Nous avons rencontré le maire de Naples, Luigi De Magistris, dans un magnifique salon du Palais San Giacomo, siège de la mairie, surplombant la Piazza del Municipio, à quelques mètres du port.
De Magistris, maire de Naples depuis le 1er juin 2011, est dans son deuxième mandat. Il a entrepris une carrière dans la magistrature avant de devenir eurodéputé avec le parti L’Italia dei Valori. Se définissant comme un « homme de gauche », assez critique vis-à-vis de Salvini et de l’actuel gouvernement italien – entre autres, en matière d’immigration – il a fondé, il y a quelques années, le mouvement « Dema », par lequel il aspire à créer un réseaux d’associations et mouvements civiques alternatifs aux partis traditionnels.
Tenant de ce qu’il appelle le « néo-municipalisme » – c’est-à-dire en faveur de la défense d’une plus grande autonomie municipale –, il nous parle de Naples, connue, au début de son mandat, comme la « ville de la poubelle » et qui présente désormais des projets et des initiatives liées notamment à l’écologie et à la culture.
Cet entretien s’inscrit dans le projet Maires Méditerranée, qui se propose de recueillir et confronter les propos des maires des principales villes méditerranéennes.
Que représente pour vous la Méditerranée ?
La mer Méditerranée est partie intégrante de Naples, où je suis né. Pour moi, la mer, c’est la vie. La mer Méditerranée a été, est et sera toujours le point de rencontre entre les peuples. Pour moi, la mer est un havre de paix et pas un endroit où ramasser des cadavres. Pour moi, la mer est l’histoire de cette ville : une ville maritime. La mer signifie regarder avec ses propres yeux, imaginer ce qui se trouve au-delà, sans mur, sans frontière, sans barbelé. Je pense que la mer est, en principe, un lieu de régénération. En ce moment, nous nous appuyons beaucoup sur ses vertus.
Et d’un point de vue géopolitique ?
D’un point de vue géopolitique, je pense que si l’on veut construire une Europe forte, il faut partir de la Méditerranée. Si l’on veut construire une Europe différente de celle qui existe jusqu’à présent, il faut se tourner avant tout vers la Méditerranée. En ce sens, le rôle des villes en Méditerranée peut aussi être un moyen politique de changer l’Europe, et non pas de la nier. Même si la Méditerranée n’est pas seulement l’Europe, mais aussi l’Afrique, le Moyen-Orient…
Cette mer qui unit l’histoire de l’humanité, qui représente l’histoire de la grande Grèce, de l’Italie, de la Syrie, du Liban, de la Palestine… L’engagement à prendre, d’un point de vue géopolitique, est de mettre fin aux crimes contre l’humanité, de mettre fin à cette chaîne infinie de morts dans la Méditerranée ; à partir de cette identité constituée précisément par la rencontre entre les peuples. Par conséquent, des villes comme Naples, Palerme et Athènes ne doivent pas être des repoussoirs. Parce que notre identité est faite d’un mélange de peuples. Le peuple napolitain s’est construit au fil des ans à travers la rencontre entre différentes populations : Arabes, Normands, Français, Aragonais, Espagnols, Grecs, Latins… Nous sommes un mélange. Je pense que c’est un peu le secret de la Méditerranée, et cela pourrait aussi être un laboratoire pour unir les peuples et défendre la planète. Sans jouer à monter les gens les uns contre les autres, comme certains veulent le faire.
En partant de cette perspective, focalisons-nous sur la relation entre les villes et les mairies. Depuis que vous êtes maire, quels rapports entretenez-vous avec vos homologues étrangers, et quels résultats ont-ils donnés ?
J’ai établi de nombreuses relations, notamment avec Barcelone, Madrid… nous travaillons aussi avec Paris, Amsterdam, Berlin, Londres, New York… Nous appelons cela le néo-municipalisme, ou l’idée de construire une Europe des villes, et donc des peuples. Les maires sont plus proches des souffrances, des rêves et des désirs des habitants et des citoyens. Comme convenu avec d’autres maires, le rôle des villes doit être considéré comme fondamental.
Je ne crois pas au changement venu d’en haut, c’est-à-dire au changement des gouvernements nationaux, qui sont plus lents et ont besoin d’être secoués et de révolutions ; au contraire, je crois beaucoup au changement que les mouvements, les peuples, les villes peuvent provoquer…
Quelles sont vos relations avec les maires italiens ?
