir dans le charbon avec le risque d’actifs échoués posent également la question de l’impact de la “finance verte” sur l’avenir du charbon. Les récentes annonces de désengagement des projets d’énergies fossiles par la Banque mondiale et la Banque européenne d’investissement offrent des signaux forts. Toutefois, l’effort sera important, comme l’affirme l’ONG Les Amis de la Terre qui a sorti début novembre un rapport très critique envers les banques et assurances françaises, qui se sont pourtant engagées en juillet dernier à arrêter le financement du charbon 13 : “S’il est suivi d’effets, cet engagement fera figure d’exemple sur la scène internationale où il pourrait provoquer un puissant effet d’entraînement. Mais les risques de greenwashing sont énormes”.
La quête de la sobriété énergétique à l’échelle mondiale est également une solution mais qui est pour l’instant irréalisable à l’échelle internationale sur le plan politique du fait de son incohérence totale avec un développement important des pays asiatiques et donc une augmentation de leur consommation d’énergie.
Face ces différentes solutions, de nombreuses questions subsistent : quel potentiel pour le gaz, ressource fossile, non-renouvelable, et qui atteindra un jour son pic ? Quel avenir pour les renouvelables qui induisent une forte variabilité dans le système électrique et ne sont pas pilotables comme les centrales traditionnelles ? Et quel avenir pour le nucléaire qui mobilise des capitaux importants, et fait face à des défis technologiques et financiers croissants ?
La sortie du charbon est une question incontournable, mais sensible face à la crise climatique. L’avenir du charbon revient à un débat éthique entre responsabilités des émissions sur le plan historique ou contemporain. En effet, si le charbon n’est plus rentable dans des pays comme la France ou les États-Unis, cela est avant tout le résultat de deux siècles et demi d’évolutions politiques, économiques et culturelles depuis la première révolution industrielle.
Ainsi, bien que la sortie du charbon soit indispensable sur un plan climatique et environnemental, a fortiori dans les pays d’Asie où les émissions actuelles sont les plus élevées, cela reste un sujet difficile à aborder sans être accusé d’hypocrisie de la part de nations qui ont largement profité de son utilisation sans la menace imminente de la crise climatique.
Face à ce constat, quelques éléments peuvent faire espérer que l’avenir du charbon, encore assuré dans la plupart des pays en développement en Asie et en Afrique, soit remis en cause, notamment avec des énergies renouvelables et le stockage de plus en plus compétitif, et la baisse de rentabilité progressive des centrales à charbon. Les pressions économiques conjuguées à des politiques climatiques fortes allant dans le sens de l’accord de Paris doivent ainsi être multipliées et amplifiées afin d’espérer limiter le réchauffement climatique et ses impacts désastreux sur les écosystèmes.
Perspectives
- Plusieurs pays européens ont adopté des trajectoires de sortie du charbon afin de baisser leurs émissions de gaz à effet de serre, mais celui-ci est encore un acteur majeur de l’économie mondiale, avec notamment une forte croissance en Asie.
- Un prix du carbone élevé sur le marché du carbone européen à partir de la phase 4 et le développement de la taxation du carbone à l’international, la baisse des coûts du renouvelable ainsi qu’une limitation de la consommation d’énergie sont impératifs pour pouvoir espérer une décrue de l’usage dans la prochaine décennie.
Sources
- Only 8 EU countries plan to phase out coal by 2030, Euractiv, https://www.euractiv.com/section/climate-environment/news/only-eight-eu-countries-plan-to-phase-out-coal-by-2030/.
- Cinq cartes qui montrent l’impact du charbon en Europe, Garnic Audrey, Le Monde, 10 septembre 2015, https://www.lemonde.fr/energies/article/2015/09/11/cinq-cartes-qui-montrent-l-impact-du-charbon-en-europe_4752060_1653054.html.
- Only 8 EU countries plan to phase out coal by 2030, Euractiv, https://www.euractiv.com/section/climate-environment/news/only-eight-eu-countries-plan-to-phase-out-coal-by-2030/.
- Powering down coal : Navigating the economic and financial risks in the last years of coal power, Carbon Tracker, Novembre 2018, https://www.carbontracker.org/wp-content/uploads/2018/12/CTI_Powering_Down_Coal_Report_Nov_2018_4-4.pdf.
- A “coal curtain is the new Iron curtain” https://bluelink.info/environment-health/a-coal-curtain-is-the-new-iron-curtain.
- Heroes of Just Transition, Bankwatch, https://bankwatch.org/wp-content/uploads/2018/12/JustTransition-Heroes_Layout09.pdf.
- Only 8 EU countries plan to phase out coal by 2030, Euractiv, https://www.euractiv.com/section/climate-environment/news/only-eight-eu-countries-plan-to-phase-out-coal-by-2030/.
- Climate change : Asia ‘coal addiction’ must end, UN chief warns, BBC https://www.bbc.com/news/world-asia-50276983.
- The impact of power generation emissions on ambient PM2.5 pollution and human health in China and India, Meng Gao et al., December 2018, Environmental International, https://doi.org/10.1016/j.envint.2018.09.015.
- Market Report Series, Coal 2018, Agence internationale de l’Énergie, https://webstore.iea.org/download/summary/2415?fileName=English-Coal-2018-ES.pdf.
- Le Président du GIEC à l’AIEA : « le climat a besoin de toute l’aide possible », Revue Générale Nucléaire, 8 octobre 2019, http://www.sfen.org/rgn/president-giec-aiea-climat-besoin-aide.
- Le Président du GIEC à l’AIEA : « le climat a besoin de toute l’aide possible », Revue Générale Nucléaire, 8 octobre 2019, http://www.sfen.org/rgn/president-giec-aiea-climat-besoin-aide.
- Sortie du charbon : La finance française en ordre de marche ?, Les Amis de la Terre – Unfriend Coal – Banktrack, Novembre 2019.