Les maires ont tendance à bien s’entendre. Il n’y a pas de conflit comme au Parlement… Si nous pensons à la Méditerranée en ce moment, la relation avec le maire de Palerme Leoluca Orlando est certainement dans le même sens. Dernièrement, nous avons également établi de très bonnes relations avec Milan, avec le maire Sala. Puis aussi avec le maire de Bari, Reggio de Calabre, Turin… Mais en réalité il n’y a pas un maire avec qui je suis vraiment allié, avec qui je vais main dans la main.
Et avec les maires des villes purement méditerranéennes, du point de vue de la construction d’un réseau politique de villes ?
C’est exactement ce à quoi nous travaillons. Les sensibilités les plus communes sont surtout avec Ada Colau. Il y a là un discours avancé… Nous avons aussi une relation étroite et structurée avec Podemos. Avec Barcelone, nous partageons des idées sur la démocratie participative, le droit à l’habitation, les mouvements, la rupture avec le système, la lutte contre les inégalités… Dernièrement, nous avons inventé ce thème « identité et révolution ». Naples et Barcelone ont toutes deux une forte identité autonome : d’une part, Barcelone avec la Catalogne et, d’autre part, Naples qui, ces dernières années, a été très marquée par le thème de l’autonomie. Mais l’autonomie ne signifie pas « souveraineté dans le petit » ; en d’autres termes, elle ne signifie pas que nous voulons nous fermer et nous exclure. Au contraire, c’est une identité ouverte aux innovations, aux révolutions, au changement… changement désormais différent des politiques libérales des quarante dernières années.
Donc autonomie par rapport à quoi, exactement ?
Autonomie par rapport au système. En Italie, le système signifie les relations d’affaires entre la politique et la mafia. Donc, quand je parle de système, je parle du fait que Naples est loin d’être une certaine façon de faire de la politique. Pour moi, faire de la politique au service de ma ville, c’est ne pas avoir de compromis moraux, ne pas céder à la flatterie du système, ne pas vivre au crochet du pouvoir. L’autonomie signifie autogouvernement, autogestion, démocratie participative, donner du pouvoir à ceux qui n’en ont pas et compter les gens qui, en général, votent et oublient le lendemain…. une relation de participation par le bas.
En rebondissant sur ce concept, et à partir de l’idée de la ville comme nouvel espace de citoyenneté : quelles sont ses marges de manœuvre réelles et concrètes pour la gestion de la ville à l’échelle nationale, européenne et mondiale ?
Nous n’avons pas encore en Italie et en Europe de système qui consolide et soutient l’autonomie. Par exemple, nous n’avons pas encore de système pour consolider les villes ; en Italie, le système démocratique étouffe l’autonomie, il est très régionalisé et centralisé. Etre autonome est donc un élément de force, qui veut rompre avec certaines conditions préalables du système. Mais il est clair que nous ne disposons pas de ressources économiques suffisantes, contrairement à Barcelone, qui a une structure autonome qui légifère et vous permet d’avoir des ressources économiques, des lois, des mesures réglementaires… En Italie, nous avons plus d’autonomie régionale. L’autonomie des municipalités existe, mais ces dernières n’ont pas de pouvoirs particuliers, elles n’ont pas de ressources économiques… Nous avons donc des municipalités qui élaborent des politiques souvent fondées sur le capital humain, la volonté, la participation.
Existe-t-il, à Naples, des initiatives culturelles locales liées aux villes méditerranéennes ?
Oui, elles sont nombreuses. Cet été, par exemple, nous éditerons la revue « L’été à Naples – Identité et révolution ». Nous travaillons souvent sur l’identité : sur la musique, la culture, le théâtre… Naples est une ville fière de son identité d’un point de vue culturel. Et en effet, je dois dire que ces dernière années, avec la volonté grandissante d’autonomie que la ville a connue, on a assisté à une plus grande redécouverte de sa propre terre, de ses origines, de ce qu’a été l’histoire. Par exemple, avec le « Mai des monuments », chaque année est consacrée à un thème. Cette année est consacrée au « droit au bonheur », au XVIIIe siècle à Naples, à l’histoire de Filangeri… L’année dernière était dédiée à Gian Battista Vico. Quand nous pensons que nous sommes la ville avec la plus ancienne université laïque du monde ! D’un autre côté, la culture est également synonyme d’innovation, avec le street art par exemple…
Concernant l’innovation, par exemple, il y avait un projet pour la construction du Science Center dans le quartier de Bagnoli, un quartier à réaménager…
Il ne s’agit pas d’une initiative municipale, c’est un peu détaché. Puis avec l’incendie de 2013, le projet de réaménagement a subi des graves ralentissements…
Oui, mais il y avait un projet pour reconstruire la partie brûlée…
Oui, ce projet avance partiellement… Le 1er mai, au matin, les honneurs ont été décernés à la Cité de la Science… mais ce projet a été extrêmement ralenti. À l’époque, il était très avancé, surtout en ce qui concerne les nouvelles technologies, l’innovation et les jeunes entreprises… Maintenant qu’ils ont entrepris la récupération de Bagnoli, la reconstruction n’a été que partiellement réalisée. Une partie, celle près de la mer, est encore calcinée.
Quels sont les problèmes les plus urgents et les plus concrets auxquels Naples doit faire face aujourd’hui sur différents fronts ?
Le plus gros problème à Naples est que la municipalité ne dispose pas de ressources financières suffisantes pour atteindre un modèle de normes et de services publics élevés. Naples est une ville plus pauvre que le reste de l’Europe et devrait donc disposer de plus de temps pour s’adapter, se relever. Le problème est donc essentiellement celui des politiques de travail. Néanmoins, avec la reprise de la croissance économique de la ville, nous réalisons des progrès importants vis-à-vis du travail : par exemple, Naples est aujourd’hui la troisième destination des jeunes entreprises italiennes, ce qui est un résultat extraordinaire.
Il y a ensuite le thème de la sécurité, un thème extrêmement présent à l’échelle nationale. La plupart des Napolitains réclament plus de sécurité, ce qui, en tout état de cause, reste de la responsabilité de l’État.
Pour le reste, la ville vit un moment particulier. Depuis trois ans, Naples est la première ville italienne à connaître une croissance culturelle et touristique. Elle vit donc une saison de culture et d’énergie très forte. Ainsi, les souffrances, qui y existent et sont réelles, sont vécues avec un esprit positif et avec une énergie dans le dépassement des difficultés et des obstacles vraiment louable. Ce contrairement à d’autres endroits en Italie, où je ressens une dépression ou une méfiance totale…
À l’image de Rome…
À l’image de Rome, oui. Au contraire, dans ma ville, dont j’ai hérité il y a huit ans – à une époque où le problème principal était celui des détritus, nous assistons plutôt aujourd’hui à un investissement des rues par les gens… Il y a un désir de vivre, de sortir, de reconquérir les espaces abandonnés, d’intégrer les banlieues et de les faire vivre… Il y a cette atmosphère qui vous permet d’obtenir des résultats importants même avec peu d’argent. Le capital humain gagne donc contre la finance. Cela a un peu été le secret de ces dernières années.
Il y a un désir de vivre, de sortir, de reconquérir les espaces abandonnés, d’intégrer les banlieues et de les faire vivre… Il y a cette atmosphère qui vous permet d’obtenir des résultats importants même avec peu d’argent. Le capital humain gagne donc contre la finance. Cela a un peu été le secret de ces dernières années.
Et concernant les initiatives relatives à l’environnement, telles que débarrasser les rives des déchets plastiques, ou encore le recyclage ?
Je veux en mentionner trois : la première est le progrès, comme vous l’avez dit, du porte-à-porte et du recyclage. Voici ce que nous souhaitons faire : j’ai commencé comme maire d’une ville connue pour sa poubelle. À la fin de mon mandat, nous voulons montrer qu’une économie circulaire vertueuse peut également être réalisée sur les déchets.
Le deuxième défi important est le bord de mer sans plastique. La première expérience relative à ce défi commencera dans quelques jours et nous tenterons ensuite de l’étendre à toute la ville.
La troisième initiative est une résolution italienne, encore peu répandue, mais sur laquelle j’ai beaucoup travaillé, appelée « l’oxygène, bien commun » : « OBC » (Ossigeno Bene Comune), tiré de « ABC » (Acqua Bene Comune) – car nous sommes la seule ville d’Italie à avoir respecté le référendum public sur l’eau et, par conséquent, à Naples toute l’eau est publique. Pas comme à Rome où il y a l’ACEA 1… Et nous en sommes très fiers. Je ne sais pas si vous vous souvenez qu’en 2011, lors d’un référendum sur l’eau, 27,5 millions de personnes avaient voté. Après ce vote, nous avons lancé « OBC », une résolution proposant un plan stratégique pour les 10 prochaines années (2020-2030) de toutes les mesures mises en place par la ville pour lutter contre les émissions de CO2 et le changement climatique. Allées piétonnes, zones de circulation restreintes, dépôts de pétrole jusqu’à Naples-Est, électrification du port sans émission de fumée par les navires, plantation de 10 000 arbres d’ici 2020… et bien plus encore. Donc, Naples veut devenir la ville qui lutte, à partir d’en bas – et pas seulement avec des mots, mais avec des faits concrets – au moyen, entre autres, d’actions administratives, contre le changement climatique.
En intégrant la construction d’infrastructures…
Oui, bien sûr. De nouvelles rames de métro sont actuellement en construction, qui permettront que les métros passent toutes les quatre minutes… davantage de transports en commun… Nous avons donc beaucoup travaillé au fil des ans, grâce à des financements européens que nous avons principalement consacrés à la mobilité durable – le plan de mobilité urbaine durable, aménager les pistes cyclables… Il y a huit ans, avant que je devienne maire, Naples n’avait même pas de pistes cyclables. On en compte 30 km aujourd’hui. Et avec les nouveaux financements, cela va continuer de croître.
Les travaux réalisés en 2020 et qui se termineront en 2021 modifieront tous les éclairages publics de la ville, qui seront tous à LED : moins de CO2, plus d’économies, moins d’argent, plus de sécurité, plus d’environnement. Nous parlons d’un plan stratégique, pas d’une mesure à court terme.
Contrairement aux bords de mers libérés – sur lesquels j’ai interdit les voitures au début de mon mandat, il existe maintenant un plan plus stratégique pour Naples 2020-2030.
Rebondissons sur l’image que peut donner Naples. Quel rôle Roberto Saviano a-t-il joué dans la narration de la Camorra du point de vue des médias ? Quel impact Gomorra a-t-il eu sur le public, en particulier dans les groupes les plus vulnérables ?
La condition de Saviano a beaucoup évolué au fil des ans. Saviano, au début, était très protégé et soutenu à Naples ; maintenant, il l’est beaucoup moins. Parce que nous croyons que son oeuvre – et non le film, mais tout le récit que Saviano fait de notre ville est produit par une falsification de la réalité. Parce que dans sa narration, seul le mal existe. Le bien n’existe nulle part. Tous ceux qui viennent à Naples se rendent compte que ce n’est pas une ville où règne la Camorra ; cependant, il existe des problèmes de mafia comme dans beaucoup d’autres villes dans le monde.
Néanmoins, Naples est une ville qui a beaucoup d’alternatives. Et si vous ne parlez pas de ces alternative, vous favorisez le négatif. Si vous montrez la fiction de Gomorra à des jeunes, il n’y verront pas de positif : il n’y a pas de policiers, de prêtres, de bons citoyens… On n’y voit que des combats de gangs. Et ce n’est pas la vérité. Par conséquent, cela a une influence négative sur certains groupes d’enfants car ils y voient une émulation. Et puis cela a des conséquences néfastes à l’international. Parce que de nombreux touristes, des touristes qui viennent ici et qui marchent dans la rue, me complimentent en disant : « Je pensais que Naples était comme dans Gomorra alors que nous nous sentons bien plus en sécurité ici que dans d’autres villes du nord de l’Italie ou d’autres parties du monde. »
Je respecte l’œuvre d’art, qui ne devrait jamais être censurée mais toujours respectée ; néanmoins, elle peut également être critiqué. Mais je crois que l’opération politico-culturelle de Saviano est en quelque sorte incorrecte. Cela n’aide pas… Au début, je le soutenais ; aujourd’hui, ce n’est pas que je ne le soutient pas, mais c’est étrange quand je l’entends parler… Il a presque une sorte de plaisir – sans mauvaise interprétation –, de jouissance quand quelque chose de négatif se produit dans la ville. Une sorte de « Vous avez vu ! Les choses ne changent pas. » Mais ce n’est pas vrai. Et surtout, cela décourage les gens qui, contrairement à lui, luttent et se salissent les mains pour faire changer les choses. En fin de compte, Saviano n’est pas de Naples. Il a lancé un produit éditorial dans le monde entier, mais cela n’a pas contribué à améliorer la situation. Tout en ayant lancé une pierre sur le sujet des Casalesi, au total, ce n’est pas lui qui les a découverts ! Ils étaient déjà connus des magistrats, des forces de police, des associations, des maires… Mais son récit est connu dans le monde entier. Que ce soit au Japon ou en Indonésie, en France ou aux États-Unis.
Nous sommes actuellement très contents : au cours des trois dernières années, il y a eu 400 productions cinématographiques et télévisées tournées à Naples. Aujourd’hui, il n’y a pas que Gomorra qui est connu dans le monde entier. L’Amie prodigieuse a été un best-seller aux États-Unis et a connu un succès retentissant ! Je ne dis pas que nous devrions renvoyer une image brillante – je suis le premier à dire que nous devrions parler de la Camorra et de ses problèmes. Mais issu de la magistrature, et justement parce que j’en connais les racines, je sais qu’il faut parler de négatif et de positif. Parce que sinon ça ressemble à un match entre deux adversaires, où l’on choisit qui supporter. Et il est démontré qu’un segment d’une très jeune population qui regarde cette fiction est attiré par la mafia.
Passons à la Chine. Dernièrement, on a beaucoup parlé des rapports italo-chinois, en particulier pour ce qui concerne les ports de Trieste et de Gênes. Êtes-vous généralement favorable aux accords commerciaux et infrastructurels entre l’Italie et la Chine ? Et sur quelle échelle géopolitique – nationale, locale, européenne – devraient-ils être gérés ? Avez-vous eu des rapports avec des entités locales chinoises, ou reçu des offres pour la cession partielle du port de Naples ?
Céder le port de Naples serait impensable. Je travaille beaucoup pour rendre cette ville internationale – en intégrant des communautés étrangère, dont la communauté chinoise. Je suis pour une Naples sans frontières, une sorte de petite New York de la Méditerranée… Donc nous construisons de manière agréable des rapports avec l’extrême Orient ; nous avons, par exemple, l’Université Orientale. Nous entretenons donc de très bons rapports avec la Chine, en entreprenant des échanges commerciaux, culturels et économiques avec différentes villes chinoises. Mais cela reste un rapport ponctuel entre certains ports et certaines villes.
Je prêterais plus d’attention à l’émulation de modèles de globalisation qui ne sont pas conformes à l’Italie. L’Italie est un petit pays ; nous ne pouvons pas penser nous mettre en compétition avec la Chine, l’Inde, les États-Unis, la Russie… Et surtout, nous devrions faire attention à ne pas céder des morceaux de notre propre pays à des gens qui ont un certain type de projets économiques. La dernière opération du gouvernement Conte m’a laissé perplexe : au-delà du fait qu’elle ne concerne que certains ports italiens, je n’ai pas très bien compris son objectif. Je me suis renseigné sur les protocoles qui ont été signés ; en ce sens, j’évalue ce gouvernement comme une grande fumée de propagande et, justement, une fois qu’on lit et comprend que les rapport et les données semblent assez gazeux…
En tout cas, je ne céderais jamais un morceau de ma ville. Et, je dirais même plus : le système italien présente une grande anomalie, puisque les ports n’appartiennent pas aux villes, mais aux autorités portuaires.
J’allais justement vous demander : quel est votre rapport avec les autorités portuaires ?
Nous avons un bon rapport, puisque nous sommes des personnes institutionnelles. Mais je trouve assez grave le fait que le port ne dépende pas de la ville. Si l’on veut développer une aire urbaine proche de la mer, le port devrait avant tout appartenir à la ville. À l’intérieur du système portuaire, d’autres institutions peuvent exister. Mais l’institution fondamentale devrait être la ville. Sinon, il faut créer des murs. Effectivement, nous sommes en train de rompre les murs – et je ne parle pas ici de murs politiques ou spirituels, mais de vraies murailles, qui séparent le port de la ville. En ce sens, ces dernières années, les Napolitains se sont ré-approchés de la mer. Avant, le port était considéré comme l’endroit où prendre le navire pour Ischia, Capri ou Procida, et non pas un lieu proche, où l’on arrive. La proximité à la mer est donc complètement redécouverte, puisque qui dit port dit aussi économie : chantiers, marchandises, travail…. Lorsque la position du gouvernement est trop oppressive, il y a une sorte de commissariamento d’un morceau de ville.
Parlons d’immigration. En partant, justement, de votre discours sur les autorités portuaires. Qu’est ce que vous entendez, concrètement, lorsque vous répondez à Salvini « les ports sont ouverts » ? Finalement, le port est géré par les autorités portuaires… donc par la capitainerie de port, qui est liée au Ministère des Infrastructures…
Oui. Moi, je raisonne en termes juridiques ; et, entre autres, je me suis permis d’offrir à Salvini et à Toninelli [Ministre des Infrastructure, ndr], le livre Droit de la navigation. Puisque, s’ils disent que le port est fermé, moi, homme de droit et d’institutions, je me demande par quelle ordonnance a été fermé le port. Si il n’y a pas d’ordonnance du Ministre des Infrastructures, le port n’est pas fermé ! Un des cas qui peuvent se passer est que, si un bateau se rapproche du port, il est possible de prendre une mesure pour le fermer ; mesure émise non pas pour la fermeture totale du port, mais ciblé sur un navire spécifique – comme le Sea Watch.
En tant que maire, que pouvez-vous faire ?
Je peux faire ceci : si le commandant d’une embarcation devait, de sa propre initiative, diriger sa proue vers le port de Naples, nous serons au port de Naples pour accueillir le bateau et les personnes démunies. Si le Ministère de l’Intérieur ou le Ministère des Infrastructures, ou les deux ensembles, prennent une ordonnance pour ne pas faire rentrer l’embarcation dans les 12 milles des eaux internationales, nous serons prêts : nous sommes en train de nous doter d’une flotte paneuropéenne, grâce à laquelle nous aurons la possibilité d’aller au-delà des 12 milles et de secourir les personnes en difficulté.
Le 29 juin, si vous voulez venir, nous allons lancer la première flotte qui battra pavillon napolitain. Tout est financé en crowdfunding. Nous avons collecté des fonds, des pécheurs vont mettre à disposition leurs bateaux de pêche : c’est une flotte autogérée. J’y serais aussi, à la barre d’un bateau… et aussi des assesseurs, des citoyens… le but est de mettre en mer 500 bateaux.
Restons sur le sujet de l’immigration. Vous avez dit que vous n’entiendez pas appliquer le Décret Sécurité, mais ne vous signez pas au bureau de l’état civil, à la différence du maire de Palerme Leoluca Orlando…
C’est différent. J’interprète les lois de manière constitutionnellement orientée. Nous avons cherché à individualiser une interprétation de la lois qui consente, en faisant face à des mauvaises normes, à ne pas faire retomber sur des droits inviolables une normative fausse et injuste. En ce sens, face à la hiérarchie des normes, nous essayons d’appliquer la constitution – qui serait, justement, d’un point de vue juridique et hiérarchique, la norme principale. Nous avons ainsi partagé avec la structure technique – bureau de l’état civil, structure administrative et juridique – un parcours qui tente d’inscrire les personnes exclues par les Décret Sécurité, sur une liste temporaire de demandeurs : une liste séparée, de non inscrits au bureau civil, qui se trouve dans le bureau de la mairie de Naples. Grâce à cette liste, nous récupérons les droits des exclus par le Décret…
Question plus politique. Vous avez récemment lancé le mouvement « Dema », avec lequel vous vouliez vous présentez aux élections européennes, en vous alliant, entre autres, au Diem25 de Tsipras. Chose qui n’a pas fonctionné…
Le mouvement Dema n’est pas né récemment ; il est seulement plus connu. Nous étions une association, avec laquelle nous avons participé aux élections communales, puis c’est devenu une liste civique. Nous avons tenté de vérifier si les conditions pour nous présenter aux élections européennes existaient, mais je n’ai personnellement jamais candidaté.
Puisque telles conditions n’existaient pas, nous avons abandonné l’idée. J’aurais pu me mettre en disponibilité uniquement s’il avait été possible de créer une coalition de changement et innovation ; coalition qui n’existe pas, et que je ne vois pas.
C’est-à-dire une idée de gauche qui voudrait rompre, d’une certaine manière, avec l’Union européenne – ou, du moins, avec cette Union européenne, mais qui, en terme pratique, ne semble pas fonctionner…
Notre idée est de créer une confluence de mouvements ; une convergence entre des expériences autonomes dont la lutte commence par le bas, une lutte pour les droits, pour les biens communs, et pour d’autres thématiques qui ont défini notre mouvement. L’idée est donc de nous présenter au moment où il y aura la possibilité de construire une telle liste. Ainsi, l’idée de faire confluer des expériences par le bas, sans les caractériser et d’être caractérisé de droite/gauche ou du centre. En ce sens, mon expérience à Naples – je suis un homme de gauche – n’est pas un expérience de centre-gauche. Nous nous sommes enracinés en faisant des choses de gauche, mais nous ne parlons pas qu’au centre-gauche. Et, en effet, nous avons eu les voix beaucoup de personnes qui normalement ne votent pas au centre-gauche. Il s’agit donc d’une expérience de mouvement, et non pas de parti ; pas bureaucratisée, pas fondée sur des réalités virtuelles (comme celle du Mouvement Cinq Étoiles), pas fondée sur la répression du dissensus…
Mais l’idée est la suivante : porter sur une échelle plus large ce que nous avons fait ces huit dernières années à Naples. Une proposition différente et indépendante de celles des partis, et qui veut devenir une expérience de gouvernement, majoritaire. Il ne s’agit donc pas ici du droit de tribune, nous ne sommes pas intéressés à prendre 2 ou le 4 %… Je suis habitué à partir de 0,1 %.
Donc vous pensez que ce mouvement, si on ne veut pas l’appeler de gauche, pourrait marcher…
Oui. Si c’est au-dehors des schémas traditionnels, si ça parle aux gens, en portant des choses concrètes. Je ne veux pas commencer une campagne électorale en étant sûr de gagner ; mais je ne peux pas me lancer en campagne en étant maire. Et, pour moi, le thème national est plus important… si je m’y jette, je me jette avec tout mon corps, tout mon coeur et tout mon temps. En ayant à l’esprit que je n’ai pas de partis ni de structures et que, si l’objectif est celui de changer les choses, alors il faut gouverner. Ça ne m’intéresse pas de devenir parlementaire, juste comme ça, pour me faire voir… Et puis, évidemment, il faut être prêt à perdre. Mais il faut apprendre à courir, et à gagner. Dans ces dernières années, la gauche, celle qui ne nous appartient pas, a perdu.
En ce sens, l’institution « maire », d’un point de vue politique sur échelle nationale peut, de manière générale, bien fonctionner ?
Évidemment. Renzi n’a pas fonctionné ; ou, plus précisément, a bien fonctionné au début et puis il a oublié la rette de son succès. Mais le “maire” en général est, de manière complexe, une fonction qui a une grande prise sur le peuple, sur la réalité, sur le territoir. En faisant de la politique fiction : si l’Italie avait un gouvernement de 11 maires pour un an ou deux, le pays ferait un formidable saut un avant. Je pense que la concrétude des maires est absolument fondamentale. Et je pense que, une fois fini mon mandat, en 2021, je vais me mettre à disposition du projet national, puisque l’objectif qui me fascine le plus est de gouverner le pays.
Avec Dema ?
Non, avec une confluence de mouvement. Avec uniquement Dema c’est impossible… Évidemment, pas avec le PD, mais avec des mouvements civiques. Je pense, plus qu’aux partis, aux réseaux civiques, aux associations, aux mouvement… à un civisme de base ; très fort, et qui a démontré par les faits être une force capable de gouverner. Nous sommes une alternative aux forces politiques traditionnelles.
Mais est-ce que cela ne deviendrait pas un parti… ? Comme le Mouvement Cinq étoiles : né comme un mouvement, mais puis devenu parti…
Cela pourrait aussi le devenir, puisqu’il y a aussi l’aspect organisationnel. « Parti » n’est pas en soi une injure ; ça dépend de qu’est en qu’on entend par parti. Moi, pour l’instant, je vois le parti comme une cage. Mais construire, demain, un parti d’un mouvement organisé ferait partie de l’histoire des mouvements politiques. En ce moment, je pense que nous avons besoin de beaucoup de movimentismo, qui ne conjugue pas, désormais, avec une structure plus organisée – par exemple, je ne pourrais pas être maire si j’était juste un « mouvementiste », toujours dans les rues. Le véritable homme politique doit savoir conjuguer la rupture du système – donc la capacité politique de changement – et la fiabilité de gouvernement, ce qui signifie avoir une certaine capacité administrative et institutionnelle.